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16/01/2002 | LUXEMBOURG | N°13557

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 janvier 2002, 13557


Tribunal administratif N° 13557 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 juin 2001 Audience publique du 16 janvier 2002 Recours formé par Madame …, Monsieur … et Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13557 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 juin 2001 par Maître Nuno PINTO, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des a

vocats à Diekirch, au nom de Madame …, et de ses fils majeurs …, et …, tous de nationalité yo...

Tribunal administratif N° 13557 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 juin 2001 Audience publique du 16 janvier 2002 Recours formé par Madame …, Monsieur … et Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13557 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 juin 2001 par Maître Nuno PINTO, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Madame …, et de ses fils majeurs …, et …, tous de nationalité yougoslave, les trois demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 12 janvier 2001, notifiée le 15 février 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 18 mai 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 octobre 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Gilbert REUTER, en remplacement de Maître Nuno PINTO, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 7 janvier 2002 .

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En date du 29 septembre 1999, Madame …, agissant tant en son nom personnel qu’en nom et pour compte de son fils mineur …, de même que son fils majeur, Monsieur … introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Madame … et son fils Monsieur … furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Madame … et Monsieur … furent ensuite entendus séparément en date du 29 mars 2000 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 12 janvier 2001, notifiée le 15 février 2001, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit:

« Il résulte de vos déclarations, Monsieur, que vous avez tous quitté votre pays en date du 28 juin 1999 pour vous rendre au Monténégro. Un bateau vous a amenés en Italie. Un passeur vous a conduits au Luxembourg où vous êtes arrivés le 28 septembre 1999 sans que vous ne puissiez donner d’indications en ce qui concerne le trajet. Les demandes en obtention du statut de réfugié datent du lendemain de votre arrivée.

Vous exposez que vous auriez été maltraité à la fois par les Serbes et par les Albanais.

Les Serbes n’auraient pas voulu vous laisser quitter le Kosovo en mars 1999. Par contre, vous auriez été cherché par les Albanais qui auraient frappé votre frère lorsque celui-ci ne savait pas leur indiquer où vous étiez. Vous ne savez pas si ces incidents sont en relation avec votre adhésion au SDA. Vous dites risquer d’être tué par les Albanais qui auraient pensé que vous soutiendriez la cause serbe. Enfin, vous précisez que votre maison aurait été incendiée.

Madame, vous exposez que vous auriez perdu toutes vos possessions dans les cambriolages et les incendies subséquents de vos quatre maisons. Vous auriez peur des Serbes et des Albanais qui vous auraient chassés du Kosovo et qui auraient eu l’intention de vous tuer. Vous auriez également été menacée et votre fils cadet aurait été maltraité. Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par le situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Monsieur, les maltraitances ainsi que l’incendie de votre maison, même à supposer ces faits établis, ne sont pas de nature à constituer une crainte justifiée de persécution pour un des motifs énoncés à la Convention de Genève.

De plus, la simple adhésion à un parti politique est insuffisante pour bénéficier du statut de réfugié dès lors que vous n’exerciez aucune activité politique.

Madame, les motifs que vous invoquez à l’appui de votre demande en obtention du statut de réfugié (cambriolages et incendies subséquents, menaces, maltraitance de votre fils), même à supposer ces faits établis, ne sont pas de nature à constituer une crainte justifiée de persécution pour un des motifs énoncés à la Convention de Genève.

En outre, les Albanais du Kosovo ne sont pas des agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

De plus, l’armée fédérale yougoslave et les forces de police dépendant des autorités serbes, à l’origine des répressions et des exactions commises au Kosovo, ont quitté ce territoire. Une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, est installée au Kosovo pour assurer la coexistence pacifique entre les différentes communautés et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mis en place.

Par ailleurs, alors qu’une situation de paix s’est établie dans votre région d’origine, des centaines de milliers de personnes, qui avaient quitté le Kosovo pour se réfugier en Albanie et dans l’Ancienne République yougoslave de Macédoine, ont réintégré leurs foyers après l’entrée des forces internationales sur le territoire.

