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17/01/2002 | LUXEMBOURG | N°13477

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 janvier 2002, 13477


Tribunal administratif N° 13477 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 mai 2001 Audience publique du 17 janvier 2002

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Recours formé par Monsieur … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13477 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 mai 2001 par Maître Esbelta DE FREITAS, avocat à la Cour, assistée de Maître Nadia JANAKOVIC, avocat, toutes les d

eux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Beran...

Tribunal administratif N° 13477 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 mai 2001 Audience publique du 17 janvier 2002

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Recours formé par Monsieur … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13477 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 mai 2001 par Maître Esbelta DE FREITAS, avocat à la Cour, assistée de Maître Nadia JANAKOVIC, avocat, toutes les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Berane (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 16 janvier 2001, notifiée le 7 mars 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative rendue sur recours gracieux par le prédit ministre en date du 26 avril 2001, et tendant encore à la reconnaissance d’un statut de tolérance au profit de Monsieur … ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 août 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Madame le délégué du gouvernement Malou HAMMELMANN en ses plaidoiries.

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En date du 24 juin 1999, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu en date du 28 juin 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 16 janvier 2001, notifiée le 7 mars 2001, le ministre de la Justice informa Monsieur … de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit:

«Vous exposez que vous auriez reçu un appel pour faire le service militaire en mars 1999 auquel vous n’auriez pas donné suite du fait que vous refuseriez de combattre dans l’armée serbe. La police militaire vous aurait cherché, mais vous auriez réussi à vous cacher.

Vous risqueriez d’être traduit devant le tribunal militaire. Votre peur de l’armée et de la guerre serait motivée par votre religion sans que vous ne fournissiez d’autres explications.

Vous accepteriez cependant de retourner dans votre pays d’origine en cas d’apaisement de la situation. Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

L’insoumission n’est pas suffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution. De même, la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève. Enfin, il n’est pas établi que l’appartenance à l’armée imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser.

Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » Par lettre du 5 avril 2001, Monsieur … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 16 janvier 2001.

Par décision du 26 avril 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 23 mai 2001, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions ministérielles précitées des 16 janvier 2001 et 26 avril 2001 et tendant encore à obtenir la reconnaissance d’un statut de tolérance.

QUANT AU REFUS DU STATUT DE REFUGIE AU SENS DE LA CONVENTION DE GENEVE Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles critiquées. Le recours en réformation formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

A l’appui de son recours, le demandeur expose être de religion musulmane et appartenir à la minorité des bochniaques résidant au Monténégro, qu’il aurait fui son pays d’origine en raison du fait que, d’une part, les « Serbes » et les « Albanais » ne parviendraient pas à cohabiter dans son pays d’origine, ce qui contribuerait au développement d’une grande insécurité et, d’autre part, il n’aurait pas répondu à deux convocations qui lui auraient été envoyées afin d’effectuer son service militaire, la première datant du mois de mars 1999 et la deuxième datant du 8 mars 2001 et partant il risquerait d’être traduit devant un tribunal militaire et de subir des représailles de la part des « forces serbes ».

En droit, le demandeur conclut à la réformation des décisions ministérielles déférées pour erreur d’appréciation des faits.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur … et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Monsieur ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur … lors de son audition en date du 28 juin 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le principal motif de persécution dont le demandeur fait état, à savoir son insoumission, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier, d’une part, qu’à l’heure actuelle, où les conflits armés ont cessé en République fédérale de Yougoslavie, Monsieur … risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, d’autre part, que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés ou encore, de troisième part, que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de sa désertion serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur … n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Concernant plus particulièrement la pièce documentant un appel à l’armée datée du 8 mars 2001, force est de constater que depuis cette date l’armée yougoslave n’est impliquée dans aucun conflit armé auquel le demandeur pourrait se soustraire pour des raisons de conscience valables ou que des traitements discriminatoires de ce chef risquent de lui être infligés ou encore que la condamnation éventuelle qu’il risque d’encourir du fait de sa non-

présentation au service militaire serait disproportionnée par rapport à l’infraction commise ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Concernant enfin la situation générale des musulmans au Monténégro, il y a lieu de constater que s’il est vrai que leur situation générale est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des traitements discriminatoires.

Or, en l’espèce, les craintes de persécutions du demandeur en raison de sa confession musulmane et de la situation générale tendue dans sa région d’origine constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’il n’ait établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

QUANT A LA DEMANDE EN ADMISSION A UN STATUT DE TOLERANCE Il convient de relever que le recours contentieux du demandeur tend également à la reconnaissance d’un statut de tolérance, demande qui est formulée en ordre subsidiaire par rapport à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique.

Comme il se dégage de ce qui précède que le recours du demandeur a été déclaré non fondé dans la mesure où il a été dirigé contre les décisions ministérielles déférées par lesquelles ladite reconnaissance du statut de réfugié politique lui a été refusée, il y a encore lieu d’analyser cette demande subsidiaire. Sur question afférente posée par le tribunal au cours des plaidoiries, le représentant étatique a estimé que tout débat portant sur une telle demande, formulée pour la première fois devant le tribunal administratif, serait prématuré, au motif que le ministre de la Justice n’aurait pas pu y statuer faute d’avoir été saisi d’une demande afférente.

Etant donné que la demande tendant à la reconnaissance d’un statut de tolérance a été présentée pour la première fois devant le tribunal administratif, par le biais de la requête introductive d’instance déposée au greffe du tribunal le 23 mai 2001, sans qu’auparavant le ministre de la Justice ait été saisi d’une demande afférente, et que de ce fait aucune décision n’a encore pu être prise relativement à une telle demande en admission à un statut de tolérance, il n’y a pas lieu de procéder à l’examen de ce volet du recours.

Enfin, encore que la partie demanderesse n’ait pas comparu à l’audience, le présent jugement est néanmoins rendu contradictoirement, étant donné que la procédure devant les juridictions administratives est essentiellement écrite et que la partie demanderesse a conclu dans un mémoire écrit.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

déclare le recours en annulation irrecevable;

déclare le recours sans objet dans la mesure où il tend à la reconnaissance d’un statut de tolérance;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 17 janvier 2002, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13477
Date de la décision : 17/01/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-01-17;13477 ?

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