Numéro 13429 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 mai 2001 Audience publique du 18 février 2002 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de l’Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural en matière de subventions agricoles
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JUGEMENT
Vu la requête, inscrite sous le numéro 13429 du rôle, déposée le 9 mai 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Pol URBANY, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, cultivateur, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural du 9 février 2001 portant refus de lui allouer une prime de cultures arables pour l’exercice 2000/2001 et réduction des surfaces prises en compte pour le calcul des primes pour la production de viande bovine et de la prime à la vache allaitante;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er août 2001;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 15 octobre 2001 par Maître Pol URBANY pour compte de Monsieur …;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Frank WIES, en remplacement de Maître Pol URBANY, et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 17 décembre 2001.
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Suivant contrat de bail à ferme signé le 28 février 1985 et reçu le 12 mars 1985 aux fins de dépôt au rang de ses minutes par Maître …, notaire de résidence à …, Madame …, veuve …, demeurant à …, donna en location à Madame … une exploitation agricole sise à … et comprenant une maison d’habitation, une grange, des étables, une remise, un garage, une cour avec toutes les dépendances ainsi que les surfaces d’exploitation y relatives d’une étendue de quelque 39 hectares pour une durée de 12 années commençant le 1er mars 1985 et prenant fin le 28 février 1997.
Par courrier recommandé du 15 janvier 1994, Messieurs …et … et Mesdames … et …, ci-après désignés par « les consorts… », en leur qualité d’héritiers de feu Madame …, décédée le 20 janvier 1987, dénoncèrent ce contrat de location avec effet au 1er mars 1997.
En l’absence d’un accord entre les consorts… et Madame… sur une reconduction du bail à ferme et au vu du fait que cette dernière n’avait pas quitté les lieux au 1er mars 1997, les consorts… introduisirent le 12 mars 1997 une requête en déguerpissement devant le tribunal de paix de et à Luxembourg, lequel, statuant par jugement par défaut du 28 avril 1997, condamna Madame… à déguerpir de la ferme en cause dans un délai de 21 jours à compter de la notification dudit jugement. Sur opposition formée par Madame… le même tribunal de paix, par jugement du 28 novembre 1997, déclara l’opposition formée par voie de citation irrecevable et l’opposition formée par voie de requête recevable et refixa l’affaire pour continuation des débats. L’appel interjeté par Madame… contre ce dernier jugement fut déclaré fondé par jugement du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg du 15 mai 1998 lequel réforma le jugement du 28 novembre 1997 en déclarant l’opposition formée par voie de citation recevable et l’acte introductif d’instance formé par voie de requête irrecevable. Par jugement du 23 octobre 1998, le tribunal de paix de et à Luxembourg condamna Madame… à déguerpir des lieux loués dans un délai de 3 mois à compter de la notification dudit jugement et autorisa au besoin les parties demanderesses à faire expulser la partie défenderesse dans la forme légale et aux frais de cette dernière. L’appel interjeté par Madame… contre ce dernier jugement fut vidé par jugement du tribunal d’arrondissement du 26 mai 2000 lequel déclara nul l’acte d’appel de Madame… et irrecevable l’appel qu’il contenait.
A partir du 21 octobre 1997, sans préjudice de la date exacte, Madame… n’occupait plus les étables de la ferme et certaines des parcelles y rattachées. Au cours du mois d’avril 2000, Madame… et sa famille quittèrent également la maison d’habitation faisant partie de la ferme.
Tout en étant propriétaire et exploitant d’une ferme sise à …, Monsieur … affirme, sans être contredit sur ce point par la partie adverse, avoir cultivé également les parcelles attenantes à la ferme sise à … au fur et à mesure que Madame… en abandonnait l’exploitation, de manière qu’il en aurait cultivé « un grand nombre » durant la période de commercialisation 1999/2000 et que Madame… aurait exploité « quelques unes seulement des parcelles restantes ».
Etant donné que, pour la période de commercialisation 2000/2001, le délai pour l’introduction des demandes en octroi de primes de soutien aux producteurs de certaines cultures arables, pour la production de viande bovine et à la vache allaitante était fixé au 1er mai 2000, Monsieur… soumit sa demande en octroi de ces primes le 28 avril 2000, tout en se réservant la faculté de la compléter dans la suite concernant les surfaces rattachées à la ferme de … par renvoi au fait que l’instance d’appel contre le jugement prévisé du tribunal de paix du 23 octobre 1998 n’était pas encore définitivement tranchée.
