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01/02/2002 | LUXEMBOURG | N°14519

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 01 février 2002, 14519


Tribunal administratif N° 14519 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 janvier 2002 Audience publique extraordinaire du 1er février 2002

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Recours formé par Madame …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du gouvernement

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JUGEMENT

Vu la requête déposée en date du 30 janvier 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Mathias PONCIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à

Luxembourg, au nom de Madame …, de nationalité ukrainienne, demeurant à L-…, tendant à la réformat...

Tribunal administratif N° 14519 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 janvier 2002 Audience publique extraordinaire du 1er février 2002

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Recours formé par Madame …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du gouvernement

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JUGEMENT

Vu la requête déposée en date du 30 janvier 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Mathias PONCIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, de nationalité ukrainienne, demeurant à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 29 janvier 2002 ordonnant son placement au Centre pénitentiaire pour une durée maximale d'un mois en attendant son éloignement;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er février 2002;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Mathias PONCIN, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique extraordinaire de ce jour à 9.00 heures.

Par décision du 20 septembre 2001, signée par le ministre de la Justice, d'une part, et ministre du Travail et de l'Emploi, d'autre part, Madame … s'est vue refuser l'autorisation de séjour qu'elle avait sollicitée le 22 mai 2001. La même décision l'invita à quitter le territoire du Grand-Duché de Luxembourg dans le délai d'un mois. Sur recours gracieux, les mêmes ministres confirmèrent leur refus par décision du 24 octobre 2001. Par requête déposée le 11 janvier 2002, inscrite sous le numéro 14422 du rôle, Madame … a introduit un recours contentieux contre la prédite décision ministérielle.

Par décision du 29 janvier 2002, le ministre de la Justice ordonna le placement de Madame … au Centre pénitentiaire pour une durée maximale d'un mois, en attendant son éloignement du territoire.

2 La décision de placement est fondée sur les considérations et motifs suivants:

« Considérant que l’intéressée se trouve en séjour irrégulier au Luxembourg;

- qu’elle n’est pas en possession de moyens d’existence personnels légalement acquis;

- qu’elle est susceptible de constituer un danger pour l’ordre et la sécurité publics;

- que son éloignement immédiat n’est pas possible;

Considérant que des raisons tenant à un risque de fuite nécessitent, dans l’attente de son éloignement, que l’intéressée soit placée au Centre Pénitentiaire de Luxembourg ».

Par requête déposée le lendemain, inscrite sous le numéro 14519 du rôle, elle a introduit un recours en réformation contre la prédite décision.

L’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3. l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère instituant un recours de pleine juridiction contre une mesure de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision ministérielle déférée.

Le recours ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

La demanderesse expose qu’elle réside au Grand-Duché de Luxembourg depuis la fin de l’année 1999 et que depuis lors, elle demeure auprès d’une famille L. à Niedercorn « qui l’occupe dans le cadre de son exploitation familiale en tant qu’aide jardinière et femme de charge ».

Elle reconnaît avoir été en séjour irrégulier, mais elle soutient avoir tout entrepris pour parvenir à une régularisation de sa situation dans le cadre de la procédure de régularisation entamée par les autorités luxembourgeoises.

Sur ce, elle soutient disposer de moyens d’existence propres, qu’elle ne constituerait pas un danger pour l’ordre ou la sécurité publics et qu’il n’y aurait aucun risque de fuite dans son chef, de sorte que les conditions justifiant son éloignement ainsi que son placement ne seraient pas remplies.

Le délégué du gouvernement soutient que les conditions justifiant la décision de mise à disposition du gouvernement entreprise seraient remplies, au motif que la demanderesse serait dépourvue de moyens d’existence légaux, que son rapatriement immédiat serait matériellement impossible et qu’il y aurait un risque qu’elle se soustraie à la mesure d’éloignement.

Il convient en premier lieu d’écarter l’ensemble des arguments présentés par la demanderesse relativement à la procédure de régularisation ayant abouti à la décision ministérielle précitée du 20 septembre 2001, qui fait l’objet d’un autre recours contentieux introduit par la demanderesse, pour manque de pertinence dans le cadre du recours sous analyse.

Au fond, il se dégage de l’article 15, paragraphe (1) de la loi précitée du 28 mars 1972 que lorsque l’exécution d’une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 ou 12 de la même loi est impossible en raison des circonstances de fait, l’étranger 3 peut, sur décision du ministre, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée d’un mois.

Il en découle qu’une décision de placement au sens de la disposition précitée présuppose une mesure d’expulsion ou de refoulement légalement prise ainsi que l’impossibilité d’exécuter cette mesure.

Il se dégage du dossier et des renseignements dont dispose le tribunal que l’éloignement de l’intéressée est basé sur une mesure de refoulement qui, en vertu de l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972, peut être prise, « sans autre forme de procédure que la simple constatation du fait par un procès-verbal », à l’égard d’étrangers non autorisés à résidence, notamment « …. 4. qui ne sont pas en possession des papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis … ».

Il convient donc en premier lieu de vérifier la légalité de la mesure de refoulement, condition préalable à la légalité de toute décision de placement.

En l’espèce, il est constant en cause que la demanderesse n’était pas en possession du visa requis ou d’un autre titre de séjour valable.

Le défaut d’un titre autorisant l’entrée et le séjour au pays est un motif légal justifiant une mesure de refoulement, susceptible de servir de base à la mesure de placement prise en exécution de l’article 15 de la loi précitée du 28 mars 1972.

