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04/02/2002 | LUXEMBOURG | N°14005

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 février 2002, 14005


Tribunal administratif Numéro 14005 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 septembre 2001 Audience publique du 4 février 2002 Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame … et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14005 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 septembre 2001 par Maître Jean MINDEN, avocat à la Cour, assisté de Maître Nadia ABDELKADER, avoc

at, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsie...

Tribunal administratif Numéro 14005 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 septembre 2001 Audience publique du 4 février 2002 Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame … et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14005 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 septembre 2001 par Maître Jean MINDEN, avocat à la Cour, assisté de Maître Nadia ABDELKADER, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … et de son épouse, Madame …, née le…, tous les deux de nationalité yougoslave, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et ……, demeurant actuellement ensemble à L–…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 9 août 2001, notifiée le 10 août 2001, et confirmant sur recours gracieux une décision du même ministre du 23 mai 2001, notifiée le 29 juin 2001, par laquelle leur demande en obtention du statut de réfugié politique a été rejetée comme étant non fondée ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Nadia ABDELKADER en ses plaidoiries à l’audience publique du 28 janvier 2002.

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Le 31 décembre 1998, Monsieur … et son épouse, Madame …, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et ……, introduisirent une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, les époux…-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

En date du 27 octobre 1999, les époux…-… furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur leur situation et sur les motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 23 mai 2001, notifiée en date du 29 juin 2001, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été refusée comme non fondée aux motifs que l’état d’insoumission de Monsieur… invoqué à l’appui de leur demande ne serait pas constitutif d’un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, de même que la crainte d’une sanction pénale afférente ne saurait être prise en compte à cet égard. Quant à la mauvaise situation politique au Monténégro invoquée par les époux…-… à l’appui de leur demande, le ministre a signalé qu’ils resteraient en défaut d’établir concrètement que leur situation individuelle serait telle qu’elle laisserait supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève. Il a relevé en outre qu’en octobre 2000 le régime politique aurait changé en République fédérale de Yougoslavie avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement ainsi qu’avec la mise en place d’un nouveau gouvernement sans la participation des partisans de l’ancien régime.

Les époux…-… ont fait introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 23 mai 2001 par courrier de leur mandataire datant du 23 juillet 2001. Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 9 août 2001, ils ont fait introduire, par requête déposée en date du 17 septembre 2001, un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions ministérielles prévisées des 23 mai et 9 août 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que seul un recours en réformation a pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Le recours subsidiaire en annulation est par voie de conséquence irrecevable.

Il convient de relever que l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, quoique valablement informé par une notification par voie du greffe du dépôt de la requête introductive d’instance des demandeurs, n’a pas fait déposer de mémoire en réponse.

Nonobstant ce fait, l’affaire est néanmoins réputée jugée contradictoirement, en vertu de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Quant au fond, les demandeurs, de nationalité yougoslave et de confession musulmane, font valoir que la décision ministérielle violerait la loi parce que le ministre n’aurait pas apprécié à sa juste valeur leur situation spécifique et subjective qui laisserait supposer une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève. Ils exposent qu’ils auraient fui leur pays d’origine, en l’occurrence le Monténégro, alors que Monsieur… aurait refusé d’être enrôlé dans l’armée fédérale yougoslave pour des motifs d’ordre politique et religieux, étant donné qu’il aurait refusé de tuer des gens appartenant à la même communauté religieuse que lui-même. Ils ajoutent que Monsieur… aurait subi des maltraitances et des persécutions de la part de la police en raison de sa confession musulmane et qu'en cas de retour dans son pays, il risquerait d'être gravement sanctionné pour avoir refusé de servir sous les drapeaux de l’armée fédérale yougoslave. Les demandeurs signalent par ailleurs que d’une manière générale les musulmans seraient traités de manière inacceptable au Monténégro et qu’entre temps, toute leur famille aurait dû quitter sa patrie. Les demandeurs exposent en outre avoir donné naissance à deux enfants qui sont nés au Luxembourg et font valoir que l’on ne saurait déraciner ces derniers de leur milieu de naissance où ils s’épanouiraient sainement et sans violence.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue.

L’examen des déclarations faites par les époux…-… lors de leurs auditions respectives, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le motif invoqué de l’insoumission, il convient de rappeler que celle-ci n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié. Le tribunal constate que la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que la paix s’est établie dans la région originaire du demandeur, de sorte qu’il n’est pas établi qu’actuellement Monsieur… risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables. Il convient par ailleurs de relever que Monsieur… n’établit pas à suffisance de droit qu’une condamnation serait encore susceptible d’être prononcée à son encontre de ce chef, ceci au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave au mois de février 2001 et entrée en vigueur au mois de mars 2001, en vertu de laquelle les personnes ayant commis, jusqu’au 7 octobre 2000, le délit d’éloignement arbitraire et de désertion des unités de l’armée yougoslave, sont amnistiées.

Concernant les craintes de persécutions des demandeurs en raison de leur confession musulmane et de la situation générale tendue dans leur pays d’origine, force est de constater qu’elles constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que les demandeurs n’aient établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que la vie leur serait actuellement, à raison, intolérable dans leur pays d’origine, de même qu’ils n’établissent pas qu’au moment de leur retour au pays, le gouvernement yougoslave ne serait pas en mesure d’offrir une protection appropriée à la population musulmane au Monténégro.

Il ressort de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef.

Cette conclusion ne saurait être énervée par les considérations avancées en cause tenant au fait que la demanderesse a donné naissance à deux enfants au Luxembourg, étant donné que le déracinement allégué dans leur chef en cas de retour dans leur pays d’origine ne saurait en tout état de cause s’analyser en une persécution ou une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties à l’instance, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 4 février 2002 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, M. Spielmann, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. SCHMIT s. LENERT 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 14005
Date de la décision : 04/02/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-02-04;14005 ?

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