Suite au jugement d’appel du tribunal d’arrondissement du 26 mai 2000, Monsieur… déposa le 29 mai 2000 auprès du service d’économie rurale du ministère de l’Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural, comme complément à sa demande du 28 avril 2000, une liste contenant l’indication et l’identification des parcelles dépendant de la ferme sise à … comme étant exploitées par lui.
Suivant courrier du 24 octobre 2000, le mandataire de l’époque de Monsieur… s’adressa au service d’économie rurale pour s’étonner du refus oral de ce service d’allouer à Monsieur… les primes sollicitées pour les surfaces sises à … au motif apparent que Madame… aurait demandé l’allocation des mêmes primes du chef de ces surfaces et pour préciser que cette dernière aurait quitté les lieux au début de l’année 2000, de manière qu’il serait absurde de lui attribuer des primes pour exploiter des terres sur lesquelles elle aurait perdu tous droits.
Le directeur du service d’économie rurale réagit par lettre du 7 novembre 2000 dans laquelle il confirma que Monsieur… s’était présenté en personne à son service et a versé des pièces supplémentaires « permettant de clarifier partiellement la situation ». Il fit remarquer que Madame… avait « formellement » déclaré à ses services qu’elle aurait exploité 19 parcelles relevant de la ferme de … et qu’elle n’aurait pas quitté les lieux en 2000, de manière que ses services ne seraient pas encore en mesure prendre une décision administrative tant que « la situation « à qui de droit » n’est pas clarifiée ».
Le mandataire de Monsieur… réagit en précisant par lettre du 16 novembre 2000 que Madame… aurait quitté la ferme en cause le 26 avril 2000, les étables ayant déjà été abandonnées par elle dès l’année 1998.
Le directeur du service d’économie rurale répondit par courrier du 29 novembre 2000 par l’affirmation que Monsieur… n’aurait pas fait de demande pour les primes de cultures, de sorte qu’il ne pourrait pas en obtenir, et en annonçant qu’une décision administrative concernant l’attribution des surfaces fourragères serait prise dans les meilleurs délais.
Par courrier du 19 janvier 2001, le ministre de l’Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural présenta à Monsieur… un projet de décision concernant l’attribution des surfaces de la ferme de … dans le cadre des demandes de primes soumises par ce dernier avec prière d’y prendre position dans la quinzaine.
Le mandataire de Monsieur… prit position en soutenant que le point de vue du ministre serait « erroné tant en fait qu’en droit » et en annonçant que la décision à intervenir serait attaquée devant le tribunal administratif si elle ne tenait pas compte des explications de ses clients.
En date du 9 février 2001, le ministre statua sur les demandes de Monsieur… en l’allocation des primes prévisées par une décision de la teneur suivante :
« Bezugnehmend auf Ihren obengenannten Flächenantrag, möchte ich Ihnen mitteilen, dass der Service d'Economie Rurale als zuständige Dienststelle nach Abschluss der verwaltungstechnischen Überprüfung des besagten Antrags folgendes festgestellt hat:
1. Für die Kulturprämien Für das Wirtschaftsjahr 2000/2001 haben Sie insgesamt 13,6230 ha Getreide für eine Kulturprämie angemeldet. Davon wurden 3,5100 ha nur von Ihnen geerntet, aber von einern anderen Betrieb gesät und ebenfalls für eine Kulturprämie gemeldet.
Die Meldung dieser Parzellen fand am 29. Mai statt, also lange nach den ortsüblichen Aussaatterminen. Der Service d'Economie Rurale geht also davon aus, dass diese 3,5100 ha Getreideparzellen nicht von Ihnen gemäss der geltenden EU-Richtlinien und gemäss den Richtlinien zur Durchführung in Luxemburg der Stützungsregelung für Erzeuger bestimmter landwirtschaftlicher Kulturpflanzen vom 16. März 2000, Kapitel 4 ( Getreide ), Absatz 3, erster Satz, bewirtschaftet wurden. Dieser besagt : « Um Gegenstand der Prämienbegünstigung zu sein, muss eine Getreidefläche nach ortsüblichen Normen ganzflächig eingesät sein und unter normalen Wachstumsbedingungen zumindest bis zum Blütebeginn gepflegt werden. » Die für Ihren Betrieb festgestellte Kulturenfläche für Getreide, nach abgeschlossener Verwaltungskontrolle beträgt 10,1130 ha. Die nach Abschluss der Verwaltungskontrolle festgestellte Differenz auf die von Ihnen beantragte Fläche beträgt 3,5100 ha, das sind 32,76 % der festgestellten Fläche.
