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04/02/2002 | LUXEMBOURG | N°13986

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 février 2002, 13986


Tribunal administratif N° 13986 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 septembre 2001 Audience publique du 4 février 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13986 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 septembre 2001 par Maître Marc BOEVER, avocat à la Cour, assisté

de Maître Olivier LANG, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg...

Tribunal administratif N° 13986 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 septembre 2001 Audience publique du 4 février 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13986 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 septembre 2001 par Maître Marc BOEVER, avocat à la Cour, assisté de Maître Olivier LANG, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, …, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 20 avril 2001, notifiée le 8 juin 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 9 août 2001;

Vu la constitution de nouvel avocat déposée le 10 décembre 2001 au greffe du tribunal administratif, par laquelle Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, déclare qu’il a mandat d’occuper et qu’il occupe pour le demandeur en remplacement de Maître Marc BOEVER, préqualifié ;

Vu la lettre du 29 janvier 2002 de Maître Olivier LANG, déposée au greffe du tribunal administratif, par laquelle il informe le tribunal de ce que son mandant a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Olivier LANG en ses plaidoiries à l’audience publique du 28 janvier 2001.

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En date du 12 octobre 1998, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur… fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut ensuite entendu en date du 12 août 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 20 avril 2001, notifiée le 8 juin 2001, le ministre de la Justice informa Monsieur… que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté le Monténégro en octobre 1998.

Des passeurs vous ont conduit au Luxembourg en passant par la Bosnie, la Croatie, la Slovénie, l’Italie et la France. Vous êtes arrivé le 12 octobre 1998 et votre demande en obtention du statut de réfugié date du même jour.

Vous exposez que vous n’auriez pas encore fait le service militaire, mais que vous auriez passé le contrôle d’aptitude physique pour l’armée. Vous auriez dû être enrôlé en septembre 1998, mais vous auriez réussi à fuir. Vous risqueriez maintenant d’être condamné à une peine d’emprisonnement. Vous auriez quitté votre pays à cause de l’armée et du nationalisme. Vous précisez que vous auriez été frappé par des camardes de classe du fait de votre confession musulmane. Vous accepteriez éventuellement de retourner dans votre pays d’origine en cas d’amnistie et d’indépendance du Monténégro. Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Monsieur, l’insoumission est insuffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution. De même, la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte de persécution au sens de la prédite Convention. En outre, il n’est pas établi que l’appartenance à l’armée imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser. Enfin, rappelons qu’une loi d’amnistie a été adoptée par le Parlement de la République fédérale yougoslave au mois de février 2001.

Les autres motifs que vous invoquez (maltraitance) ne sont pas de nature à constituer une crainte justifiée de persécution pour un des motifs énoncés à la Convention de Genève.

Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » Par lettre du 9 juillet 2001, Monsieur… introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 20 avril 2001.

Par décision du 9 août 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée le 12 septembre 2001, Monsieur… a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions prévisées du ministre de la Justice des 20 avril et 9 août 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur expose qu’il est originaire du Monténégro et qu’il appartient à la minorité musulmane du Sandzak. Il expose plus particulièrement qu’au courant de l’année 1998 il fut informé oralement qu’il allait recevoir une convocation pour le service militaire pour le mois de septembre 1998 et qu’il préféra quitter son pays, ne voulant intégrer l’armée yougoslave pour combattre sur le front kosavar ses co-religionnaires du Kosovo, de sorte qu’il serait actuellement considéré comme insoumis et qu’il risquerait une lourde peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à vingt ans en cas de retour dans son pays. Le demandeur expose en outre avoir été victime au courant de ses études, que ce soit à l’école de Bijelo Polje ou plus tard dans une école à Belgrad, de maltraitances de la part des autres élèves en raison de sa religion musulmane. Finalement, le demandeur affirme que la loi d’amnistie actuellement en vigueur en Yougoslavie risquerait de ne pas lui être applicable.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Monsieur….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur… lors de son audition en date du 12 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le principal motif de persécution dont le demandeur fait état, à savoir sa situation d’insoumis, il convient de rappeler que l’insoumission ou la désertion ne sont pas, en elles-mêmes, des motifs justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elles ne sauraient, à elles seules, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, A.2, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur… risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables ou que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de sa désertion serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Concernant l’allégation relative à une non-application généralisée de ladite loi d’amnistie dans la région d’origine du demandeur, il convient de relever qu’au-delà des termes mêmes de la loi d’amnistie ainsi que des infractions qui en font l’objet, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés a exprimé l’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et qu’il n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’auraient pas pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13853C du rôle, non encore publié).

L’interprétation donnée par le mandataire du demandeur quant à l’applicabilité de ladite loi d’amnistie aux seuls déserteurs et insoumis en temps de paix et non pas à ceux qui se sont soustraits à leurs obligations militaires en temps de guerre n’entraîne pas la conviction du tribunal, alors que pareille interprétation reviendrait à vider cette loi de toute sa substance et aurait conduit en République fédérale yougoslave à des poursuites judiciaires massives, contrairement à l’avis exprimé par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés, la grande majorité des insoumis et déserteurs de l’armée yougoslave s’étant soustrait à leurs obligations au moment des conflits armées. En outre, une non-application systématique de la loi d’amnistie aux insoumis et déserteurs visés par l’article 226 du Code pénal yougoslave est à exclure, alors que ce dernier ne vise que la circonstance aggravante de l’insoumission commise en temps de guerre ou en cas d’un danger direct de guerre et renvoie pour les éléments constitutifs de l’infraction à l’article 214 du Code pénal yougoslave tombant dans le champ d’application de la loi d’amnistie actuellement en vigueur.

Concernant ensuite les craintes de persécution du demandeur en raison des maltraitances subies dans le passé, de sa confession musulmane et de la situation générale au Sandzak, force est de constater que les faits par lui invoqués ne sont pas suffisamment graves pour établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné qu’il ne ressort pas des éléments du dossier que le demandeur, considéré individuellement et concrètement, risque de subir des traitements discriminatoires en raison de son appartenance ethnique ou de sa religion ou que de tels traitements lui auraient été infligés dans le passé.

Il ressort de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Il convient de relever que l’Etat, quoique valablement informé par une notification par la voie du greffe du dépôt de la requête introductive d’instance du demandeur, n’a pas fait déposer de mémoire en réponse. Nonobstant ce fait, l’affaire est néanmoins réputée jugée contradictoirement en vertu de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de la procédure devant les juridictions administratives.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;

donne acte au demandeur qu’il bénéficie de l’assistance judiciaire ;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 4 février 2002 par:

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, M. Spielmann, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13986
Date de la décision : 04/02/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-02-04;13986 ?

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