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16/01/2002 | LUXEMBOURG | N°13595

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 janvier 2002, 13595


Tribunal administratif N° 13595 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 juin 2001 Audience publique du 16 janvier 2002

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Recours formé par Monsieur et Madame … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13595 du rôle et déposée le 18 juin 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat Ã

  la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ……, et de son...

Tribunal administratif N° 13595 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 juin 2001 Audience publique du 16 janvier 2002

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Recours formé par Monsieur et Madame … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13595 du rôle et déposée le 18 juin 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ……, et de son épouse, Madame ……, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, … et …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 7 février 2001, notifiée le 5 mars 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 10 mai 2001 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 novembre 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Louis TINTI, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 7 janvier 2002.

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En date du 19 mai 1999, Monsieur …… et son épouse, Madame ……, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et …, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux… furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-

ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent ensuite entendus séparément en date du 22 septembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 7 février 2001, notifiée en date du 5 mars 2001, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté votre domicile de Ljubovo/Kosovo le 10 mai 1999 pour aller à Rozaje/Monténégro où vous avez trouvé un passeur qui vous a emmenés à Kladusa. Vous avez ensuite traversé la Croatie, la Slovénie, l’Italie et la France pour arriver au Luxembourg. Vous ne pouvez donner d’autres précisions quant à votre voyage.

Vous, Monsieur, vous exposez que vous avez fait votre service militaire en 1986/1987 en Slovénie. Vous n’auriez pas été appelé à la réserve par la suite pour cause de maladie. Vous dites que des militaires seraient entrés dans votre village et vous auraient donné une heure pour quitter votre maison qui, après, aurait été détruite.

Maintenant, vous dites avoir peur des Albanais qui tueraient les musulmans revenus dans le village. Vous ajoutez que vous n’avez aucun avenir au Kosovo parce que vous ne parlez pas l’Albanais. Vous ajoutez que vous n’étiez membre d’aucun parti politique.

Vous, Madame, vous confirmez les dires de votre mari.

Vous ne faites état ni l’un ni l’autre d’actes de persécutions.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je dois constater qu’aucune de vos assertions ne saurait fonder une crainte de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er, A, 2 de la Convention de Genève, c’est-à-dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Force est d’ailleurs de constater qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée au Kosovo et qu’une administration civile, placée sous l’égide des Nations Unies, a été mise en place. La situation des minorités ethniques du Kosovo s’est améliorée par rapport à l’année 1999. Les élections municipales du 28 octobre 2000 se sont conclues avec une victoire des partis modérés et une défait des partis extrémistes. Ainsi, une persécution systématique des minorités ethniques est actuellement à exclure.

Enfin, les Albanais du Kosovo ne sauraient constituer des agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent, vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » Par lettre du 5 avril 2001, les consorts… introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 7 février 2001.

Par décision du 10 mai 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 18 juin 2001, les consorts… ont fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions précitées du ministre de la Justice des 7 février et 10 mai 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font exposer qu’ils seraient originaires du Kosovo et de confession musulmane, qu’ils feraient partie de la minorité des « bochniaques » et que leur situation spécifique serait telle qu’ils seraient particulièrement exposés à des persécutions en raison de cette appartenance ethnique.

Ils font exposer plus particulièrement que des personnes en uniformes les auraient forcé de quitter leur village et que par la suite leur maison et tous leurs biens auraient été détruits. Les demandeurs ajoutent encore de la population musulmane n’aurait plus aucun droit au Kosovo, qu’ils n’auraient pas le droit de s’exprimer dans leur langue maternelle et que leurs enfants n’y auraient aucun avenir. Finalement les demandeurs font état de la situation générale instable au Kosovo et des conditions de survie difficiles des musulmans qui seraient persécutés, voire tués par les Albanais.

En droit les demandeurs concluent à la réformation des décisions ministérielles pour appréciation erronée des faits d’espèce.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existante au moment où il statue (cf. trib.

adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives en date du 22 septembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées par l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, en l’espèce celui des Albanais du Kosovo, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de toute acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire ou celles-

ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est qu’un réfugié ? p. 113, n° 73-s).

En ce qui concerne la situation des membres des minorités au Kosovo, notamment de celle des « bochniaques », il est vrai que leur situation générale est difficile et qu’ils son particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, mais elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des traitements discriminatoires.

Il y a lieu d’ajouter dans ce contexte, qu’une situation de conflit interne violent ou généralisée ne peut, à elle seule, justifier la reconnaissance de la qualité de réfugié, étant donné que la crainte de persécution, outre de devoir toujours être fondée sur l’un des motifs de l’article 1er A de la Convention de Genève, doit avoir un caractère personnalisé.

Or, en l’espèce les craintes exprimées par les demandeurs en raison de la prétendue hostilité des Albanais à leur égard en raison de leur appartenance à la minorité « bochniaque » et de la situation générale tendue dans leur région d’origine s’analyse, en substance en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

En effet, les demandeurs font essentiellement état de leur crainte de voir commettre des actes de violence à leur encontre, à savoir des représailles ou mauvais traitements de la part des membres du la population albanaise, mais ne démontrent point que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre public en place ne soient pas capables d’assurer à l’heure actuelle un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo, le seul fait concret et circonstancié allégué, à le supposer établi, à savoir la destruction en 1999 de leur maison et de leur biens, n’étant pas de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités actuellement en place.

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef. Partant le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 16 janvier 2002 par:

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, M. Spielmann, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13595
Date de la décision : 16/01/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-01-16;13595 ?

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