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16/01/2002 | LUXEMBOURG | N°13851

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 janvier 2002, 13851


Tribunal administratif N° 13851 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 août 2001 Audience publique du 16 janvier 2002 Recours formé par Mademoiselle …, … contre un arrêté grand-ducal du 14 mai 2001 en matière de changement de nom

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13851 du rôle et déposée le 10 août 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Sonja VINANDY, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M

ademoiselle … …, …, demeurant à L-..-, tendant principalement à la réformation et subsidiai...

Tribunal administratif N° 13851 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 août 2001 Audience publique du 16 janvier 2002 Recours formé par Mademoiselle …, … contre un arrêté grand-ducal du 14 mai 2001 en matière de changement de nom

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13851 du rôle et déposée le 10 août 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Sonja VINANDY, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mademoiselle … …, …, demeurant à L-..-, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’un arrêté grand-ducal du 14 mai 2001, lui refusant l’autorisation de changer son nom patronymique actuel en celui de … ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 27 août 2001 ;

Vu le mémoire en réplique déposé le 12 octobre 2001 au greffe du tribunal administratif au nom de la demanderesse ;

Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté grand-ducal critiqué ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Sonja VINANDY et Madame le délégué du gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries respectives.

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Le 29 novembre 2000, Mademoiselle … … adressa au ministre de la Justice une lettre dans laquelle elle sollicita le changement de son nom patronymique de … en …, désirant « porter désormais le nom de mon père … … ».

Suite à des avis défavorables du procureur d’Etat et du procureur général d’Etat et à un avis défavorable du Conseil d’Etat du 13 mars 2001, la requête en changement de nom de la demanderesse fut rejetée par arrêté grand-ducal du 14 mai 2001.

Par requête du 10 août 2001, Mademoiselle … … a introduit un recours en réformation, sinon en annulation contre « la décision du gouvernement en conseil, prise sous forme de l’arrêté grand-ducal du 14 mai 2001 », en ce qu’il n’a pas admis le changement de nom sollicité.

A l’appui de son recours, la demanderesse fait exposer que le fait de pouvoir porter le nom de son père officialiserait et rendrait publique la filiation vis-à-vis de ce dernier, filiation qui ne ressortirait ainsi pas uniquement des actes de l’état civil. La demanderesse estime que pouvoir porter le nom de son procréateur serait synonyme de reconnaissance de son identité et de ses origines, même si son père a vécu dans un pays étranger et a coupé tous liens avec elle.

Le délégué du gouvernement conclut en premier lieu à l’incompétence des juridictions administratives estimant qu’un changement de nom d’un enfant naturel devrait exclusivement être demandé sur base de l’article 334-3-1 du Code Civil au tribunal d’arrondissement du domicile de la demanderesse, l’action n’étant ouverte que pendant la minorité de l’enfant et dans les deux années qui suivent, soit sa majorité soit une modification apportée à son état. A titre subsidiaire, le représentant étatique conclut à la mise en intervention du père naturel Monsieur … …. Quant au fond, il estime que la demanderesse ne ferait pas valoir un intérêt légitime et sérieux suffisamment grave pour porter le nom de son père, les raisons invoquées ne remplissant pas les conditions de gravité suffisante pour voir consentir une dérogation au principe de la fixité du nom patronymique. Se prévalant de la motivation de l’arrêté grand-

ducal attaqué, il soutient encore que le principe de la fixité du nom patronymique s’opposerait à des changements de pure convenance, d’autant plus que la filiation paternelle de la demanderesse a seulement été établie dans le cadre d’une action en recherche de paternité, que la demanderesse n’a jamais eu le moindre contact avec son père qui se désintéresse d’elle, que la demanderesse porte le nom de sa mère avec laquelle elle est en relation depuis plus de vingt ans, que le nom patronymique actuel de la demanderesse est courant et n’a rien de péjoratif et que ce n’est pas non plus le seul nom patronymique luxembourgeois à coïncider avec le nom d’une localité luxembourgeoise qui serait de nature à justifier ledit changement.

Mademoiselle … … fait répliquer que le tribunal administratif serait compétent pour connaître de son recours, la voie choisie étant celle du changement administratif sur base des dispositions de la loi du 11-21 germinal an XI relative aux prénoms et changements de noms, telle que modifiée par une loi du 18 mars 1982. Contrairement au représentant étatique, elle estime encore que la mise en intervention de son père Monsieur … … ne s’imposerait pas, aucun texte en matière de changement de nom ne prévoyant pareille obligation. Elle fait ajouter que dans cette hypothèse, la mère devrait également être appelée en cause, ce qui engendrerait des frais parfaitement inutiles.

