La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/01/2002 | LUXEMBOURG | N°13572

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 janvier 2002, 13572


Tribunal administratif N° 13572 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 juin 2001 Audience publique du 16 janvier 2002

===============================

Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

------------------------------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13572 du rôle et déposée le 14 juin 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’

Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité yougoslave, demeurant a...

Tribunal administratif N° 13572 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 juin 2001 Audience publique du 16 janvier 2002

===============================

Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

------------------------------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13572 du rôle et déposée le 14 juin 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice prise en date du 20 février 2001, notifiée en date du 13 mars 2001, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative prise sur recours gracieux par ledit ministre en date du 10 mai 2001 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 novembre 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Edmond DAUPHIN et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 7 janvier 2002.

----------------------------------------------------------------------------------------------------------

Le 20 mai 1999, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité ainsi que sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu en date du 22 septembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur… par lettre du 20 février 2001, notifiée le 13 mars 2001, de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations qu’au moment où vous avez été convoqué pour la réserve, d’après vos dires en février 1999, vous avez quitté le Kosovo pour vous rendre à Sarajevo en Bosnie où vous êtes resté jusqu’au 15 mai 1999. Vous avez alors quitté la Bosnie, transitant ensuite par la Croatie, la Slovénie, l’Italie et la France pour arriver au Luxembourg le 19 mai 1999. Vous ne pouvez donner aucun renseignement sur le chemin emprunté.

Vous avez déposé une demande en obtention du statut de réfugié le lendemain de votre arrivée.

Vous exposez que vous avez fait votre service militaire de décembre 1997 à décembre 1998 au Kosovo. Vous dites qu’en février 1999 vous auriez été convoqué pour la réserve. Vous ne vous êtes pas présenté affirmant que le fait d’avoir fait votre service militaire en temps de guerre vous paraissait suffisant et puis vous ne voyiez pas de raison de risquer votre vie. Vous ajoutez que, comme les musulmans ont été maltraités par les Serbes et par les Albanais, il vous était impossible de combattre ni aux côtés des uns, ni aux côtés des autres. Vous exposez que vous avez peur de retourner, les insoumis étant recherchés sur tout le territoire de la Yougoslavie.

Il résulte par ailleurs de vos déclarations que vous avez quitté le Kosovo en raison de la crise générale, soulignant notamment qu’une crise économique sévit dans le pays. Vous prétendez qu’il y est impossible de vivre et d’y trouver du travail. Vous avez également peur que les Albanais vous tuent à votre retour parce qu’ils haïssent les « bochniaques » et parce qu’au moment du conflit armé vous n’avez pas rejoint l’UCK.

L’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté au sens de la Convention de Genève. La crainte d’une sanction pénale pour insoumission ne constitue pas non plus une crainte de persécution au sens de la prédite Convention. Par ailleurs l’armée fédérale yougoslave, les rangs de laquelle vous auriez dû rejoindre, a quitté le territoire du Kosovo, de sorte que vous ne risquez plus une sanction de sa part. Quant à votre peur de représailles de l’UCK parce que vous n’avez pas rejoint ses rangs lors du conflit au Kosovo, je souligne que l’UCK a été officiellement dissoute.

En ce qui concerne vos allégations relatives à la situation dans votre pays en général, et à la crise économique qui sévit dans votre pays en particulier, force est de constater que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Tout en mesurant à sa juste valeur le fait isolé qu’il est difficile de trouver du travail dans votre pays, ce fait ne constitue pas un motif permettant de fonder une demande d’asile au sens de l’article 1er, A. §2 de la Convention de Genève.

Finalement, concernant votre peur des Albanais en raison du fait que vous êtes « bochniaque », il faut noter qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée au Kosovo et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place afin de garantir une coexistence pacifique entre les différentes communautés vivant au Kosovo. La situation des minorités ethniques du Kosovo s’est améliorée par rapport à l’année 1999. Les élections municipales du 28 octobre 2000 se sont conclues avec une victoire des partis modérés et une défaite des partis extrémistes. Ainsi une persécution systématique des minorités ethniques est actuellement à exclure. En outre, les Albanais du Kosovo ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

Dans ces circonstances je considère que vous ne pouvez pas faire état d’un risque actuel de persécution pour des motifs tenant à votre race, à vos opinions politiques, à votre religion, à votre nationalité ou à votre appartenance à un groupe social, que vous courriez si vous deviez retourner dans votre territoire d’origine.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » Par lettre du 11 avril 2001, Monsieur… introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 20 février 2001.

