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16/01/2002 | LUXEMBOURG | N°13478

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 janvier 2002, 13478


Tribunal administratif N° 13478 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 mai 2001 Audience publique du 16 janvier 2002

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Recours formé par Madame … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13478 et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 mai 2001 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit a

u tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, … , agissant tant en son nom per...

Tribunal administratif N° 13478 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 mai 2001 Audience publique du 16 janvier 2002

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Recours formé par Madame … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13478 et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 mai 2001 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, … , agissant tant en son nom personnel qu’en nom et pour compte de ses enfants mineurs … et …, tous de nationalité bosniaque, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 17 janvier 2001, notifiée le 13 février 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 18 avril 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 septembre 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Louis TINTI, en remplacement de Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 7 janvier 2002.

En date du 15 décembre 1999, Madame …, agissant tant en son nom personnel qu’en nom et pour compte de ses enfants mineurs … et …, introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Elle fut entendue le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Madame … fut ensuite entendue en dates des 13 et 21 décembre 2000 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 17 janvier 2001, notifiée le 13 février 2001, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations que vous êtes arrivée au Luxembourg le 15 décembre 1999 vers 8.00 heures.

Vous exposez les problèmes que vous et votre mari vous auriez eus lors de la guerre de Bosnie. Vous indiquez avoir été violée en date du 1er juin 1992 lorsque 5 ou 6 hommes se seraient introduits dans votre maison.

Vous expliquez que le régime actuellement en place voudrait que chacun récupère sa maison. Votre maison à Kusonje en République serbe de Bosnie aurait cependant été incendiée pendant la guerre de Bosnie. Vous auriez vécu dans la maison d’un Serbe dans la Fédération de Bosnie et Herzégovine depuis la fin de la guerre. Le gouvernement vous aurait incité à quitter cette maison.

Vous rapportez que votre mari aurait reçu des menaces de Serbes de la République serbe de Bosnie en cas d’un retour dans cette entité territoriale. Vous n’auriez plus rien pour retourner en Bosnie.

Force est cependant de constater que les problèmes que vous relatez viennent surtout du fait que le gouvernement de la Fédération de Bosnie et Herzégovine ne fait qu’appliquer les accords de Dayton conclus en 1995 à la fin de la guerre de Bosnie.

Les décisions prises par ce gouvernement ne sauraient par conséquent être considérées comme actes de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il ressort de vos déclarations que vous avez un sentiment général d’insécurité. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. Par ailleurs, la situation générale dans le pays d’origine d’un demandeur d’asile ne saurait être suffisante pour justifier l’octroi du statut de réfugié.

De même, les Serbes de la République serbe de Bosnie ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

Les problèmes que vous auriez eus en 1992 ne sont plus d’actualité, étant donné que la situation en Bosnie a fondamentalement changé depuis la fin de la guerre.

Par conséquent, vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 13 mars 2001, Madame …-… introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 17 janvier 2001.

Par décision du 18 avril 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 23 mai 2001, Madame … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions précitées du ministre de la Justice des 17 janvier et 18 avril 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, la demanderesse fait exposer qu’elle est originaire de la Ville de Kosunje située en République Srpska en Bosnie-Herzégovine, qu’elle est de confession musulmane et qu’elle aurait dû quitter sa région d’origine en 1992 en raison des exactions commises par les Serbes lors de la guerre de Bosnie. A ce titre, elle relève qu’elle aurait été violée à son domicile en date du 1er juin 1992 en présence de ses fils, de son mari et de son beau-frère qui tous les deux auraient été ligotés, battus et insultés. A cette occasion, son beau-frère aurait été tué. Par la suite, elle aurait été séparée de son mari qui aurait été emmené par des paramilitaires serbes, de sorte qu’elle aurait dû se réfugier dans la partie musulmane de la Bosnie. Suite à un échange de prisonniers, son mari aurait été libéré, mais aurait dû aller combattre pendant neuf mois au sein de l’armée de la Fédération. Par la suite, elle aurait vécu avec sa famille à Pozanica sur le territoire de la fédération musulmane dans une maison ayant appartenu à un Serbe. Lors d’une visite à Kosunje en septembre 1999, la demanderesse aurait pu se rendre compte que leur maison aurait été incendiée pendant la guerre de Bosnie et que tout retour à cet endroit s’avérerait illusoire en raison du fait que dans la République Srpska une vie en commun entre Serbes et musulmans bosniaques ne serait plus possible. Elle aurait finalement décidé de quitter son domicile à Pozanica avec ses enfants suite au départ antérieur de son mari et en raison du fait que les autorités sur place lui auraient enjoint à plusieurs reprises de quitter ce domicile devant revenir à son véritable propriétaire et qu’on leur aurait même coupé l’électricité.

En droit, elle conclut à la réformation des décisions entreprises « pour erreur manifeste d’appréciation des faits », au motif que le ministre aurait conclu à tort que les faits dont elle a fait état ne justifieraient pas la reconnaissance du statut de réfugié.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Madame … et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle de la demanderesse, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de la demanderesse.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Madame … lors de ses auditions en dates des 13 et 21 décembre 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient de prime abord de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ. - En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite à l’accord de paix intervenu en 1995, la situation générale en Bosnie-Herzégovine s’est nettement améliorée alors même que le retour de réfugiés appartenant à des minorités reste difficile et qu’il faut évaluer dans chaque cas d’espèce les situations personnelles.

En effet, il échet de retenir tout d’abord en relation avec les faits qui se sont déroulés en 1992 que ceux-ci sont sans relation causale directe avec le départ de la demanderesse en décembre 1999. Le départ de la demanderesse se trouve essentiellement motivé par le fait qu’elle a été invitée à quitter la maison qu’elle avait occupé en l’absence du véritable propriétaire à Pozanica en partie musulmane de Bosnie-Herzégovine. La demanderesse ne fait dès lors valoir aucun fait concret et circonstancié de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités actuellement en place. Les raisons alléguées s’analysent plutôt comme l’expression d’un sentiment général d’insécurité en raison de la mauvaise situation en Bosnie-Herzégovine et en raison du fait que la demanderesse ne dispose plus d’une maison, argument d’ordre matériel et économique.

Finalement, les éléments ayant trait à une prétendue persécution en raison de son appartenance à la communauté musulmane, à défaut par la demanderesse d’avoir établi des circonstances particulières dans son chef, ne s’analysent pas en une persécution ou une crainte de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Il convient encore de signaler que la demande en obtention du statut de réfugié politique présentée par le mari de la demanderesse, à savoir Monsieur Seid …, basée sur des faits pratiquement identiques, a été déclarée non justifiée suivant jugement du tribunal administratif du 5 avril 2000, confirmée par arrêt de la Cour administrative du 12 octobre 2000.

Il ressort de ce qui précède que la demanderesse n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 16 janvier 2002 par:

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, M. Spielmann, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13478
Date de la décision : 16/01/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-01-16;13478 ?

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