Il est constant en cause que la paternité de Monsieur … … a été établie dans le cadre d’une action en recherche de paternité ayant abouti à un jugement du tribunal d’arrondissement de Luxembourg du 28 octobre 1985, confirmé par arrêt de la cour d’appel de Luxembourg du 15 janvier 1987, et que la mère de la demanderesse n’a pas sollicité à l’époque un changement de nom patronymique au profit de son enfant. Il convient encore de relever dans ce contexte que Mademoiselle … … avait déjà une première fois sollicitée en date du 31 août 2000 le changement administratif de son nom patronymique, mais que suivant courrier du 24 octobre 2000, le premier substitut auprès du parquet du tribunal d’arrondissement de Luxembourg l’avait informée que « le changement de nom d’un enfant naturel doit être demandé au tribunal d’arrondissement du domicile du requérant notamment lorsque l’enfant a atteint l’âge de majorité jusqu’à ce qu’il ait atteint l’âge de vingt ans » et que « le gouvernement n’est partant pas compétent pour connaître de [la] demande », tout en l’invitant à s’adresser à un avocat ou, « le cas échéant de retirer la présente demande, quid à formuler une nouvelle demande après le 28 novembre 2000 », ce que la demanderesse a fait par la suite en date du 29 novembre 2000.

L’article 334-3-1 du Code Civil vise l’hypothèse spécifique du changement de nom de l’enfant naturel chaque fois que les conditions de la procédure simplifiée par déclaration conjointe devant le juge des tutelles des articles 334-2 et 334-3 du Code Civil ne se trouvent pas remplies. Il en est ainsi lorsque les père et mère ne sont pas d’accord sur l’opportunité d’un changement de nom de l’enfant naturel ou que l’un deux est décédé ou absent, la déclaration conjointe devant le juge des tutelles s’avérant dans ces hypothèses impossible.

Le tribunal ne saurait cependant suivre l’interprétation donnée par le représentant étatique de l’article 334-3-1 du Code Civil eu égard à la généralité des termes de l’article 4 de la loi modifiée du 11-21 germinal an XI. Il convient d’ajouter que l’interprétation des deux dispositions légales précitées par le délégué du gouvernement aurait pour conséquence de rendre forclos toute demande de changement de nom patronymique au-delà de l’âge de vingt ans accomplis. Or, le désir de changer de nom peut n’apparaître à la personne concernée qu’au-delà de cet âge et ceci pour des raisons strictement personnelles, indépendamment de l’attitude des deux parents. Dans ces circonstances, la personne concernée peut toujours profiter de la voie administrative pour solliciter le changement de nom. Cette vision des choses fut d’ailleurs celle de la commission juridique lors de l’élaboration du projet de loi portant modification de la loi du 13 avril 1979 portant réforme du droit de la filiation, qui s’est exprimée comme suit au moment de l’élaboration de l’article 334-3-1 du Code Civil:

« En toute hypothèse il reste à une personne ayant laissé s’écouler le délai, la possibilité de demander le changement de nom par la voie administrative » (doc. parl. n° 25002, p. 4).

Partant, c’est à tort que le délégué du gouvernement conclut à l’incompétence des juridictions administratives sous cet angle.

Ceci étant, aucun texte de loi ne prévoyant un recours au fond dans la présente matière, le tribunal n’est partant pas compétent pour connaître du recours en réformation introduit en ordre principal.

En revanche, le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Le délégué du gouvernement conclut encore à la mise en intervention du père naturel de la demanderesse comme étant une partie intéressée à l’issue du litige.

Pareille mise en intervention, que ce soit du père, ou de la mère de la demanderesse, ne s’impose cependant pas en l’espèce, étant donné que les intérêts des père et mère de la demanderesse sont sauvegardés à suffisance de droit par les dispositions inscrites à l’article 7 de la loi précitée du 11-21 germinal an XI, qui prévoit la possibilité pour « toute personne y ayant droit » de solliciter par requête la révocation de l’arrêté autorisant le changement de nom dans un délai de trois mois à partir de la publication au Mémorial dudit arrêté.