Die zurückbehaltene Fläche für Getreide, nach Sanktion für Falschbeantragung laut abgeänderter Verordnung (EWG) Nr. 3887/92 der Kommission vom 23. Dezember 1992 mit Durchführungsbestimmungen zum integrierten Verwaltungs- und Kontrollsystem für bestimmte gemeinschaftliche Regelungen beträgt: 0 ha.
Dies wurde Ihnen in meinem Schreiben vom 19. Januar 2001 mitgeteilt. Das Schreiben der Anwaltskanzlei Gaston Vogel vom 1. Februar 2001 enthält keine neuen Argumente und Elemente, die zu einer anderen Beurteilung Ihres Falles führen könnten.
Daher treffe ich die Entscheidung, Ihnen für das Wirtschaftsjahr 2000/2001 keine Kulturprämien für Getreide auszuzahlen.
2. Berechnung der Futterflächen für die Prämien für Rindfleischerzeuger und Mutterkuhhalter :
Nach Abschluss der verwaltungstechnischen Überprüfung Ihres besagten Antrags möchte ich Ihnen des weiteren mitteilen, dass der Service d'Economie Rurale in bezug auf Ihre Meldung von Futterflächen folgendes festgestellt hat:
Die für Ihren Betrieb festgestellte Futterfläche beträgt insgesamt 76,3018 ha.
Die nach Abschluss der Verwaltungskontrolle festgestellte Differenz auf die von Ihnen beantragte Fläche beträgt 6,1112 ha, das sind 8,00 % der von Ihnen beantragten Fläche. Für das Wirtschaftsjahr 2000/2001 konnten Sie nicht den Nachweis erbringen, dass diese Flächen gemäss der abgeänderten Verordnung (EWG) Nr. 3887/92 der Kommission vom 23. Dezember 1992 mit Durchführungsbestimmungen zum integrierten Verwaltungs- und Kontrollsystem für bestimmte gemeinschaftliche Regelungen, Artikel 2, Absatz 1 unter c, sowie des großherzoglichen Reglements vom 14. April 2000 betreffend die Anwendung im Großherzogtum Luxemburg der Regelungen für Direktzahlungen zu Gunsten von Rindfleischerzeugern, Artikel 21, zweiter Absatz, vom 1. Januar 2000 bis zum 31. Juli 2000 für die Aufzucht von Rindern zur Verfügung standen. Die zurückbehaltene Futterfläche für Getreide, nach Sanktion für Falschbeantragung laut abgeänderter Verordnung (EWG) Nr. 3887/92 der Kommission vom 23. Dezember 1992 mit Durchführungsbestimmungen zum integrierten Verwaltungs- und Kontrollsystem für bestimmte gemeinschaftliche Regelungen beträgt 76,3018 - ( 2 x 6, 1112 ha) = 64, 0794 ha.
Dies wurde Ihnen in meinem Schreiben vom 19. Januar 2001 mitgeteilt. Das Schreiben der Anwaltskanzlei Gaston Vogel vom 1. Februar 2001 enthält keine neuen Argumente und Elemente, die zu einer anderen Beurteilung Ihres Falles führen könnten. Daher treffe ich die Entscheidung, Ihnen für das Wirtschaftsjahr 2000/2001 diese Fläche als Berechnungsgrundlage für alle davon abhängigen Prämien für Rindfleischerzeuger und Mutterkuhhalter zu berechnen.
Ich möchte Sie darauf hinweisen dass Sie die Möglichkeit haben, innerhalb einer Frist von drei Monaten, ab der Zustellung dieses Schreibens, durch einen Anwalt Einspruch gegen diese Entscheidungen beim Verwaltungsgericht einzureichen ».
A l’encontre de cette décision ministérielle du 9 février 2001, Monsieur… a fait introduire un recours en annulation par requête déposée le 9 mai 2001.
Aucune disposition légale ou réglementaire n’instaurant un recours au fond en la matière, le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur reproche au ministre d’avoir tenu comme établie la circonstance qu’il n’aurait pas cultivé lui-même 3,51 ha des parcelles déclarées relevant de la ferme de … sur la seule base apparente de l’existence d’une demande de primes analogue, basée sur la l’exploitation alléguée des mêmes parcelles émanant de Madame… et il fait valoir que les parcelles ayant figuré dans la liste par lui remise n’auraient pas été parmi celles encore occupées par Madame… jusqu’au mois d’avril 2000. Il renvoie à une communication du centre commun d’affiliation et de perception commun aux institutions de sécurité sociale ayant inclus l’ensemble des parcelles par lui déclarées pour le calcul du revenu agricole à prendre en compte pour l’assurance-accident. Il conclut qu’il aurait appartenu au ministre de faire vérifier en fait les affirmations de Madame…, d’autant plus que la réglementation communautaire applicable prévoirait expressément les contrôles sur place.
