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17/01/2002 | LUXEMBOURG | N°13368

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 janvier 2002, 13368


Tribunal administratif N° 13368 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 mai 2001 Audience publique du 17 janvier 2002 Recours formé par Monsieur … … et son épouse, Madame … …, et consort, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13368 du rôle, déposée le 2 mai 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, né le …

à Novi Pazar (Serbie), et de son épouse, Madame … …, née le … à Novi Pazar (Serbie), agissant ...

Tribunal administratif N° 13368 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 mai 2001 Audience publique du 17 janvier 2002 Recours formé par Monsieur … … et son épouse, Madame … …, et consort, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13368 du rôle, déposée le 2 mai 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, né le … à Novi Pazar (Serbie), et de son épouse, Madame … …, née le … à Novi Pazar (Serbie), agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leur enfant mineur …, né le … à Luxembourg, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice prise en date du 5 décembre 2000, notifiée en date du 13 février 2001, portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ainsi que d’une décision confirmative prise sur recours gracieux par ledit ministre en date du 29 mars 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 août 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé en date du 4 octobre 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH au nom des demandeurs ;

Vu le mémoire en duplique déposé par le délégué du gouvernement au greffe du tribunal administratif le 9 octobre 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Madame le délégué du gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 22 novembre 1999, Monsieur … … et son épouse, Madame … …, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux …-… furent entendus le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent en outre entendus séparément en date du 24 novembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa les époux …-… par lettre du 5 décembre 2000, notifiée en date du 13 février 2001, de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit : « Monsieur, vous exposez qu’à partir du mois de mars 1999, vous auriez reçu quatre appels pour effectuer le service militaire auxquels vous n’auriez pas donné suite. Vous pensez être traduit devant le tribunal militaire en raison de votre insoumission et subir en outre une prolongation du service militaire. Vous relevez avoir été membre non actif du SDA en 1999. Vous précisez que vous auriez été menacé et insulté. Enfin, votre peur des Serbes, des militaires et de la police serait motivée par le fait que vous êtes musulman.

En ce qui vous concerne, Madame, vous dites avoir quitté votre pays d’origine en raison de l’insoumission de votre époux. Votre peur des Serbes serait motivée par le fait que vous êtes musulmane. Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique et ne pas avoir été personnellement persécutée.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Monsieur, l’insoumission n’est pas suffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution. De même, la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la prédite Convention.

Enfin, il n’est pas établi que l’appartenance à la réserve de l’armée imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser.

En outre, la simple adhésion à un parti politique est insuffisante pour bénéficier de la reconnaissance du statut dès lors que vous n’exerciez aucune activité politique.

Les autres faits relevés (menaces et insultes) ne sont pas non plus de nature à justifier une crainte de persécution pour un des motifs énoncés à la Convention de Genève.

Force est de constater, Madame, que vous n’invoquez que des motifs d’ordre personnel sans citer un quelconque fait pouvant constituer une crainte de persécution au sens de la prédite Convention.

Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la particpation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux introduit par le mandataire des consorts …-… en date du 15 février 2001 à l’encontre de la décision ministérielle précitée fut rencontré par une décision confirmative du 29 mars 2001.

Par requête déposée en date du 2 mai 2001, les consorts …-… ont fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre de la Justice des 5 décembre 2000 et 29 mars 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs reprochent au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur d’appréciation de leur situation de fait, étant donné que leur situation spécifique et subjective serait telle qu’elle laisserait supposer une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays d’origine.

Ils font exposer plus particulièrement qu’ils seraient originaires de la région de Novi Pazar en Serbie et de confession musulmane, que leur départ de leur pays d’origine serait motivé par le fait que Monsieur … n’aurait pas voulu servir dans les forces militaires yougoslaves en tant que réserviste et participer à des actions militaires qui ont été condamnées par la communauté internationale. Ils soutiennent que son insoumission devrait être admise comme pouvant fonder une crainte légitime de persécution dès lors que l’attitude de la personne visée est dictée par des raisons politiques et de conscience, voire lorsque son comportement est perçu par les autorités comme un acte d’opposition contre le pouvoir en place et donc comme l’expression d’une opinion politique et que tel serait le cas en l’espèce.

