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30/01/2002 | LUXEMBOURG | N°13480

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 30 janvier 2002, 13480


Tribunal administratif N° 13480 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 mai 2001 Audience publique du 30 janvier 2002 Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame …, et consort, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13480 du rôle, déposée le 23 mai 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Bérane (Mont

énégro/Yougoslavie), et de son épouse, Madame …, née le … à Bérane, agissant tant en leur n...

Tribunal administratif N° 13480 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 mai 2001 Audience publique du 30 janvier 2002 Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame …, et consort, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13480 du rôle, déposée le 23 mai 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), et de son épouse, Madame …, née le … à Bérane, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leur enfant mineur …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice prise en date du 21 février 2001, notifiée en date du 13 mars 2001, portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ainsi que d’une décision confirmative prise sur recours gracieux par ledit ministre en date du 18 avril 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 août 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Edmond DAUPHIN et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 14 juin 1999, Monsieur … et son épouse, Madame …, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux …… furent entendus le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent en outre entendus séparément en date du 9 août 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa les époux …… par lettre du 21 février 2001, notifiée en date du 13 mars 2001, que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit : « Monsieur, vous exposez que vous avez fait votre service militaire en 1996/1997 dans une unité spéciale de « snipers » et que vous auriez été appelé à la réserve en avril 1999. Vous y seriez resté jusqu’au 11 mai 1999, date à laquelle vous auriez déserté.

Vous dites avoir déserté pour ne pas devoir faire la guerre au Kosovo. Vous pensez que cela vous vaudra d’être condamné par le Tribunal militaire et vous invoquez une convocation à vous présenter à une audience du Tribunal de Berane le 18 juin 1999. Vous précisez que la condamnation que vous encourez risque d’être sévère car vous auriez aussi emmené du matériel militaire dans votre fuite. Vous dites encore avoir été membre du parti politique « Alliance Libérale du Monténégro » et avoir, de ce fait, été arrêté à plusieurs reprises et mis en prison pendant quelques jours. Vous dites aussi craindre la situation politique, et ceci, surtout parce que votre épouse est de religion orthodoxe.

Madame, vous confirmez les dires de votre mari. Vous ajoutez que vous avez eu des difficultés avec votre famille du fait de votre mariage avec un musulman et que, en plus du Tribunal militaire, vous craignez les réactions de votre père vis-à-vis de votre mari et de votre enfant.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

La seule crainte de peines du chef de désertion ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève. De même, la désertion ne constitue pas, à elle seule, un motif valable pour obtenir le statut de réfugié.

Il ne ressort pas non plus de vos déclarations que vous ayez été, de par votre adhésion au parti « Alliance Libérale du Monténégro », dans une position particulièrement exposée.

En plus, le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Je constate donc que vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A, 2 de la Convention de Genève et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays, telle une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux introduit par le mandataire des consorts …… en date du 12 avril 2001 à l’encontre de la décision ministérielle précitée fut rencontré par une décision confirmative du 18 avril 2001.

Par requête déposée en date du 23 mai 2001, les consorts …… ont fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre de la Justice des 21 février et 18 avril 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation.

Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs reprochent au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur d’appréciation de leur situation de fait, étant donné que leur situation spécifique et subjective serait telle qu’elle laisserait supposer une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays d’origine.

Ils font exposer plus particulièrement qu’ils seraient originaires de Bérane et qu’ils appartiendraient à des communautés religieuses distinctes et que cet état des choses leur aurait causé de nombreux problèmes de la part des voisins serbes et de la famille de Madame VESOVIC qui n’aurait pas toléré que leur fille, de confession orthodoxe, soit mariée à un musulman, que le départ de leur pays d’origine serait encore motivé par le fait que Monsieur … aurait reçu une convocation pour effectuer la réserve, qu’il aurait intégré la réserve militaire en avril 1999 jusqu’à fin mai 1999, date à laquelle il aurait déserté de son unité en raison du fait qu’il n’aurait pas voulu être envoyé au Kosovo pour participer à une guerre meurtrière.

Les demandeurs se réfèrent encore à des rapports de différentes organisations internationales pour soutenir que la situation des musulmans slaves serait extrêmement difficile en Yougoslavie et qu’ils feraient l’objet de nombreuses persécutions et discriminations dans leur vie quotidienne.

Sur base des faits ainsi soumis, les demandeurs estiment devoir bénéficier de la protection prévue par la Convention de Genève.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, n°9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n°11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

Il appartient aux demandeurs d’asile d’établir avec la précision requise qu’ils remplissent les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (cf. Cour adm. 19 octobre 2000, n°12179C du rôle, Pas. adm. 2001, V°Etrangers, C. Convention de Genève, n°29).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux …… lors de leurs auditions respectives en date du 9 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, les décisions ministérielles de refus sont légalement justifiées par le fait que la désertion, n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs d’asile une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève. Il ne ressort par ailleurs pas des éléments du dossier que Monsieur … risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables et il reste en défaut d’expliquer et d’établir l’existence, à l’heure actuelle, d’un risque de persécution dans son chef en raison de sa prétendue insoumission.

Il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, les demandeurs n’établissent pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement au vu du vote de la loi d’amnistie par le parlement yougoslave et entrée en vigueur le 3 mars 2001, visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave et incluant expressément l’hypothèse de ceux ayant quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées.

Concernant la situation ethnico-religieuse des demandeurs basée sur la « mixité » de leur couple, il y a lieu de relever que les menaces reçues de la part de voisins serbes et de la famille de Madame VESOVIC constituent certainement des pratiques condamnables, mais, en l’espèce, ne dénotent pas une gravité telle qu’elles établissent, à l’heure actuelle, une crainte de persécution dans le pays d’origine des demandeurs, étant entendu qu’il est indéniable que depuis le départ des demandeurs, la situation politique en Yougoslavie s’est considérablement modifiée et qu’un processus de démocratisation est en cours et que les demandeurs n’ont pas établi qu’ils ne peuvent pas se réclamer de la protection des autorités nouvellement en place en Yougoslavie ou que celles-ci ne soient pas capables de leur assurer un niveau de protection suffisant. Force est encore de relever que la demanderesse a déclaré lors de son audition qu’elle n’aurait jamais personnellement subi des persécutions, à part le problème qu’elle aurait eu avec son père qui aurait exigé qu’elle quitterait son mari. Interrogée sur la question de savoir de qui et de quoi elle avait peur, elle a uniquement déclaré avoir peur de son père.

Concernant les craintes de persécutions des demandeurs en raison de la situation générale en Yougoslavie et les craintes de représailles non autrement spécifiées en raison de la religion musulmane de Monsieur …, force est de constater que ces faits constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’ils n’aient établi un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine.

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 30 janvier 2002, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13480
Date de la décision : 30/01/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-01-30;13480 ?

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