La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/02/2002 | LUXEMBOURG | N°14007

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 février 2002, 14007


Tribunal administratif N° 14007 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 septembre 2001 Audience publique du 4 février 2002

==============================

Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

--------------------------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 14007 et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 septembre 2001 par Maître Jean MINDEN, avocat à la Cour, assisté de Maître Nadia ABDELKAD

ER, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ...

Tribunal administratif N° 14007 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 septembre 2001 Audience publique du 4 février 2002

==============================

Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

--------------------------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 14007 et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 septembre 2001 par Maître Jean MINDEN, avocat à la Cour, assisté de Maître Nadia ABDELKADER, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 15 mai 2001, notifiée le 7 juin 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 21 juin 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Nadia ABDELKADER en ses plaidoiries à l’audience publique du 28 janvier 2002.

------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

En date du 9 novembre 1998, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur… fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 10 août 1999, il fut entendu en outre par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 15 mai 2001, notifiée le 7 juin 2001, le ministre de la Justice informa Monsieur… que sa demande avait été rejetée au motif que la crainte par lui invoquée d’une condamnation pénale pour le fait de ne pas avoir accompli ses obligations militaires ne serait pas suffisante pour établir une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans son chef, ceci eu égard au fait notamment qu’une loi d’amnistie pour les déserteurs et réfractaires a été votée par le parlement yougoslave au mois de février 2001 et est entrée en vigueur en mars 2001. Concernant les déclarations du demandeur relatives à son appartenance à une minorité ethnique, le ministre a retenu que les craintes afférentes s’analyseraient en un sentiment général d’insécurité non constitutif en tant que tel d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. Il a signalé en outre que le régime politique en Yougoslavie aurait changé au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement ainsi qu’avec la mise en place d’un nouveau gouvernement sans la participation des partisans de l’ancien régime.

Par lettre du 11 juin 2001, Monsieur… introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 15 mai 2001.

Par décision du 21 juin 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée le 17 septembre 2001, Monsieur… a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions ministérielles prévisées des 15 mai et 21 juin 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée. Le recours en réformation formulé en ordre principal ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable.

Il convient de relever que l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, quoique valablement informé par une notification par voie du greffe du dépôt de la requête introductive d’instance du demandeur, n’a pas fait déposer de mémoire en réponse.

Nonobstant ce fait, l’affaire est néanmoins réputée jugée contradictoirement, en vertu de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Quant au fond, le demandeur expose qu’il a fui son pays d’origine par crainte de devoir combattre ses frères de confession musulmane au Kosovo dans le cadre des actions militaires de l’armée fédérale yougoslave, de sorte que son refus de donner suite à l’appel au service militaire aurait été fondé sur des motifs politiques et surtout religieux. Il relève en outre avoir subi des maltraitances et persécutions de la part de la police et signale qu’il serait un fait que les musulmans seraient traités de manière inacceptable au Monténégro, de sorte qu’il ne saurait être raisonnablement admis qu’il pourrait bénéficier d’un traitement de faveur dans son pays d’origine. Il relève d’ailleurs qu’entre-temps toute sa famille aurait dû quitter sa patrie. Estimant ainsi qu’en raison de son refus de donner suite à l’appel au service militaire, ainsi que de sa confession musulmane, il aurait démontré à suffisance une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève, le demandeur conclut à la réformation des décisions ministérielles déférées.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Monsieur….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur… lors de son audition en date du 10 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit de raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant d’abord le motif de persécution basé sur son appartenance à la minorité musulmane et la mauvaise situation générale de cette minorité au Monténégro et, plus particulièrement dans la région du Sandzak, il convient de relever qu’il est vrai que la situation des membres de minorités en Yougoslavie, notamment celle des musulmans, est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions.

Or, en l’espèce, les craintes exprimées par le demandeur constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’ils n’ait établi un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, respectivement sont insuffisantes pour établir que les nouvelles autorités en Yougoslavie ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de la Yougoslavie ou tolèrent, voire encouragent des agressions notamment à l’encontre des musulmans.

Concernant ensuite le motif invoqué de l’insoumission, il convient de rappeler que celle-ci n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié. Le tribunal constate que la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que la paix s’est établie dans la région originaire du demandeur, de sorte qu’il n’est pas établi qu’actuellement Monsieur… risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables. Il convient par ailleurs de relever que Monsieur… n’établit pas à suffisance de droit qu’une condamnation serait encore susceptible d’être prononcée à son encontre de ce chef, ceci au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave au mois de février 2001 et entrée en vigueur au mois de mars 2001, en vertu de laquelle les personnes ayant commis, jusqu’au 7 octobre 2000, le délit d’éloignement arbitraire et de désertion des unités de l’armée yougoslave, sont amnistiées.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 4 février 2002 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, M. Spielmann, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 14007
Date de la décision : 04/02/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-02-04;14007 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award