Le délégué du Gouvernement rétorque qu’un certain nombre de parcelles, énumérées dans le mémoire en réponse, avaient été déclarées tant par Monsieur… que par Madame… et qu’en raison de cette double déclaration des parcelles et de l’utilisation des surfaces par les deux exploitants, celles-ci n’auraient pu être prises en compte pour le calcul du paiement à la surface d’aucun des deux demandeurs, alors qu’aucun d’eux n’aurait pu remplir les conditions fondamentales à la prise en compte des parcelles concernées.
Concernant plus particulièrement les 3,51 ha de cultures arables déclarés par le demandeur, le représentant étatique souligne que le paiement à la surface serait subordonné à la condition de l’ensemencement et de l’entretien de la culture jusqu’au début de la floraison par un seul exploitant. Il estime qu’au vu des pièces versées au dossier, et plus particulièrement des factures documentant l’achat en septembre et octobre 1999 par Madame… de quantités de semences de colza industriel, d’orge d’hiver et de blé d’hiver dans des quantités correspondant aux surfaces litigieuses, le ministre aurait valablement pu conclure que le demandeur n’aurait pas ensemencé les parcelles par lui déclarées comme cultures arables.
En ce qui concerne les 6,1112 ha de surfaces fourragères, le délégué du Gouvernement fait valoir que celles-ci n’auraient pas pu être à la disposition du demandeur pendant toute la durée requise par la réglementation applicable, à savoir du 1er janvier au 31 juillet 2000, étant donné que Madame… n’a quitté la ferme qu’au mois d’avril 2000, et que l’affirmation du demandeur, par ailleurs non étayée par l’indication des parcelles cadastrales et surfaces correspondantes, que les parcelles occupées par Madame… ne seraient pas celles visées dans sa demande resterait à l’état d’une simple allégation. Le représentant étatique ajoute que la base de calcul des cotisations sociales ne peut être considérée comme preuve de l’exploitation effective par le demandeur de l’ensemble des parcelles de cultures arables et de surfaces fourragères, vu que ces données seraient basées sur les déclarations faites par l’exploitant et communiquées par le service d’économie rurale au centre commun de la sécurité sociale sans tenir compte d’éventuelles réductions de surfaces en vertu de la réglementation communautaire.
Le demandeur fait répliquer qu’il ressortirait des développements du délégué du Gouvernement que l’administration n’aurait procédé ni à une instruction administrative en bonne et due forme, ni à une vérification effective, mais se serait « basée uniquement sur les déclarations d’un autre exploitant ainsi que des suppositions hypothétiques non autrement vérifiées en fait ». Etant donné que la réglementation communautaire conférerait à l’administration le pouvoir de procéder à un contrôle sur place en cas de nécessité et au vu des circonstances exceptionnelles du dossier, le demandeur estime que le ministre n’aurait pas pu se fonder légitimement sur des déclarations unilatérales d’autrui et que la décision attaquée devrait encourir l’annulation pour être le résultat d’une erreur de fait sinon d’une erreur d’appréciation manifeste. Il déclare ne pas contester que Madame… a encore exploité certaines des parcelles attenantes à la ferme de … jusqu’au mois d’avril 2000, mais, après avoir énuméré les parcelles cadastrales afférentes, fait valoir qu’il s’agirait de surfaces autres que celles exploitées et déclarées par lui-même et que les factures d’achat soumises par Madame… seraient dès lors nécessairement en rapport avec les parcelles effectivement exploitées par cette dernière. Il formule une offre de preuve par voie de témoignage relativement au fait qu’il aurait entièrement ensemencé, cultivé et récolté du 1er janvier au 31 juillet 2000 les parcelles ayant figuré dans sa déclaration.
Il échet en premier lieu de dégager les conditions posées par les réglementations communautaire et nationale pour faire admettre un producteur au bénéfice des régimes de primes en cause en l’espèce.
Le règlement CEE n° 3508/92 du Conseil du 27 novembre 1992 établissant un système intégré de gestion et de contrôle relatif à certains régimes d’aides communautaires pose dans son article 1.4 l’exigence générale qu’une surface n’est qualifiée de parcelle agricole rentrant dans le champ des régimes d’aides communautaires que si elle constitue « une portion continue de terrain sur laquelle une seule culture est faite par un seul exploitant ».
