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30/01/2002 | LUXEMBOURG | N°13873

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 30 janvier 2002, 13873


Numéro 13873 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 août 2001 Audience publique du 30 janvier 2002 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13873 du rôle, déposée le 16 août 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats

à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité yougoslave, demeurant actuellem...

Numéro 13873 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 août 2001 Audience publique du 30 janvier 2002 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13873 du rôle, déposée le 16 août 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L- …, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 30 avril 2001, notifiée le 1er juin 2001, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 6 juillet 2001 prise sur recours gracieux, portant toutes les deux rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 4 décembre 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 janvier 2002.

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En date du 2 juin 1999, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut ensuite entendu le 20 janvier 2000 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 30 avril 2001, notifiée le 1er juin 2001, le ministre de la Justice informa Monsieur… que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté le Monténégro en avril 1999 pour vous rendre en Bosnie. Un passeur vous a conduit au Luxembourg en passant par la Croatie, la Slovénie, l’Italie et la France. Vous ne pouvez pas donner d’indications en ce qui concerne le trajet. Vous êtes arrivé au Luxembourg en date du 1er juin 1999. Votre demande en obtention du statut de réfugié date du lendemain de votre arrivée.

Vous exposez que la police militaire serait venue à votre domicile en date du 10 avril 1999 pour venir chercher votre frère …. Les policiers auraient menacé votre mère de vous emmener à la place de votre frère si elle ne révélait pas où il se trouvait. Le 17 avril 1999, des policiers seraient venus à votre domicile. Ils vous auraient conduit au poste de Rozaje où vous auriez été interrogé. Vous auriez été soupçonné d’avoir fourni de l’aide et des médicaments aux Albanais du Kosovo. Vous précisez que vous auriez été giflé par un des policiers. En août 1999, vous auriez reçu un appel pour vous présenter de nouveau au poste de police de Rozaje. Votre père aurait cependant renvoyé l’appel, car vous n’étiez pas là.

Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique.

Force est de constater que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par le situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Le fait d’avoir subi un interrogatoire policier lors duquel vous auriez été giflé et le fait d’avoir reçu une nouvelle convocation pour vous présenter au poste de police, même à supposer ces faits établis, ne sauraient à eux seuls constituer un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié.

Vos motifs traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 2 juillet 2001, le demandeur introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 30 avril 2001. Par décision du 6 juillet 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée le 16 août 2001, Monsieur… a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions précitées du ministre de la Justice des 30 avril et 6 juillet 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2. d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigé contre les décisions ministérielles entreprises. Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et de la loi, il est recevable.

Quant au fond, le demandeur expose être de religion musulmane et originaire de la Ville de Rozaje au Monténégro. Il reproche au ministre une appréciation erronée des faits à la base de sa demande d’asile et soutient qu’une appréciation plus juste des éléments en cause aurait dû conduire à une reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Le demandeur expose plus particulièrement que la police militaire, à la recherche de son frère, serait venue à son domicile le 10 avril 1999 et aurait menacé sa mère de divulguer l’endroit où se cachait son frère sous la menace qu’il serait emmené au lieu et place de son frère. Le demandeur fait ajouter qu’il aurait été emmené le 17 avril 1999 ensemble avec son père au poste de police de Rozaje pour un interrogatoire, étant soupçonné de fournir de l’aide et des médicaments aux Albanais du Kosovo, et qu’à cette occasion il aurait reçu deux gifles par un policier. Finalement, le demandeur fait encore ajouter que son père aurait été arrêté le 24 avril 1999 lors d’un contrôle de routine, mais qu’il serait resté en liberté par la suite. Après son départ de sa région d’origine début juin 1999, le demandeur aurait encore reçu au courant du mois d’août 1999 une convocation pour se présenter au poste de police de Rozaje en raison d’un prétendu « délit contre l’Etat », mais qu’en raison de son départ pour le Luxembourg il n’aurait pas réservé une suite favorable à cet appel.

Le représentant étatique soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, v° Recours en réformation, n° 11, p. 407).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 5 avril 2001, n° 12801C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur… lors de son audition en date du 20 janvier 2000, telle que celle-ci a été relatée dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Force est de constater que le demandeur fait uniquement état d’un sentiment général d’insécurité, mais non pas d’un quelconque fait personnel concret établissant un état de persécution personnel vécu où une crainte qui serait telle que sa vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine. C’est à bon droit que, dans ce contexte, le délégué du Gouvernement soutient que le seul fait concret allégué à savoir un interrogatoire par la police yougoslave, ne saurait justifier une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. D’autre part, la référence à une prétendue convocation intervenue au mois d’août 1999 pour « délit contre l’Etat » est trop vague pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans le chef du demandeur.

Il convient encore de rappeler qu’en la présente matière, saisi d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions entreprises à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ et de mettre en lumière, qu’il est indéniable que depuis le départ du demandeur, la situation politique en Yougoslavie s’est considérablement modifiée et qu’un processus de démocratisation est en cours et que le demandeur n’a pas fait état d’une raison suffisante justifiant à l’heure actuelle qu’il ne puisse pas utilement se réclamer de la protection des nouvelles autorités. A noter d’ailleurs que dans son interrogatoire du 20 janvier 2000, le demandeur a lui même affirmé que sa famille n’aurait plus connu de problèmes depuis le mois d’avril 1999.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 30 janvier 2002 par le premier juge en présence de M.

Schmit, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13873
Date de la décision : 30/01/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-01-30;13873 ?

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