Par décision du 10 mai 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 14 juin 2001, Monsieur… a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions précitées du ministre de la Justice des 20 février et 10 mai 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur reproche au ministre que les motifs retenus pour justifier le statut de réfugié ne sont pas de nature à motiver légalement la décision critiquée.

Il fait exposer plus particulièrement qu’il serait originaire du Kosovo et de confession musulmane, qu’il ferait partie de la minorité des « bochniaques » qui serait accusée par les Serbes d’être les partisans des Albanais et par les Albanais d’être ceux des Serbes. Le demandeur fait ajouter qu’en février 1999 il aurait été appelé à la réserve mais qu’il se serait enfui, alors qu’il ne voulait risquer sa vie. Il fait encore valoir que ses parents auraient été chassés de leur maison, qui aurait été détruite par les Albanais, et auraient trouvé refuge au Monténégro. Finalement, le demandeur exprime sa peur des Albanais et craint qu’en cas de retour dans sa région d’origine il serait tué tout de suite, alors qu’il n’aurait pas fait partie de l’UCK. Sur base des faits ainsi soumis, le demandeur estime devoir bénéficier de la protection prévue par la Convention de Genève.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm.

1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Monsieur….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur… lors de son audition en date du 22 septembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, les décisions ministérielles de refus sont légalement justifiées par le fait que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

Il ne ressort par ailleurs pas des éléments du dossier que Monsieur… risquait ou risque actuellement de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, et il reste en défaut d’expliquer et d’établir l’existence, à l’heure actuelle, d’un risque de persécution dans son chef en raison de sa prétendue insoumission, d’autant plus que l’armée yougoslave a quitté le territoire du Kosovo et qu’une force internationale de paix y est installée, de sorte qu’un risque de persécution par les autorités yougoslaves n’existe plus à l’heure actuelle.

Il convient d’ajouter que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence et qu’une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, il ne saurait en être autrement qu’en cas de défaut de protection, dans l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (Jean-Yves Carlier : Qu’est qu’un réfugié ? Bruylant, 1998, p. 113, n° 73s).

En ce qui concerne la situation des membres des minorités au Kosovo, notamment de celle des « bochniaques », il est vrai que leur situation générale est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, mais elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des traitements discriminatoires.

Il y a lieu d’ajouter dans ce contexte, qu’une situation de conflit interne violent ou généralisée ne peut, à elle seule, justifier la reconnaissance de la qualité de réfugié, étant donné que la crainte de persécution, outre de devoir toujours être fondée sur l’un des motifs de l’article 1er A de la Convention de Genève, doit avoir un caractère personnalisé.

Or, en l’espèce les craintes exprimées par le demandeur en raison de la prétendue hostilité des Albanais, en raison de son non-appartenance à l’UCK, de sa prétendue appartenance à la minorité « bochniaque », et de la situation générale tendue dans sa région d’origine s’analysent, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

En effet, le demandeur fait essentiellement état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre, mais ne démontre point que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre public en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo.

Cette conclusion n’est pas énervée par le fait que la maison du demandeur aurait été détruite par des Albanais, étant donné que ce fait isolé, remontant à 1999, n’est pas d’une gravité suffisante pour établir une persécution vécue justifiant la reconnaissance du statut de réfugié. A cela s’ajoute, que le demandeur fut en aveu lors de son audition du 22 septembre 1999, que son départ du Kosovo était également motivé par des raisons économiques, étant donné qu’il n’avait pas de travail.

Finalement, les craintes de persécution invoquées en l’espèce se cristallisent essentiellement autour de la situation au Kosovo, et le demandeur reste en défaut d’établir qu’il ne peut trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de son pays d’origine, notamment au Monténégro, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité sans restriction territoriale, le demandeur étant d’ailleurs en aveu que ses parents ont précisément trouvé refuge au Monténégro.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 16 janvier 2002 par:

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, M. Spielmann, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13572
Date de la décision : 16/01/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-01-16;13572 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award