Concernant les paiements à la surface pour les cultures arables, le règlement CE n° 2316/1999 de la Commission des CE portant modalités d’application du règlement CE n° 1251/1999 du Conseil de l’UE instituant un régime de soutien aux producteurs de certaines cultures arables pose dans son article 1.2 l’exigence fondamentale qu’ « une parcelle de culture ne peut faire l’objet de plus d’une demande de paiement à la surface pour la même campagne de commercialisation ».
Le même règlement n° 2316/1999 fixe encore dans son article 3 plusieurs conditions de base pour la prise en compte de surfaces éligibles, dont celles énoncées ci-après.
« Les paiements à la surface pour les cultures arables sont attribués uniquement pour des superficies :
….
b) entièrement ensemencées conformément aux normes locales. Lorsque des céréales sont semées en mélange avec des oléagineux ou des protéagineux ou que des oléagineux sont semés en mélange avec des protéagineux, le paiement à la surface appliqué est le paiement établi pour le montant le plus faible ;
c) sur lesquelles la culture est entretenue au moins jusqu’au début de la floraison dans des conditions de croissance normales. En ce qui concerne les graines oléagineuses, les cultures protéagineuses, le lin non textile et le blé dur, les cultures sont également entretenues conformément aux normes locales au moins jusqu’au 30 juin précédant la période de commercialisation en cause, à moins qu’une récolte n’ait lieu au stade de la pleine maturité avant cette date. Dans le cas des cultures protéagineuses, la récolte ne doit avoir lieu qu’après le stade de la maturité laiteuse ;
…. ».
Il ressort de ces dispositions communautaires qu’une parcelle ne peut faire l’objet d’une demande de paiement à la surface que si elle est exploitée par un seul producteur qui l’a ensemencée et entretenue jusqu’à la floraison de la culture.
Concernant les deux autres régimes d’aides, l’article 2 c) du règlement CEE n° 3887/92 de la Commission portant modalités d’application du système intégré de gestion et de contrôle relatif à certains régimes d’aides communautaires pose l’exigence que « chaque superficie fourragère doit être disponible pour l’élevage des animaux pour une période minimale de sept mois commençant à une date à déterminer par l’Etat membre, et cela entre le 1er janvier et le 31 mars ». Suivant l’article 21 alinéa 2 du règlement grand-ducal du 14 avril 2000 concernant l’application au Grand-Duché de Luxembourg des régimes de paiements directs en faveur des producteurs de viande bovine, la période minimale de disponibilité est fixée au Luxembourg de manière à commencer le 1er janvier et à expirer le 31 juillet.
Il résulte de ces dispositions communautaires et nationales que seul un producteur ayant eu une surface fourragère à sa disposition du 1er janvier au 31 juillet de l’année en cause peut inclure cette surface dans la superficie fourragère totale à la base de sa demande en octroi des primes en faveur de producteurs de viande bovine et à la vache allaitante.
Il y a lieu d’ajouter que l’article 8 du règlement CEE n° 3508/92, prévisé, investit l’autorité nationale compétente de la mission de procéder à un contrôle administratif des demandes d’aides, lequel consiste notamment, d’après l’article 6.2 a) du règlement CEE n° 3887/92, dans des vérifications croisées relatives aux parcelles et aux animaux déclarés.
En l’espèce, il résulte des éléments en cause, et plus particulièrement du courrier du mandataire de l’époque du demandeur du 16 novembre 2000, que Madame… avait occupé la ferme de …, du moins encore en partie, jusqu’au mois d’avril 2000 malgré la cessation du contrat de bail du 28 février 1985 et en attendant l’issue de la procédure judiciaire en cours engagée à son encontre afin d’obtenir son déguerpissement.
En se fondant sur cette prémisse et en présence des déclarations tant du demandeur que de Madame… affirmant avoir exploité certaines des parcelles attenantes à cette ferme conformément aux exigences dégagées ci-dessus, le ministre pouvait valablement émettre des doutes quant au droit tant du demandeur que de Madame… au bénéfice des primes en question, étant donné qu’aucun d’eux n’avait a priori satisfait aux conditions d’exploitation du moment de l’ensemencement jusqu’à la floraison, voire du 1er janvier au 31 juillet dans la mesure où Madame… pouvait être considérée, en sa qualité d’occupant de ladite ferme, comme n’ayant exploité les surfaces litigieuses que jusqu’au mois avril 2000 et le demandeur qu’à partir de cette même date.