Enfin, la situation des minorités ethniques du Kosovo s’est améliorée par rapport à l’année 1999. Les élections municipales du 28 octobre 2000 se sont conclues avec une victoire des partis modérés et une défaite des partis extrémistes. Ainsi, une persécution systématique des minorités ethniques est actuellement à exclure.

Par conséquent, vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 8 mars 2001, les demandeurs introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 12 janvier 2001.

Par décision du 18 mai 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 11 juin 2001, Madame … et ses deux fils majeurs Serif et …ont fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre des décisions précitées du ministre de la Justice des 12 janvier et 18 mai 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises. Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. – Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’un recours au fond contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font exposer qu’ils sont originaires du Kosovo et de confession musulmane et qu’ils seraient particulièrement exposés à des persécutions en raison de leur appartenance religieuse. Madame … ajoute qu’ils auraient quitté leur région natale en raison des actes de persécution commis d’abord par les Serbes et ensuite par les Albanais et précise que quatre maisons appartenant à sa famille auraient été cambriolées et incendiées. Monsieur … expose plus particulièrement qu’il aurait eu des problèmes initialement avec les Serbes et à partir de juin 1999 avec les Albanais qui lui reprocheraient d’avoir travaillé dans une usine serbe et d’avoir gardé son village d’origine pour les Serbes. Dans ce contexte, il aurait d’ailleurs été contraint de se cacher pendant quinze jours dans une forêt et son frère …aurait été frappé par les Albanais afin qu’il leur révèle l’endroit de sa cache. Monsieur … signale encore sa qualité d’adhérent au parti politique « SDA » depuis 1993. Finalement, dans le recours contentieux, le mandataire des demandeurs signale encore que Monsieur … aurait été gravement blessé, suite à l’explosion d’un obus au moment de la destruction d’une des maisons de la famille ….

En droit, les demandeurs concluent à la réformation des décisions entreprises pour erreur d’appréciation des faits.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des consorts … et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des consorts ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives en date du 29 mars 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient de prime abord de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance des demandeurs d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de leur départ. - En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place. Il suit du constat qui précède que, dans la région du Kosovo, les demandeurs n’ont, à l’heure actuelle, plus de raisons de craindre une persécution de la part des autorités serbes.

Il convient d’ajouter que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence et qu’une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, il ne saurait en être autrement qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p.113, nos. 73-s).

En ce qui concerne la situation des membres des certaines minorités au Kosovo, il est vrai que leur situation générale est difficile et ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des traitements discriminatoires.

Il y a lieu d’ajouter dans ce contexte, qu’une situation de conflit interne violent ou généralisé ne peut, à elle seule, justifier la reconnaissance de la qualité de réfugié, étant donné que la crainte de persécution, outre de devoir toujours être fondée sur l’un des motifs de l’article 1er A de la Convention de Genève, doit avoir un caractère personnalisé.

Or, en l’espèce les craintes exprimées par les demandeurs en raison de la prétendue hostilité des Serbes et des Albanais à leur égard en raison de leur appartenance à une minorité et de la situation générale tendue dans leur région d’origine, s’analysent, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

En effet, les demandeurs font essentiellement état de leur crainte de voir commettre des actes de violence à leur encontre, à savoir des représailles ou mauvais traitements de la part de membres de la population albanaise et serbe, mais ils ne démontrent pas que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables d’assurer à l’heure actuelle un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo.

Cette conclusion n’est énervée ni par la prétendue destruction de plusieurs maisons de la famille …, ni par les coups dont …… aurait été victime, ni par la blessure alléguée de … – le certificat produit en cause n’étant pas probant – ces faits, à les supposer établis, n’étant pas d’une gravité suffisante pour établir une persécution vécue justifiant la reconnaissance du statut de réfugié.

Ensuite, concernant les craintes de persécution en raison de la prétendue appartenance de Monsieur … au parti politique d’opposition « SDA », il y a lieu de constater que ce dernier n’a fait état ni d’un rôle actif au sein dudit parti, ni d’une persécution vécue ou d’une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine en raison de cette appartenance, d’autant plus que le climat politique au Kosovo suite aux récentes élections a considérablement changé.

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

déclare le recours en annulation irrecevable;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 16 janvier 2002 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, M. Spielmann, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13557
Date de la décision : 16/01/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-01-16;13557 ?

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