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21/02/2002 | LUXEMBOURG | N°13844

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 février 2002, 13844


Tribunal administratif N° 13844 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 août 2001 Audience publique du 21 février 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13844 et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 août 2001 par Maître Emmanuelle ADAM, avocat à la Cour, assistée de Maître Jean-Louis ADNET, avocat, tous les d

eux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Vitomirica (Pec/K...

Tribunal administratif N° 13844 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 août 2001 Audience publique du 21 février 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13844 et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 août 2001 par Maître Emmanuelle ADAM, avocat à la Cour, assistée de Maître Jean-Louis ADNET, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Vitomirica (Pec/Kosovo), demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 4 janvier 2001, notifiée le 19 février 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 décembre 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Jean-Louis ADNET, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 20 juillet 1999, M. … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

M. … fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut ensuite entendu le 29 octobre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 4 janvier 2001, notifiée le 19 février 2001, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Vous exposez que vous n’avez pas fait le service militaire. Vous précisez que vous étiez obligé d’appartenir au parti SPS de peur d’être licencié. Pendant les bombardements, vous auriez dû travailler pendant trois mois pour la police serbe. Les Albanais ignoreraient que vous auriez dû faire ce travail contre votre gré. Vous ajoutez que vos parents auraient été maltraités par les Albanais et que leur maison aurait été incendiée. Vous auriez peur des Albanais sans donner d’autres explications. Enfin, vous admettez ne pas avoir été personnellement persécuté.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Les motifs que vous invoquez sont caractérisés par votre peur des Albanais et traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par ailleurs, les Albanais ne sont pas des agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

L’armée fédérale yougoslave et les forces de police dépendant des autorités serbes, à l’origine des répressions et des exactions commises au Kosovo, ont quitté ce territoire. Une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, est installée au Kosovo et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place.

De plus, alors qu’une situation de paix s’est établie dans votre région d’origine, des centaines de milliers de personnes, qui avaient quitté le Kosovo pour se réfugier en Albanie et dans l’Ancienne République yougoslave de Macédoine, ont réintégré leurs foyers après l’entrée des forces internationales sur le territoire.

Enfin, la situation des minorités ethniques du Kosovo s’est améliorée par rapport à l’année 1999. Les élections municipales du 28 octobre 2000 se sont conclues avec la victoire des partis modérés et une défaite des partis extrémistes. Ainsi une persécution systématique de minorités ethniques est actuellement à exclure.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 16 mars 2001, M. … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 4 janvier 2001.

Par décision du 5 juillet 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 8 août 2001, M. … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision précitée du ministre de la Justice du 4 janvier 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle entreprise.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire du Kosovo, de confession musulmane et qu’il ferait partie de la minorité des « bochniaques » du Kosovo, qu’il aurait quitté sa région natale pour échapper à des persécutions de la part des Albanais dirigées à son encontre en raison de son appartenance à ladite minorité ethnique. A ce sujet, il fait valoir que, d’une part, il aurait été membre du parti politique pro serbe SPS afin de garder son emploi de carrossier et, d’autre part, il aurait été contraint de travailler pendant trois mois pour la police serbe, de sorte que les Albanais le considéreraient actuellement comme un traître. Il expose encore que la maison de ses parents aurait fait l’objet d’actes de vandalisme et qu’elle ne serait plus habitable.

Il relève par ailleurs que même si la guerre au Kosovo est officiellement terminée, la situation dans cette province serait néanmoins loin d’être sûre, entraînant qu’il serait dans « l’impossibilité manifeste, moralement et physiquement, de réintégrer son pays ». Dans ce contexte, il se réfère à des articles de presse parus dans les journaux internationaux qui renseigneraient encore sur des « scènes de guerres entraînant encore la mort de personnes » et que des « guérilleros de l’UCK circulent encore ». Il estime qu’il serait inconcevable qu’il fasse partie d’un peuple qui se serait rendu coupable des pires atrocités ainsi que de crimes contre l’humanité.

Il conclut des considérations qui précèdent qu’il devrait craindre de faire l’objet de persécutions du fait de ses convictions politiques et religieuses et qu’il risquerait d’encourir des représailles en raison de ses prédites convictions et en raison du fait qu’il avait quitté son pays.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de M. … et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de M. ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par M. … lors de son audition en date du 29 octobre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient de prime abord de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité de la décision querellée à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ. - En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

Il convient d’ajouter que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence et qu’une persécution au sens de la Convention de Genève ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel Il ne saurait en être autrement qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p.113, nos. 73-s).

En ce qui concerne la situation des membres des minorités au Kosovo, notamment de celle des « bochniaques », il est vrai que leur situation générale est difficile et ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des traitements discriminatoires.

Il y a lieu d’ajouter dans ce contexte, qu’une situation de conflit interne violent ou généralisé ne peut, à elle seule, justifier la reconnaissance de la qualité de réfugié, étant donné que la crainte de persécution, outre de devoir toujours être fondée sur l’un des motifs de l’article 1er A de la Convention de Genève, doit avoir un caractère personnalisé.

Or, en l’espèce, les craintes exprimées par le demandeur en raison de la prétendue hostilité des Albanais à son égard en raison de son appartenance à la minorité des « bochniaques » et de la situation générale tendue dans sa région d’origine, s’analyse, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

En effet, dans son recours contentieux, le demandeur fait essentiellement état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre, à savoir des représailles ou mauvais traitements de la part de membres de la population albanaise, mais il ne démontre point que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo, aucun fait concret et circonstancié de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités actuellement en place n’ayant été allégué ni, a fortiori, établi en cause.

Il se dégage par ailleurs des déclarations mêmes du demandeur que les menaces de vengeance alléguées et émanant de groupes de la population albanaise tiennent au fait qu’il aurait travaillé pour la police serbe laquelle serait perçue par les Albanais comme autorité de persécution, de sorte que la crainte afférente de persécution invoquée par le demandeur ne saurait, en tant que telle, et en l’absence d’autres éléments concrets de persécution allégués, tomber dans le champ d’application de la Convention de Genève.

A cela s’ajoute que les craintes de persécution invoquées en l’espèce se cristallisent essentiellement autour de la situation au Kosovo, et que le demandeur reste en défaut d’établir qu’il ne peut trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de son pays d’origine, notamment au Monténégro où se trouve établi sa sœur et où il avait déjà pu trouver refuge avant de venir au Grand-Duché de Luxembourg, tel que cela ressort du rapport d’audition, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité sans restriction territoriale.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 21 février 2002, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13844
Date de la décision : 21/02/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-02-21;13844 ?

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