Or, dans une telle hypothèse, le règlement CEE n° 3508/92 du Conseil du 27 novembre 1992 établissant un système intégré de gestion et de contrôle relatif à certains régimes d’aides communautaires investit l’autorité nationale compétente d’une mission de contrôle administratif, laquelle se trouve plus précisément circonscrite par l’article 6 du règlement CEE n° 3887/92 de la Commission du 23 décembre 1992, précité, qui, au-delà de la précision dans son alinéa 2 qu’elle comporte notamment des vérifications croisées selon les modalités y décrites, implique, à travers son alinéa 8, pour l’administration que « l’éligibilité des parcelles agricoles est vérifiée par tout moyen approprié. A cet effet, il est demandé, si nécessaire la fourniture de preuves supplémentaires ».
En l’espèce, il n’est établi en cause ni que le ministre ait fait procéder à des vérifications complémentaires, ni qu’il ait requis des preuves complémentaires de la part du demandeur ou de Madame… afin de faire tirer au clair si l’un d’eux satisfaisait aux conditions fixées par les réglementations communautaire et nationale en vue de l’octroi des aides communautaires en cause.
Alors même que le demandeur n’a pas fourni, d’après les éléments du dossier soumis au tribunal, au service d’économie rurale, hormis les contestations à l’égard des conclusions tirées par ce dernier sur base des éléments dont il disposait, des éléments concrets de nature à étayer sa thèse qu’il avait en fait repris l’exploitation des parcelles ayant fait l’objet d’une double déclaration avant le mois d’avril 2000, soit au moment de leur ensemencement pour les surfaces arables, soit dès avant le 1er janvier 2000 pour les surfaces fourragères, il a formulé dans son mémoire en réplique une offre de preuve par voie de témoignages tendant à établir l’exploitation effective par ses soins, en conformité avec les exigences réglementaires pour l’octroi des primes en question, des parcelles également déclarées par Madame….
Dans la mesure où le juge administratif saisi d’un recours en annulation a le droit et l’obligation d’examiner l’existence et l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée et de vérifier si les motifs dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision attaquée (Cour adm. 17 juin 1997, n° 9481C, Commune de Bourscheid, Pas. adm. 2001, v° Recours en annulation, n° 6, et autres décisions y citées), une partie à l’instance peut être admise à soumettre au juge administratif des preuves complémentaires pour prouver des faits avancés à la base de la motivation de son recours. Il s’ensuit que l’offre de preuve formulée par le demandeur dans son mémoire en réplique, laquelle tend précisément à établir l’exploitation effective par ses soins des parcelles ayant fait l’objet d’une double déclaration, est pertinente et peut apporter des éléments d’information concluants quant à la réalité de ses prétentions.
Il y a partant lieu de procéder, avant tout autre progrès en cause, à cette mesure d’instruction, étant remarqué qu’il y a lieu de rectifier l’erreur matérielle contenue dans cette offre de preuve dans le sens que la période du 1er janvier au 31 juillet 2001 est à remplacer par celle du 1er janvier au 31 juillet 2000.
PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond, avant tout autre progrès en cause, admet l’offre de preuve formulée par le demandeur, partant ordonne l’audition des témoins Monsieur … Monsieur … Monsieur … Monsieur…, afin de voir établis les faits suivants :
« pendant l'année culturale 1999-2000 et plus particulièrement pendant la période du 1er janvier au 31 juillet 2000, Monsieur …, cultivateur, demeurant à L- …, a ensemencé, entretenu et récolté les parcelles cadastrales suivantes, attenantes à l'exploitation agricole sise à L-6136 …, …:
- … n° fixe jour et heure pour l’enquête au mardi 19 mars 2002 à 14:30 heures, fixe jour et heure pour la contre-enquête au mardi 16 avril 2002 à 14:30 heures, chaque fois dans la salle d’audience du tribunal administratif, 1, rue du Fort Thüngen, L-1499 Luxembourg, charge le juge SCHROEDER de l’exécution de cette mesure d’instruction, ordonne aux parties de communiquer au greffe du tribunal pour le vendredi 5 avril 2002 au plus tard la liste des témoins à entendre lors de la contre-enquête, refixe l’affaire pour continuation des débats à l’audience publique du lundi 29 avril 2002 à 9:00 heures, réserve les frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 18 février 2002 par:
M. RAVARANI, président, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.
s. SCHMIT s. RAVARANI 10