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04/02/2002 | LUXEMBOURG | N°14002

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 février 2002, 14002


Tribunal administratif N° 14002 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 septembre 2001 Audience publique du 4 février 2002

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Recours formé par Messieurs … et … …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 14002 et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 septembre 2001 par Maître Valérie DUPONG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Or

dre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, ainsi que de son frère, Monsieur …, né le …, t...

Tribunal administratif N° 14002 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 septembre 2001 Audience publique du 4 février 2002

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Recours formé par Messieurs … et … …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 14002 et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 septembre 2001 par Maître Valérie DUPONG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, ainsi que de son frère, Monsieur …, né le …, tous les deux de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L- …, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 17 mai 2001, notifiée le 3 juillet 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Eric MULLER, en remplacement de Maître Valérie DUPONG, en ses plaidoiries à l’audience publique du 28 janvier 2002.

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En date du 19 mai 1999, Messieurs … et … … introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les consorts … furent entendus le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent ensuite entendus séparément le 23 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 17 mai 2001, notifiée le 3 juillet 2001, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été rejetée aux motifs que la seule crainte de peines du chef d’insoumission par eux invoquée ne serait pas constitutive d’un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, ceci d’autant plus qu’une loi d’amnistie serait entrée en vigueur. Le ministre signala par ailleurs que le régime politique en Yougoslavie aurait changé au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement, ainsi qu’avec la mise en place d’un nouveau gouvernement sans la participation des partisans de l’ancien régime.

Par lettre du 2 août 2001, les consorts … introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 17 mai 2001.

Par décision du 16 août 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée le 17 septembre 2001, les consorts … ont fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 17 mai 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Il y a lieu de relever qu’aucun mémoire n’a été déposé pour compte de l’Etat auquel le recours a été notifié par la voie du greffe en date du 17 septembre 2001, de sorte que conformément aux dispositions de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le tribunal est amené à statuer néanmoins à l’égard de toutes les parties par un jugement ayant les effets d’une décision contradictoire.

A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent avoir fui leur pays d’origine pour se soustraire à l’enrôlement dans l’armée fédérale yougoslave, ceci au motif qu’ils n’auraient pas voulu participer aux opérations militaires au Kosovo dans le cadre desquelles ils auraient été contraints de commettre des violences à l’encontre de la population civile albanaise. Ils estiment que le ministre aurait fait une appréciation inexacte de la situation actuelle dans leur région natale du Sandjak, ainsi que de leur situation personnelle en faisant valoir qu’ils subsisterait un doute sur la question de l’application effective de la loi d’amnistie adoptée au niveau fédéral de leur pays d’origine. Ils se réfèrent plus particulièrement à cet égard au cas d’un sous-officier déserteur de l’armée fédérale yougoslave, lequel aurait récemment été arrêté et conduit à la prison de Podgorica. Les demandeurs relèvent en outre qu’il paraîtrait que les personnes ayant trouvé refuge à l’étranger ne seraient pas couvertes par la loi d’amnistie. Ils soutiennent par ailleurs qu’en présence des tendances sécessionnistes de la présidence monténégrine, le danger d’un nouveau conflit armé ne pourrait pas être complètement écarté.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des consorts ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les consorts … lors de leurs auditions respectives en date du 23 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le principal motif de persécution dont les demandeurs font état, à savoir leur situation d’insoumis, il convient de rappeler que l’insoumission ou la désertion ne sont pas, en elles-mêmes, des motifs justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elles ne sauraient, à elles seules, fonder dans le chef des demandeurs, une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que les consorts … risquent de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables ou que des traitements discriminatoires, en raison de leur appartenance ethnique et de leur religion, risquaient ou risquent de leur être infligés ou encore que la condamnation qu’ils risquent d’encourir en raison de leur insoumission alléguée serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, les demandeurs n’établissent pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Concernant l’allégation relative à une non application généralisée de ladite loi d’amnistie, illustrée par les demandeurs par référence notamment à un extrait du journal « Vesti » du 13 mars 2001, se rapportant au cas du sous-officier …, qui lors de son retour en Yougoslavie, aurait été arrêté et emprisonné en raison de sa désertion, il convient en premier lieu de relever qu’au delà des termes mêmes de la loi d’amnistie ainsi que des infractions qui en font l’objet, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés a au contraire exprimé l’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’auraient pas pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13853C du rôle, non encore publié).

En outre, il convient d’ajouter que l’extrait du journal « Vesti » invoqué par les demandeurs pour soutenir leurs doutes au sujet de l’application effective de la loi d’amnistie ne saurait être utilement retenu pour invalider la conclusion ci-avant dégagée. En effet, à admettre son authenticité, il ne permet en tout état de cause pas à situer avec toute la certitude requise l’infraction pénale y visée dans le temps. Par ailleurs, ladite pièce ne renseigne pas sur les suites et aboutissements que la procédure éventuellement menée a connu.

Il ressort de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 4 février 2002 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, M. Spielmann, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 14002
Date de la décision : 04/02/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-02-04;14002 ?

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