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21/02/2002 | LUXEMBOURG | N°13602

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 février 2002, 13602


Tribunal administratif N° 13602 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 juin 2001 Audience publique du 21 février 2002

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Recours formé par Monsieur et Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13602 et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 juin 2001 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Lu

xembourg, au nom de M. … …, né le … à Dragas (Kosovo), et de son épouse, Mme … …, née le … à Pristina (...

Tribunal administratif N° 13602 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 juin 2001 Audience publique du 21 février 2002

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Recours formé par Monsieur et Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13602 et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 juin 2001 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. … …, né le … à Dragas (Kosovo), et de son épouse, Mme … …, née le … à Pristina (Kosovo), agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs … , tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 11 janvier 2001, notifiée le 16 février 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 21 mai 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 novembre 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Louis TINTI, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 13 octobre 1999, M. … … et son épouse, Mme … …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs … , introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux … furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent ensuite entendus séparément le 19 novembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 11 janvier 2001, notifiée le 16 février 2001, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations, Monsieur, que la police militaire serait venue avec un appel à la réserve, mais que vous auriez réussi à vous cacher. Vous précisez que vous n’auriez pas de moyens de survivre au Kosovo, étant donné que votre fuite aurait consommé tout votre argent.

Vous auriez aussi perdu vos restaurants et votre maison. Vous dites avoir peur de la vengeance des Albanais. Vous ajoutez que vous auriez été menacé et que vous auriez même failli vous faire tuer par un chauffeur de taxi albanais quand celui-ci aurait appris que vous êtes d’origine goranaise. Néanmoins, vous accepteriez de retourner au Kosovo en cas d’amélioration de la situation. Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique.

Madame, vous exposez que vous auriez quitté votre pays d’origine en raison de l’appel à la réserve de votre mari. Vous auriez été menacée par des Albanais qui auraient fini par occuper vos restaurants et votre maison. Vous ajoutez que vous ne parleriez pas l’albanais. Vous insistez également sur le fait que votre mari risquerait d’être tué au Kosovo.

Cette peur est motivée par le fait de votre appartenance ethnique. Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Monsieur, l’insoumission est insuffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève. De même, la seule crainte de peines du chef d’insoumission n’est pas de nature à constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée de persécution telle que visée par la prédite Convention.

Les autres motifs que vous invoquez tous les deux (perte des restaurants et de la maison, absence d’emploi, menaces) ne sont pas de nature à constituer une crainte justifiée de persécution pour un des motifs énoncés à la Convention de Genève. Vos motifs s’analysent plutôt en un sentiment général d’insécurité qu’en une crainte de persécution. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la prédite Convention.

En outre, les Albanais du Kosovo ne sont pas des agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

De plus, l’armée fédérale yougoslave et les forces de police dépendant des autorités serbes, à l’origine des répressions et des exactions commises au Kosovo, ont quitté ce territoire. Une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, est installée au Kosovo pour assurer la coexistence pacifique entre les différents communautés et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place.

Par ailleurs, alors qu’une situation de paix s’est établie dans votre région d’origine, des centaines de milliers de personnes, qui avaient quitté le Kosovo pour se réfugier en Albanie et dans l’Ancienne République yougoslave de Macédoine, ont réintégré leurs foyers après l’entrée des forces internationales sur le territoire.

Enfin, la situation des minorités ethniques du Kosovo s’est améliorée par rapport à l’année 1999. Les élections municipales du 28 octobre 2000 se sont conclues avec la victoire des partis modérés et une défaite des partis extrémistes. Ainsi une persécution systématique des minorités ethniques est actuellement à exclure.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 16 mars 2001, les consorts … introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 11 janvier 2001.

