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17/01/2002 | LUXEMBOURG | N°13463

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 janvier 2002, 13463


Tribunal administratif N° 13463 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 mai 2001 Audience publique du 17 janvier 2002

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Recours formé par Monsieur …, Luxembourg contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13463 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 mai 2001 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocat

s à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Gornji Rainci/commune de Kalesija (Bosnie-Herzégovi...

Tribunal administratif N° 13463 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 mai 2001 Audience publique du 17 janvier 2002

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Recours formé par Monsieur …, Luxembourg contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13463 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 mai 2001 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Gornji Rainci/commune de Kalesija (Bosnie-Herzégovine), demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 26 janvier 2001, notifiée le 6 mars 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 18 avril 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 août 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries respectives.

En date du 28 février 2000, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu le 10 mai 2000 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 26 janvier 2001, notifiée le 6 mars 2001, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Vous exposez avoir été membre du SDA depuis 1990. Vous auriez été d’abord simple membre puis secrétaire de l’assemblée régionale de Gornji Rainci pendant la guerre de Bosnie. Vous auriez eu des problèmes avec le SDA depuis l’année 1997 étant donné que les dirigeants du parti mentaient aux gens. Vous n’auriez pas été d’accord avec la distribution de l’aide reçue.

Vous auriez critiqué et dénoncé les pratiques du SDA. Votre frère vous aurait prévenu que la police viendrait vous chercher en janvier 2000 afin de vous arrêter.

Vous indiquez avoir peur du régime en place en raison des critiques adressées au SDA.

Force est cependant de constater que les problèmes que vous auriez eus - même à les supposer établis - ne sauraient être considérés comme suffisamment graves afin de justifier une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il ressort de vos déclarations que vous n’avez pas essayé de demander de la protection auprès des organisations internationales sur place en Bosnie et Herzégovine. Vous restez en défaut d’établir que vous n’auriez pas pu vous installer dans une autre région de la Bosnie et Herzégovine, alors que vos problèmes se seraient surtout situés dans la région de Gornji Rainci et de Kalesija.

Par conséquent, vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 6 avril 2001, Monsieur … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 26 janvier 2001.

Par décision du 18 avril 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 21 mai 2001, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions précitées du ministre de la Justice des 26 janvier et 18 avril 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il est originaire de la Bosnie-Herzégovine et qu’il est de confession musulmane, que le départ de son pays d’origine serait motivé par le fait que l’ensemble de sa famille aurait fait l’objet de discriminations par les autorités de son pays en raison de ses activités politiques. A ce titre, il fait valoir qu’il aurait été membre actif du parti politique SDA et qu’il aurait exercé la fonction de secrétaire régional du parti à Goranji, que depuis mai 1997, il n’aurait plus été d’accord avec la politique menée par son parti en raison de la « corruption » et de la « pratique anti-démocratique », tant au « niveau de la gestion financière que du programme électoral pratiqué au sein du parti SDA », qu’il aurait ouvertement dénoncé ces faits et qu’il aurait depuis lors mené un combat en tant que membre dissident en faveur de la liberté face à la montée des intégristes et de la corruption au sein du prédit parti, qu’avant de se réfugier au Grand-Duché de Luxembourg, il aurait fait l’objet de menaces de mort et d’agressions, notamment de la part de membres du service secret, pour avoir dénoncé en public des affaires de corruption touchant de hautes personnalités.

En droit, il conclut à la réformation des décisions entreprises « pour erreur manifeste d’appréciation des faits », au motif que le ministre aurait conclu à tort que les faits dont il a fait état ne justifieraient pas la reconnaissance du statut de réfugié en raison « de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou d’une croyance religieuse ». Il estime qu’une appréciation plus juste des éléments de la cause aurait dû conduire le ministre à retenir dans son chef une persécution due à ses opinions politiques.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur … et que le recours laisserait d’être fondé.

Force est de retenir que dans son mémoire en réponse le délégué du gouvernement se réfère à la situation générale qui règne au Monténégro et à l’état d’insoumission de Monsieur …, de sorte qu’il n’a pas utilement pris position par rapport à l’argumentation développée par le demandeur dans son recours, étant donné qu’il n’est pas contesté que Monsieur … est originaire de la Bosnie-Herzégovine et qu’il est constant qu’il n’a pas invoqué comme motif de persécution son insoumission mais ses opinions politiques. Il n’en découle cependant pas que le tribunal doive entériner les conclusions afférentes du demandeur, mais il lui incombe d’examiner les mérites des différents moyens soulevés par le demandeur, cet examen comportant entre autres, le cas échéant, un contrôle de l’applicabilité de la disposition légale invoquée par le ministre aux données factuelles apparentes de l’espèce, c’est-à-dire, qu’il doit qualifier la situation de fait telle qu’elle apparaît à travers les informations qui lui ont été soumises par rapport à la règle légale applicable.

Concernant le bien fondé de la demande d’asile, il ressort de l’article 1er, section A, 2.

de la Convention de Genève, que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si il n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’il laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm.

2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Monsieur …. Il appartient en effet aux demandeurs d’asile d’établir avec la précision requise qu’ils remplissent les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (cf. Cour adm. 19 octobre 2000, n°12179C du rôle, Pas. adm. 2001, V°Etrangers, C. Convention de Genève, n°29).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur … lors de son audition en date du 24 novembre 2000, telle que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Concernant l’unique motif de persécution dont le demandeur fait état dans son recours contentieux, à savoir ses activités en tant que dissident du parti politique « SDA », il y a lieu de retenir que, si les activités en tant que dissident d’un parti politique peuvent justifier des craintes de persécution au sens de la Convention de Genève, il y a néanmoins lieu de retenir que les déclarations du demandeur relatives à ses prétendues activités politiques ne sont ni précises ni appuyées sur un quelconque élément de preuve tangible. Par ailleurs, il se dégage des déclarations du demandeur qu’il aurait critiqué la distribution des « aides » effectuées par le SDA et le fait que le prédit parti prenait de l’argent qui en fait appartenait à des victimes de la guerre, qu’il aurait dénoncé ces pratiques et qu’il aurait alors eu des « problèmes », son frère, qui travaillerait pour la police, l’ayant renseigné sur le fait que la police aurait reçu mandat de l’arrêter en date des 21 ou 23 janvier 2000.

Force est de retenir que ces éléments, mêmes à les supposer établis, sont insuffisants pour établir un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine. En effet, les prétendues menaces de mort et agressions de la part de « membres du service secret » ne sont pas assimilables à des persécutions émanant des autorités de son pays, en l’espèce la Bosnie-Herzégovine.

En outre, les craintes de persécutions invoquées en l’espèce se cristallisent autour de la seule situation dans sa région d’origine, à savoir la commune de Kalesija, et il reste en défaut d’établir qu’il ne peut trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de son pays d’origine, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité sans restriction territoriale.

Il ressort de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président, Mme Lamesch, juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 17 janvier 2002, par le président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Ravarani 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13463
Date de la décision : 17/01/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-01-17;13463 ?

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