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30/01/2002 | LUXEMBOURG | N°13678

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 30 janvier 2002, 13678


Tribunal administratif N° 13678 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 juin 2001 Audience publique du 30 janvier 2002

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Recours formé par Monsieur et Madame … et consort, Beaufort contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13678 et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 juin 2001 par Maître Marc WALCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des

avocats à Diekirch, au nom de M. …, né le à Detane-Tutin (Serbie/Yougoslavie), et de son épouse, Mm...

Tribunal administratif N° 13678 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 juin 2001 Audience publique du 30 janvier 2002

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Recours formé par Monsieur et Madame … et consort, Beaufort contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13678 et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 juin 2001 par Maître Marc WALCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de M. …, né le à Detane-Tutin (Serbie/Yougoslavie), et de son épouse, Mme …, née le à Rozaje (Monténégro/Yougoslavie), agissant en leur nom propre, ainsi qu’en celui de leur enfant mineur …, née le à Luxembourg, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 22 mars 2001, notifiée le 24 avril 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 octobre 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Gerd BROCKHOFF, en remplacement de Maître Marc WALCH, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 18 mai 1999, M. et Mme … se présentèrent au ministère de la Justice et introduisirent oralement auprès du service compétent une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux … furent entendus le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 16 juillet 1999, ils furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 22 mars 2001, notifiée le 24 avril 2001, le ministre de la Justice informa les époux … que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit:

« Il résulte de vos déclarations, Monsieur, que vous n’auriez pas reçu d’appel pour faire la réserve. Vous dites que votre maison serait située immédiatement sur la frontière du Kosovo et vous n’auriez pas pu y vivre en sécurité en raison de l’armée et de la police serbe.

Vous dites par ailleurs avoir été simple membre du parti SDA. Vous précisez cependant que votre adhésion audit parti ne vous aurait pas causé de problèmes. En tant que musulman, vous risqueriez par ailleurs à chaque moment d’être injurié, humilié et frappé par des civils serbes. De plus, il serait impossible de trouver un travail. Votre peur de l’Etat serbe, de sa population, de l’armée et de la police serait motivée par votre religion. Enfin, vous admettez ne pas avoir été personnellement persécuté.

Madame, vous exposez que vous auriez quitté votre pays d’origine en raison de la guerre et de la situation économique. De plus, votre mari n’aurait pas voulu attendre d’être appelé à la réserve. Vous précisez que les musulmans n’auraient pas les mêmes droits que les autres citoyens. Vous auriez été injuriés et humiliés par les réservistes. Vous n’auriez même plus osé sortir de votre maison. Vous ajoutez que votre peur des Serbes s’expliquerait par votre religion. Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Monsieur, la simple appartenance à un parti politique est insuffisante pour bénéficier du statut de réfugié dès lors que vous n’exerciez aucune activité politique.

Les autres motifs que vous invoquez tous les deux ne sont pas de nature à constituer une crainte justifiée de persécution pour un des motifs énoncés à la Convention de Genève. Ils traduisent davantage un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Les partis démocratiques ont obtenu la majorité absolue lors des élections législatives en Serbie du 23 décembre 2000. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 22 mai 2001, les époux …, agissant en leur nom propre, ainsi qu’en celui de leur enfant mineur …, introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 22 mars 2001.

Par décision du 30 mai 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée le 29 juin 2001, les consorts … ont fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision initiale de refus du ministre de la Justice du 22 mars 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée. Le recours en réformation formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.- Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Au fond, les demandeurs concluent à la réformation de la décision querellée pour « violation de la loi », au motif que le ministre n’aurait pas apprécié à sa juste valeur leur situation spécifique qui serait telle qu’elle laisserait supposer une crainte légitime de persécution dans leur pays d’origine.

A l’appui de leur recours, ils font exposer qu’ils seraient de religion musulmane et originaires de la région de Tutin, située dans la province du Sandzak, que cette région connaîtrait encore de nombreuses tensions et qu’un risque d’un nouveau conflit armé existerait toujours, qu’ils n’auraient pas pu vivre en paix en raison de la présence de la police serbe et de nombreux contingents armés qui les auraient menacés en raison de leur religion musulmane, qu’ils n’auraient pas pu trouver de travail et qu’ils n’auraient plus osé quitter leur maison.

Ils font encore état du mauvais état de santé de Mme … et du jeune âge de leur enfant et ils soutiennent que ces deux circonstances s’opposeraient à leur retour dans leur pays d’origine.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des consorts … et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des époux ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux … lors de leurs auditions respectives en date du 16 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le seul motif de persécution dont les demandeurs font état, à savoir leur appartenance à la minorité musulmane et la mauvaise situation générale de cette minorité en Serbie et, plus particulièrement dans la région du Sandzak, il convient de relever qu’il est vrai que la situation des membres de minorités en Yougoslavie, notamment celle des musulmans, est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des persécutions.

Or, en l’espèce, les craintes exprimées par les demandeurs constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’ils n’aient établi un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine, respectivement sont insuffisantes pour établir que les nouvelles autorités en Yougoslavie ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de la Yougoslavie ou tolèrent voire encouragent des agressions notamment à l’encontre des musulmans.

Enfin, il convient d’ajouter que les problèmes de santé de Mme … et le jeune âge de l’enfant des demandeurs restent sans incidence quant au bien fondé ou mal fondé de leur demande d’asile, seul objet du présent litige, étant donné que de telles circonstances ne sont pas de nature à justifier une crainte de persécution au sens de ladite Convention.

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

déclare le recours en annulation irrecevable;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 30 janvier 2002, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13678
Date de la décision : 30/01/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-01-30;13678 ?

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