La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/01/2002 | LUXEMBOURG | N°13949

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 30 janvier 2002, 13949


Tribunal administratif N° 13949 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 septembre 2001 Audience publique du 30 janvier 2002

===============================

Recours formé par Monsieur … et par son épouse, Madame … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

------------------------------------------------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13949 du rôle, déposée le 5 septembre 2001 au greffe du tribunal administratif par Ma

ître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg...

Tribunal administratif N° 13949 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 septembre 2001 Audience publique du 30 janvier 2002

===============================

Recours formé par Monsieur … et par son épouse, Madame … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

------------------------------------------------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13949 du rôle, déposée le 5 septembre 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, et de son épouse, Madame …, née le …, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 23 mai 2001, notifiée le 28 juin 2001, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 8 août 2001 prise sur recours gracieux, portant toutes les deux rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH en ses plaidoiries à l’audience publique du 21 janvier 2002.

----------------------------------------------------------------------------------------------------------

En date du 4 décembre 1998, Monsieur … et son épouse, Madame …, préqualifiés, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et …, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, ils furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Les époux …-… furent entendus séparément en date du 13 octobre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 23 mai 2001, notifiée en date du 28 juin 2001, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations qu’en date du 30 octobre 1988 vous avez quitté Novi Pazar pour vous rendre d’abord à Belgrade, ensuite à Budapest en Hongrie où vous êtes restés environ vingt jours. Vous avez ensuite traversé la frontière slovène à pied. Vous avez séjourné en Slovénie jusqu’au 3 décembre 1998, date à laquelle vous avez passé la frontière italienne à pied. Vous avez ensuite été amenés au Luxembourg à bord d’une voiture. Vous êtes arrivés au Luxembourg le 4 décembre 1998.

Vous avez déposé une demande en obtention du statut de réfugié le jour de votre arrivée.

Vous, Monsieur, vous exposez que vous n’êtes pas membre d’un parti politique et que vous n’avez pas d’opinions politiques. Vous dites que vous avez quitté votre pays en raison de la guerre. Vous n’osez pas retourner tant que les mêmes gens sont au pouvoir, qui, selon vous, ont l’intention de nettoyer le Sandjak de tous les musulmans.

Vous ajoutez finalement qu’il n’y a pas de travail dans votre pays.

En ce qui vous concerne, Madame, vous confirmez les dires de votre mari auxquels vous vous ralliez.

Concernant les mauvaises situations politique et économique de la Serbie en général et au Sandjak en particulier, ainsi que la situation particulière des ressortissants de confession musulmane, je signale que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais également et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile, qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Force est de constater que le conflit armée en ex-Yougoslavie et le Kosovo est terminé et qu’une situation de paix s’est établie dans la région. J’ajoute qu’en octobre 2000 le régime politique a changé en République Fédérale de Yougoslavie par la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Les partis démocratiques ont obtenu la majorité absolue lors des élections législatives du 23 décembre 2000 en Serbie. La République Fédérale de Yougoslavie a retrouvé sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par sa réadmission à l’ONU et à l’OSCE.

Il ne résulte pas non plus de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécutés dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez tous les deux aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » Par lettre du 27 juillet 2001, les demandeurs introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 23 mai 2001.

Par décision du 8 août 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 5 septembre 2001, les demandeurs ont fait introduire un recours en réformation à l’encontre des deux décisions ministérielles des 23 mai et 8 août 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises. Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent être de religion musulmane et être originaires de la ville de Novi Pazar (Serbie/Yougslavie), située dans la province du Sandzak et qu’ils auraient fui leur région d’origine en raison de la peur de la guerre.

Les demandeurs ajoutent que Monsieur … aurait eu peur d’être convoqué pour la réserve. Ils font ajouter qu’ils risqueraient en outre d’être persécutés en raison de leur confession musulmane et en raison du fait que les autorités yougoslaves voudraient « nettoyer » le Sandzak de tous les musulmans. Les demandeurs font encore ajouter que Monsieur … aurait été discriminé à son lieu de travail et que leur maison aurait été dévastée par des groupes paramilitaires en raison du refus de Monsieur … de rejoindre l’armée yougoslave, après avoir reçu un appel pour l’armée.

En substance, les demandeurs reprochent au ministre de la Justice d’avoir méconnu leur situation spécifique qui serait telle qu’en raison des faits ci-avant exposés, en cas de retour dans leur pays d’origine, ils seraient exposés à un risque de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux …-… lors de leurs auditions respectives en date du 13 octobre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le motif de persécution dont Monsieur … fait état dans son recours contentieux, à savoir son insoumission, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder, dans le chef des demandeurs, une crainte justifiée d’être persécuté dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur … risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables ou que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur … n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Concernant la situation générale des musulmans au Sandzak, il y a lieu de constater que, s’il est vrai que leur situation générale est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage, que considérés individuellement et concrètement, les demandeurs risquent de subir des traitements discriminatoires. Or, en l’espèce, les craintes de persécution des demandeurs en raison de leur confession musulmane et de la situation générale tendue dans leur région d’origine constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’ils n’aient établi concrètement un état de persécution personnel vécu ou une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine.

Dans ce contexte, les seuls faits concrets soumis à l’appréciation du tribunal et dont les demandeurs n’avaient pas fait état dans le cadre de leurs auditions respectives du 13 octobre 1999, à savoir la prétendue discrimination dont Monsieur … a été victime à son lieu de travail, la prétendue destruction de leur maison par des groupes paramilitaires et la crainte de persécution de la part des autorités en place en raison du soutien des demandeurs de l’adhésion du Sandzak à la Bosnie, même à les supposer établis, ne constituent pas des motifs susceptibles de voir reconnaître aux demandeurs le statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève.

Il convient encore de rappeler qu’en la présente matière, saisi d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance des demandeurs et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de leur départ. Dans ce contexte il y a lieu de relever qu’il est indéniable que depuis le départ des demandeurs, la situation politique en Yougoslavie s’est considérablement modifiée, qu’un processus de démocratisation est en cours, et que les demandeurs n’ont pas fait état d’une raison suffisante justifiant à l’heure actuelle qu’ils ne puissent pas utilement se réclamer de la protection des nouvelles autorités.

Finalement, force est de constater que les craintes de persécution invoquées en l’espèce se cristallisent autour de la seule situation au Sandzak et que les demandeurs restent en défaut d’établir qu’ils ne peuvent trouver refuge dans une autre partie de leur pays d’origine, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité sans restriction territoriale.

Il ressort des développements qui précèdent que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Le recours en réformation est partant à rejeter comme n’étant pas non fondé.

Nonobstant le fait que l’Etat n’a pas fait déposer de mémoire en réponse, le tribunal est néanmoins appelé, conformément à l’article 6 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de la procédure devant les juridictions administratives, à statuer à l’égard de toutes les parties.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 30 janvier 2002 par le premier juge en présence de M.

Schmit, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13949
Date de la décision : 30/01/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-01-30;13949 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award