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06/03/2002 | LUXEMBOURG | N°13749

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 mars 2002, 13749


Tribunal administratif N° 13749 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 juillet 2001 Audience publique du 6 mars 2002

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Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame … et consorts, contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13749 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 juillet 2001 par Maître Pierrot SCHILTZ, avocat à

la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, et ...

Tribunal administratif N° 13749 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 juillet 2001 Audience publique du 6 mars 2002

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Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame … et consorts, contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13749 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 juillet 2001 par Maître Pierrot SCHILTZ, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, et de son épouse, Madame …, née le …, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leur enfant mineur …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L- …, tendant à principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 18 avril 2001, notifiée le 23 mai 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 décembre 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en sa plaidoirie à l’audience publique du 25 février 2002.

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En date du 8 février 1999, Monsieur …, et son épouse, Madame …, agissant en leur nom propre ainsi qu’en celui de leur enfant …, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-

ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux…-… furent entendus le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent ensuite entendus séparément en date du 2 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 18 avril 2001, notifiée le 23 mai 2001, le ministre de la Justice les informa de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit : « Il résulte de vos déclarations, Monsieur, que vous auriez déserté de l’armée en date du 23 juin 1998. Votre épouse aurait refusé une lettre recommandée vous exhortant à retourner à votre poste. La police militaire serait venue à plusieurs reprises chez vous alors que vous auriez déjà quitté le pays. Vous dites que vous seriez condamné à une peine d’emprisonnement et que vous devriez terminer votre service.

Vous auriez eu des problèmes avec la justice dans votre pays d’origine (contraventions au code de la route). Vous n’auriez pas peur, mais vos problèmes seraient liés à votre religion. Enfin, vous n’êtes pas membre d’un parti politique.

Madame, vous exposez que votre mari aurait déserté de l’armée et qu’il risquerait d’être emprisonné. La police militaire serait venue plusieurs fois et aurait menacé de vous incarcérer si vous ne rameniez pas votre mari. Vous auriez par ailleurs subi des chicaneries de la part de vos voisins serbes et vous auriez été maltraitée par des Serbes. Vous ne fournissez cependant pas d’autres explications.

Votre peur de la police militaire s’expliquerait par votre religion. Enfin, vous n’appartenez pas à un parti politique.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Monsieur, la désertion est insuffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution. De même, la seule crainte de peines du chef de désertion ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte de persécution au sens de la prédite Convention. En outre, il n’est pas établi que l’appartenance à l’armée imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser. Enfin, rappelons qu’une loi d’amnistie a été adoptée par le Parlement de la République fédérale yougoslave au mois de février 2001.

Les autres motifs que vous relevez ( problèmes en relation avec des infractions au code de la route) ne sauraient suffire pour bénéficier de la reconnaissance du statut de réfugié.

Madame, vos motifs (menaces, chicaneries par vos voisins, maltraitance par des Serbes) ne sont pas de nature à constituer une crainte justifiée de persécution pour un des motifs énoncés à la Convention de Genève.

Force est de constater que vos motifs traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

2 Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » Par lettre du 20 juin 2001, les consorts…-… introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 18 avril 2001.

Par décision du 27 juin 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée le 23 juillet 2001, les consorts…-… ont fait introduire un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle prévisée du 18 avril 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que seul un recours en réformation a pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Le recours subsidiaire en annulation est par voie de conséquence irrecevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font exposer qu’ils seraient originaires du Monténégro et de confession musulmane, parlant le serbo-croate, et que leur situation spécifique serait telle qu’ils seraient particulièrement exposés à des persécutions en raison de la désertion de Monsieur…. Ils font valoir qu’ils auraient quitté leur pays d’origine en raison du fait que Monsieur…, après avoir commencé son service militaire régulier, aurait déserté de peur de devoir partir à la guerre au Kosovo, de sorte qu’il risquerait à l’heure actuelle d’être condamné comme déserteur à une lourde peine de prison. Les demandeurs soulignent encore qu’ils auraient eu des problèmes avec leurs voisins serbes et qu’on aurait peint une croix sur leur maison. En outre, les demandeurs signalent qu’en général les musulmans seraient maltraités sans cesse par les Serbes, de sorte que la vie leur serait devenue impossible dans leur région d’origine.

3 Dans leur recours contentieux, les demandeurs mettent encore en doute une application effective de la loi d’amnistie, estiment que des atrocités journalières seraient commises au Monténégro et qu’ils risqueraient, en cas de retour, d’être victimes de persécutions quotidiennes alors qu’ils seraient considérés, tant par la police militaire serbe que par la police monténégrine, comme des traîtres.

En substance, les demandeurs reprochent au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés qui établiraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des époux…-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm.

1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des époux…-….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux…-… lors de leurs auditions respectives en date du 2 juillet 1999, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le motif invoqué par les demandeurs ayant trait à la désertion de Monsieur…, il convient de rappeler que la désertion n’est pas, en elle-

même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié. Le tribunal constate que la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que la paix s’est établie dans la région originaire des demandeurs, de sorte qu’il n’est pas établi 4 qu’actuellement Monsieur… risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables. Il convient par ailleurs de relever que Monsieur… n’établit pas à suffisance de droit qu’une condamnation serait encore susceptible d’être prononcée à son encontre de ce chef, ceci au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave au mois de février 2001 et entrée en vigueur au mois de mars 2001, en vertu de laquelle les personnes ayant commis, jusqu’au 7 octobre 2000, le délit d’éloignement arbitraire et de désertion des unités de l’armée yougoslave, sont amnistiées.

Cette conclusion ne saurait en l’état actuel du dossier être énervée par les considérations avancées par les demandeurs, tenant au fait que la loi d’amnistie ne s’appliquerait pas aux insoumis et déserteurs qui ont quitté leur pays d’origine, étant donné que pareille interprétation n’est établie à suffisance de droit, qu’elle reviendrait à vider la loi d’amnistie en fait d’une grande partie de substance et qu’au-delà des termes mêmes de la loi d’amnistie, ainsi que des infractions qui en font l’objet, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a contraire exprimé l’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et qu’il n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’auraient pas pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13853C du rôle, non encore publié).

Pour le surplus, les craintes de persécution dont les demandeurs font état en raison de leur religion, de leur langue et de la situation générale dans leur pays d’origine, illustrées par les conflits avec leurs voisins serbes, à les supposer vrais, n’établissent pas un état de persécution personnel vécu ou une crainte qui seraient tels que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine, respectivement sont insuffisants pour établir que les nouvelles autorités qui sont au pouvoir en Yougoslavie ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de la Yougoslavie ou tolèrent, voir encouragent des agressions notamment à l’encontre des musulmans.

Dans ce contexte, il convient de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-

fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance des demandeurs et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de leur départ et de mettre en lumière qu’il est indéniable que depuis le départ des demandeurs, la situation politique en Yougoslavie s’est considérablement modifiée, qu’un processus de démocratisation est en cours et que les demandeurs n’ont pas fait état d’une raison suffisante justifiant à l’heure actuelle qu’ils ne puissent pas utilement se réclamer de la protection des nouvelles autorités.

Il ressort de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef, de manière que c’est à bon droit que le ministre leur a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique et que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé dans leur chef.

5 Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 6 mars 2002 par:

Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge M. Spielmann, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13749
Date de la décision : 06/03/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-03-06;13749 ?

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