En vertu de l’article 1er de la loi du 6 fructidor an II, aucun citoyen ne peut porter de nom ni de prénom autres que ceux exprimés dans son acte de naissance.

L’article 4 de la prédite loi du 11-21 germinal an XI, dans sa teneur lui conférée par une loi du 18 mars 1982, déroge au principe de la fixité des noms et prénoms en disposant que toute personne qui aura quelque raison de changer de nom ou de prénoms en adressera la demande motivée au gouvernement. En vertu de l’article 5 de la même loi, le gouvernement se prononcera dans la forme prescrite pour les règlements d’administration publique.

Il est vrai que l’appréciation des faits pouvant justifier un changement de nom relève du gouvernement. Ce pouvoir d’appréciation n’est cependant pas discrétionnaire et peut faire l’objet d’un contrôle de légalité par le juge administratif (cf. C.E. 29 mars 1996, n° 9101 du rôle ; trib. adm. 13 novembre 1997, n° 9854 du rôle ; trib. adm. 2 avril 1998, n° 10074 du rôle, Pas. adm. 2001, V° Noms et prénoms, n° 2, p. 319).

Il découle des textes de loi précités que le principe de la fixité du nom patronymique est une règle d’ordre public et social. Ce n’est qu’en présence de circonstances exceptionnelles et pour des raisons importantes qu’un changement de nom peut être accordé (v. C.E. 29 mars 1996 ; trib. adm. 13 novembre 1997 ; trib. adm. 2 avril 1998 ; précités).

S’il est vrai que la vérification des considérations d’opportunité d’une décision prise échappe au juge de la légalité, il n’empêche que le rôle du juge administratif, en présence d’un recours en annulation, consiste à vérifier le caractère légal et réel des motifs invoqués à l’appui de l’acte administratif attaqué, à vérifier si les faits à la base de la décision sont établis et si la mesure prise est proportionnelle par rapport à ces faits. (cf. Cour adm. 8 janvier 2002, n° 13891C du rôle, non encore publiée).

Le désir pour un enfant naturel de porter le nom de son véritable père constitue d’un point de vue objectif une circonstance grave et exceptionnelle justifiant un changement de nom. D’un point de vue subjectif, la motivation personnelle de la demanderesse à l’appui de son recours, telle que reprise dans l’avis du Conseil d’Etat du 13 mars 2001, apparaît réelle et elle est destinée à extérioriser sa véritable identité, de sorte qu’elle justifie un intérêt légitime suffisamment sérieux et grave pour porter le nom de son père, le changement sollicité n’étant certainement pas à qualifier comme étant de pure convenance.

S’il est exact que la demanderesse a porté le nom de sa mère pendant plus de vingt ans, que sa filiation n’a été établie que suite à une action en recherche de paternité, que la mère n’a pas sollicité le changement de nom dans le cadre de cette action en recherche de paternité et que la demanderesse n’a jamais eu de contact avec son père qui s’est désintéressé d’elle, il importe cependant de souligner que ces faits sont tous étrangers à la demanderesse.

Bien au contraire, si la filiation avait été établie simultanément à l’égard des deux parents, ou encore si les parties avaient sollicité un changement de nom dans le cadre de l’action en recherche de paternité, la demanderesse se serait vue attribuer le nom de … dès sa naissance respectivement au courant de sa minorité. Le rôle inexistant du père respectivement l’inaction de la mère sous cet angle, d’ailleurs compréhensible, ne sauraient cependant être décisifs à l’heure actuelle pour justifier le refus du changement de nom sollicité face au désir profond de la demanderesse de porter « pour le moins » le nom de son père.

Par souci d’être complet, le tribunal tient à relever que les noms de famille ont une multitude d’origines et de consonances dans un pays à forte immigration comme le Luxembourg, de sorte que la consonance étrangère du nom sollicité ne saurait tenir en échec l’intérêt sérieux et légitime de la demanderesse de porter le nom de son père.

En ne prenant pas en considération à leur juste valeur les faits ci-avant développés, les auteurs de la décision attaquée ont commis une erreur manifeste d’appréciation des circonstances de fait, de sorte que l’arrêté grand-ducal du 14 mai 2001 encourt l’annulation.

Par ces motifs ;

le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare justifié ;

partant annule l’arrêté grand-ducal du 14 mai 2001 et renvoie l’affaire devant le ministre de la Justice ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 16 janvier 2002 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13851
Date de la décision : 16/01/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-01-16;13851 ?

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