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30/01/2002 | LUXEMBOURG | N°13411

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 30 janvier 2002, 13411


Tribunal administratif N° 13411 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 mai 2001 Audience publique du 30 janvier 2002 Recours formé par Monsieur … … et son épouse, Madame … …, et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13411 du rôle, déposée le 7 mai 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel MOLITOR, avocat à la Cour, assisté de Maître Franca ALLEGRA, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats

à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), et de so...

Tribunal administratif N° 13411 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 mai 2001 Audience publique du 30 janvier 2002 Recours formé par Monsieur … … et son épouse, Madame … …, et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13411 du rôle, déposée le 7 mai 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel MOLITOR, avocat à la Cour, assisté de Maître Franca ALLEGRA, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), et de son épouse, Madame … …, née le … à Bérane, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice prise en date du 27 novembre 2000, notifiée en date du 15 février 2001, portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ainsi que d’une décision confirmative prise sur recours gracieux par ledit ministre en date du 3 avril 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 août 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Franca ALLEGRA et Madame le délégué du gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 17 juin 1999, Monsieur … … et son épouse, Madame … …, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux …-… furent entendus le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent en outre entendus séparément en date du 28 juin 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa les époux …-… par lettre du 27 novembre 2000, notifiée en date du 15 février 2001, de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit : « Monsieur, vous exposez qu’en avril 1999, vous auriez reçu un appel pour faire la réserve auquel vous n’auriez pas donné suite. Vous risqueriez d’être condamné par le tribunal militaire à une peine d’emprisonnement pour votre insoumission.

Vous auriez quitté votre pays d’origine en raison de la situation économique et militaire.

Vous n’accepteriez d’y retourner que si le Monténégro se séparait de la Serbie et si vous étiez sûr de ne pas être condamné. Vous relevez enfin avoir été membre du parti SDA jusqu’en 1992, mais vous n’auriez pas repris contact avec ledit parti à votre retour d’Allemagne.

En ce qui vous concerne, Madame, vous auriez quitté votre pays d’origine en raison de l’appel à la réserve qu’avait reçu votre mari. Vous admettez ne pas être membre d’un parti politique et ne pas avoir personnellement subi de persécution.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Monsieur, l’insoumission est insuffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution. De même, la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la prédite Convention.

Enfin, il n’est pas établi que l’appartenance à la réserve de l’armée imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser.

Quant à vous, Madame, vous n’invoquez que des motifs d’ordre personnel sans citer un quelconque fait pouvant constituer une crainte de persécution pour un des motifs énoncés à la Convention de Genève.

Il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux introduit par le mandataire des consorts …-… en date du 15 mars 2001 à l’encontre de la décision ministérielle précitée fut rencontré par une décision confirmative du 3 avril 2001.

Par requête déposée en date du 7 mai 2001, les consorts …-… ont fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation des décisions précitées du ministre de la Justice des 27 novembre 2000 et 3 avril 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation. Le recours subsidiaire en annulation est partant irrecevable.

Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs reprochent au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur d’appréciation de leur situation de fait, au motif que leur situation spécifique et subjective serait telle qu’elle laisserait supposer une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays d’origine.

Ils font exposer plus particulièrement qu’ils seraient originaires de Bérane et de confession musulmane, que leur départ de leur pays d’origine serait motivé par le refus de Monsieur … de servir dans les forces militaires yougoslaves en tant que réserviste et participer à des actions militaires qui ont été condamnées par la communauté internationale. Ils soutiennent que les musulmans subiraient des discriminations et des traitements barbares au sein de l’armée yougoslave. Dans ce contexte, ils affirment qu’en cas de retour dans leur pays d’origine, l’insoumission de Monsieur … risquerait d’être sanctionnée moyennant une condamnation pénale militaire de la part des autorités militaires serbes d’une sévérité disproportionnée et l’exposerait à un traitement discriminatoire en raison non seulement de son attitude, mais également de sa confession musulmane, de manière à constituer un acte de répression à caractère politique intolérable au sens de la Convention de Genève. Les demandeurs expriment également leurs doutes quant à l’application concrète de la loi d’amnistie. Ils estiment encore que leur départ serait justifié parce qu’ils auraient craint pour leurs vies en raison des bombardements de l’OTAN sur le territoire de la Serbie et du Monténégro et parce qu’ils auraient été profondément traumatisés par ces événements.

Les demandeurs font encore exposer qu’il existerait actuellement des tensions entre les communautés musulmane et orthodoxe et que les musulmans continueraient à subir de graves persécutions. Ils relèvent finalement que Monsieur … aurait été membre d’un parti politique et qu’en cas de retour dans son pays, il devrait craindre d’être la cible d’extrémistes combattant la minorité musulmane.

Sur base des faits ainsi soumis, les demandeurs estiment devoir bénéficier de la protection prévue par la Convention de Genève.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, n°9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n°11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

Il appartient aux demandeurs d’asile d’établir avec la précision requise qu’ils remplissent les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (cf. Cour adm. 19 octobre 2000, n°12179C du rôle, Pas. adm. 2001, V°Etrangers, C. Convention de Genève, n°29).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux …-… lors de leurs auditions respectives en date du 28 juin 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, les décisions ministérielles de refus sont légalement justifiées par le fait que l’insoumission de Monsieur …, n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs d’asile une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève. Il ne ressort par ailleurs pas des éléments du dossier que Monsieur … risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables et il reste en défaut d’expliquer et d’établir l’existence, à l’heure actuelle, d’un risque de persécution dans son chef en raison de sa prétendue insoumission.

Il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, les demandeurs n’établissent pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement en raison de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave et entrée en vigueur le 3 mars 2001, visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave et incluant expressément l’hypothèse de ceux ayant quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées.

Cette conclusion n’est pas énervée par l’allégation des demandeurs qu’il y aurait une défaillance généralisée au niveau de l’application de la loi d’amnistie, hypothèse qui est au demeurant démentie par le Haut Commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés qui est au contraire d’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et qui n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’auraient pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n°13853C du rôle).

Concernant les craintes de persécutions en raison de l’appartenance de Monsieur … au parti politique « SDA », il convient de relever que la simple appartenance à un mouvement ou parti politique d’opposition ne saurait justifier la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève. Il se dégage par ailleurs des déclarations faites par Monsieur … lors de son audition, qu’il avait quitté ce parti en 1992 et qu’il n’avait pas eu de problèmes en raison de son adhésion antérieure au prédit parti politique.

Concernant les craintes de persécutions des demandeurs en raison de la situation générale en Yougoslavie et les craintes de représailles en raison de leur religion musulmane, force est de constater que ces allégations - non autrement spécifiées - sont insuffisantes pour établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné qu’il ne ressort pas des éléments du dossier que les demandeurs, considérés individuellement et concrètement, risquent de subir des traitements discriminatoires en raison de leur appartenance ethnique ou de leur religion ou que de tels traitements leur auraient été infligés dans le passé.

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 30 janvier 2002, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13411
Date de la décision : 30/01/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-01-30;13411 ?

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