Il se dégage des considérations qui précèdent que, indépendamment de toutes considérations relativement à l’existence de moyens personnels suffisants dans son chef, la demanderesse était sous le coup d’une décision de refoulement légalement prise et justifiée, qui constitue une base légale de la décision de placement, cette conclusion n’étant pas ébranlée par le fait que la demanderesse a entamé des procédures judiciaires à l’encontre de la décision refusant de régulariser sa situation.

Il se dégage par ailleurs des éléments de la cause que la mesure d’éloignement ne pouvait pas être immédiatement exécutée, étant donné que le rapatriement - en Ukraine -

nécessite l’accomplissement de diverses formalités, de sorte que la condition afférente est également vérifiée.

Il convient ensuite d’analyser le moyen de la demanderesse tiré de l’inexistence d’un danger de fuite dans son chef.

Une mesure de placement ne se justifie qu’au cas où il existe encore dans le chef de la personne qui se trouve sous le coup d’une décision de refoulement, un danger réel qu’elle essaie de se soustraire à la mesure de rapatriement ultérieure.

En l’espèce, il échet de relever qu’il ressort des éléments du dossier que la demanderesse n’a pas l’intention de retourner dans son pays d’origine, de sorte qu’il existe un risque qu’elle essaie de se soustraire à la mesure d’éloignement ultérieure.

Il convient encore d’analyser si, en l’espèce, le Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig constitue l’« établissement approprié » tel que visé par l’article 15 paragraphe (1) de la loi précitée du 28 mars 1972. En effet, l’incarcération dans un centre pénitentiaire, sans 4 que l’intéressé ne soit poursuivi ou condamné pour une infraction pénale, ne se justifie qu’au cas où, en outre, cette personne constitue un danger pour la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics. La privation de liberté par l’incarcération dans un centre pénitentiaire doit constituer une mesure d’exception, à appliquer seulement en cas d’absolue nécessité et il échet d’éviter une telle mesure dans tous les cas où la personne visée par une mesure de placement ne remplit pas les conditions précitées et qu’elle peut être retenue et surveillée par le gouvernement d’une autre manière afin d’éviter qu’elle se soustraie à son éloignement ultérieur.

S’il est vrai que le placement des étrangers concernés dans une partie déterminée des locaux du Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, où ils seraient séparés des autres détenus et soumis à un régime spécial, adapté à leur situation spécifique, serait, le cas échéant, de nature à constituer un établissement approprié au sens de l’article 15 précité, le tribunal doit cependant constater qu’à l’heure actuelle, les étrangers placés au Centre Pénitentiaire ne sont pas installés dans une telle structure déterminée et spéciale dans l’enceinte dudit Centre Pénitentiaire, mais qu’ils se trouvent parsemés dans les différents quartiers de la prison, mélangés avec les autres détenus et soumis au régime applicable à ceux-ci.

En l’absence d’indications soit, en général, quant à un changement de cet état des choses, soit, en l’espèce, quant à un traitement spécifique de l’intéressée, et comme les éléments du dossier n’établissent pas à suffisance de droit que la demanderesse constitue un danger pour la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics, c’est-à-dire à défaut d’une dangerosité particulière dans son chef, son placement au Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, ensemble avec des personnes condamnées par une juridiction correctionnelle ou criminelle ou en détention provisoire sur base d’une poursuite pénale, n’est pas approprié.

L’argumentation consistant à soutenir que l’absence d’un autre établissement approprié justifierait une incarcération systématique des personnes visées au Centre Pénitentiaire ne saurait emporter la conviction du tribunal et est à écarter.

En l’absence d’un établissement approprié existant sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, il appartient au tribunal de décider, par réformation d’une décision ministérielle de placement, ce qu’il faut entendre par établissement approprié, au sens de l’article 15, paragraphe (1) de la loi précitée du 28 mars 1972. Au vu des faits de l’espèce, il convient d’ordonner le placement de la demanderesse dans une chambre d’un foyer ou dans tout autre local similaire approprié, à surveiller par la force publique afin d’éviter qu’elle ne se soustraie à la mesure d’éloignement ultérieure.

Enfin, le tribunal doit encore se déclarer incompétent pour connaître de la demande formulée par Madame … dans le dispositif de sa requête introductive de la présente instance tendant à se faire reconnaître un droit de séjour au Luxembourg « jusqu’à ce qu’il y ait une décision définitive coulée en force de chose jugée pour ce qui est de sa demande en autorisation de séjour ».

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

5 reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond, le déclare partiellement justifié;

partant annule la décision ministérielle du 29 janvier 2002 dans la mesure où elle a, en plus du placement de Madame …, ordonné son incarcération au Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig et, par réformation, ordonne le placement de l’intéressée dans un établissement approprié, tel une chambre d’un foyer ou tout autre local similaire approprié, à surveiller par un agent des forces de l’ordre afin d’éviter qu’elle ne se soustraie à la mesure d’éloignement ultérieure du territoire luxembourgeois et renvoie le dossier au ministre de la Justice pour prosécution;

se déclare incompétent pour connaître de la demande tendant à la reconnaissance d’un droit de séjour au Luxembourg « jusqu’à ce qu’il y ait une décision définitive coulée en force de chose jugée pour ce qui est de sa demande en autorisation de séjour »;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique extraordinaire du 1er février 2002 à 14.00 heures par M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 14519
Date de la décision : 01/02/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-02-01;14519 ?

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