Par décision du 21 mai 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 19 juin 2001, les époux …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs … , ont fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions précitées du ministre de la Justice des 11 janvier et 21 mai 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, les demandeurs font exposer qu’ils seraient originaires du Kosovo, de confession musulmane, qu’ils feraient partie de la minorité des « goranis » du Kosovo et qu’ils auraient quitté leur région natale pour échapper à des persécutions de la part des Albanais dirigées à leur encontre en raison de leur appartenance à ladite minorité ethnique.

Ils concluent à la réformation des décisions entreprises « pour violation de la loi, sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits », au motif que le ministre aurait conclu à tort que les faits dont ils ont fait état ne justifieraient pas la reconnaissance du statut de réfugié en raison « de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social ou d’une croyance religieuse ».

A ce titre, les demandeurs font valoir que le départ de leur pays d’origine serait motivé par le fait que les Albanais du Kosovo les discrimineraient et les persécuteraient et qu’ils ne pourraient pas se réclamer utilement de la protection des autorités actuellement investies du pouvoir au Kosovo. Ils soutiennent qu’une coexistence pacifique entre les Albanais du Kosovo et les minorités peuplant cette province ne serait plus possible. Ils font état d’un incident qui se serait produit le 11 juillet 1999 lors duquel ils auraient failli être tués par un chauffeur de taxi au seul motif de leur appartenance à la minorité des Goranis. Ils se réfèrent encore à des rapports d’organisations internationales et notamment à la position retenue par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe lors de sa séance du 25 avril 2001 qui retient qu’il serait impossible de rapatrier des minorités au Kosovo ou de les inciter à regagner leur pays pour conclure qu’il serait établi que leur vie serait menacée en cas de retour dans leur pays d’origine et ceci en raison de leur appartenance à une minorité, de sorte qu’ils devraient bénéficier de la protection prévue par la Convention de Genève. Ils soulignent encore une fois que les autorités en place dans leur pays d’origine, et notamment la KFOR, ne seraient pas en mesure de leur assurer une protection suffisante.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des consorts … et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des époux ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux … lors de leurs auditions respectives en date du 19 novembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient de prime abord de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance des demandeurs d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de leur départ. - En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

Il convient d’ajouter que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence et qu’une persécution au sens de la Convention de Genève ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel. Il ne saurait en être autrement qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p.113, nos. 73-s).

En ce qui concerne la situation des membres des minorités au Kosovo, notamment de celle des « goranis », il est vrai que leur situation générale est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des traitements discriminatoires.

Il y a lieu d’ajouter dans ce contexte, qu’une situation de conflit interne violent ou généralisé ne peut, à elle seule, justifier la reconnaissance de la qualité de réfugié, étant donné que la crainte de persécution, outre de devoir toujours être fondée sur l’un des motifs de l’article 1er A de la Convention de Genève, doit avoir un caractère personnalisé.

Or, en l’espèce, les craintes exprimées par les demandeurs en raison de la prétendue hostilité des Albanais à leur égard en raison de leur appartenance à la minorité des « goranis » et de la situation générale tendue dans leur région d’origine, s’analyse, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

En effet, dans leur recours contentieux, les demandeurs font essentiellement état de leur crainte de voir commettre des actes de violence à leur encontre, à savoir des représailles ou mauvais traitements de la part de membres de la population albanaise, mais ils ne démontrent point que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo. Le seul fait concret avancé par les demandeurs concerne l’agression qu’ils auraient subie par un chauffeur de taxi. Ce fait est néanmoins insuffisant pour établir que leur vie serait, à raison, devenue insupportable dans leur pays d’origine, d’autant plus que les demandeurs n’ont pas établi un défaut caractérisé de protection de la part des autorités actuellement en place.

A cela s’ajoute que les craintes de persécution invoquées en l’espèce se cristallisent essentiellement autour de la situation au Kosovo, et que les demandeurs restent en défaut d’établir qu’ils ne peuvent trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de leur pays d’origine, notamment au Monténégro, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité sans restriction territoriale.

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 21 février 2002, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13602
Date de la décision : 21/02/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-02-21;13602 ?

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