Dans ce contexte, ils affirment qu’en cas de retour dans leur pays d’origine, l’insoumission de Monsieur … risquerait d’être sanctionnée moyennant une condamnation pénale militaire de la part des autorités militaires serbes d’une sévérité disproportionnée et l’exposant à un traitement discriminatoire en raison non seulement de son attitude, mais également de sa confession musulmane, de manière à constituer un acte de répression à caractère politique intolérable au sens de la Convention de Genève.

Les demandeurs font encore exposer qu’ils auraient été victimes de persécutions de la part des éléments de la population serbe en raison de leur appartenance à un groupe ethnique minoritaire, à savoir celle de la minorité des « bochniaques » et que leurs droits les plus élémentaires auraient été bafoués du seul fait de leur appartenance à ce groupe ethnique sans qu’ils aient pu réclamer utilement protection auprès des autorités étatiques de leur pays d’origine.

Sur base des faits ainsi soumis, les demandeurs estiment devoir bénéficier de la protection prévue par la Convention de Genève.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours laisserait d’être fondé.

Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs entendent illustrer les doutes par eux invoqués relativement à l’application concrète de la loi d’amnistie à travers une pièce versée en cause, en l’occurrence une ordonnance du tribunal d’instance de Bijelo Polje datée au 30 juillet 2001, décidant de l’ouverture d’une procédure judiciaire du chef de désertion à l’encontre d’un dénommé …, pour soutenir qu’en dépit des termes de la loi d’amnistie, des poursuites seraient encore engagées contre des personnes ayant déserté même avant le 7 octobre 2000.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, n°9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n°11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

Il appartient aux demandeurs d’asile d’établir avec la précision requise qu’ils remplissent les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (cf. Cour adm. 19 octobre 2000, n°12179C du rôle, Pas. adm. 2001, V°Etrangers, C. Convention de Genève, n°29).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux …-… lors de leurs auditions respectives en date du 24 novembre 1999, telle que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, les décisions ministérielles de refus sont légalement justifiées par le fait que l’insoumission, n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs d’asile une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève. Il ne ressort par ailleurs pas des éléments du dossier que Monsieur … risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables et il reste en défaut d’expliquer et d’établir l’existence, à l’heure actuelle, d’un risque de persécution dans son chef en raison de sa prétendue insoumission.

Il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, les demandeurs n’établissent pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement en raison de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave et entrée en vigueur le 3 mars 2001, visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave et incluant expressément l’hypothèse de ceux ayant quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées.

Cette conclusion n’est pas énervée par la pièce déposée par le mandataire des demandeurs à l’appui de son mémoire en réplique, à savoir une ordonnance du 30 juillet 2001 du tribunal d’instance de Bijelo Polje concernant un dénommé …, laquelle ne saurait en tout état de cause être retenue comme étant suffisante pour illustrer une défaillance généralisée au niveau de l’application de la loi d’amnistie, hypothèse qui est au demeurant démentie par le Haut Commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés qui est au contraire d’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et qui n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’auraient pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n°13853C du rôle). Il y a encore lieu de retenir que les pièces déposées avant l’audience fixée pour plaidoiries ne sont pas de nature à invalider la conclusion ci-avant dégagée.

Concernant les insultes et les menaces dont les demandeurs auraient fait l’objet de la part des éléments de la population serbe, force est de retenir que ces éléments sont insuffisants pour établir un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé aux demandeurs la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme étant non fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président, Mme Lamesch, juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 17 janvier 2002, par le président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Ravarani 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13368
Date de la décision : 17/01/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-01-17;13368 ?

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