La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/01/2002 | LUXEMBOURG | N°13464

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 janvier 2002, 13464


Numéro 13464 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 mai 2001 Audience publique du 16 janvier 2002 Recours formé par les époux … et …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13464 du rôle, déposée le 21 mai 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, insc

rit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ……, et de son épous...

Numéro 13464 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 mai 2001 Audience publique du 16 janvier 2002 Recours formé par les époux … et …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13464 du rôle, déposée le 21 mai 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ……, et de son épouse, Madame …, tous les deux de nationalité yougoslave, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et …, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 26 janvier 2001, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 18 avril 2001 prise sur recours gracieux, portant toutes les deux rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH en ses plaidoiries à l’audience publique du 12 décembre 2001.

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

En date respectivement du 11 septembre 1998 et du 26 février 1999, Monsieur …… et son épouse, Madame …, préqualifiés, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …et …, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date des mêmes jours, ils furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Les époux … furent entendus séparément en dates des 2 septembre 1999 et 20 janvier 2000 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leurs demandes d’asile.

Le ministre de la Justice informa les époux …-, par décision du 26 janvier 2001, notifiée en date du 6 mars 2001, de ce que leurs demandes avaient été rejetées au motif qu’ils n’allégueraient aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans leur chef.

Le recours gracieux introduit par les époux … suivant courrier de leur mandataire du 6 avril 2001 s’étant soldé par une décision confirmative du même ministre du 18 avril 2001, ils ont fait introduire un recours en réformation à l’encontre des deux décisions ministérielles des 26 janvier et 18 avril 2001 par requête déposée le 21 mai 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit, lequel est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent avoir résidé au Monténégro, faire partie de la minorité albanaise et être de confession musulmane. Ils reprochent au ministre une appréciation erronée des faits à la base de leurs demandes d’asile et soutiennent qu’une appréciation plus juste des éléments en cause aurait dû le conduire à reconnaître dans leur chef l’existence d’une persécution à caractère politique intolérable au sens de la Convention de Genève. Ils font valoir qu’en raison de leur appartenance à une minorité ils auraient été victimes de « menaces, injures, humiliations » et que la pratique de leur culte aurait été entravée dans leur ville natale. Ils se fondent sur le fait que Monsieur… aurait été accusé par le ministère de l’Intérieur yougoslave pour avoir commis des infractions contre la Constitution et les lois du Monténégro et de la République fédérale yougoslave à cause de son engagement au sein du parti politique « Union démocratique du Monténégro » défendant les intérêts de minorités albanophones. Les demandeurs ajoutent que Monsieur… ferait encore à l’heure actuelle l’objet d’un mandat d’arrêt fondé sur les mêmes faits, qui établirait que cette accusation aurait été portée contre Monsieur… uniquement en raison de son activité politique.

Ils font valoir que, dans la mesure où la ratification de la Convention de Genève traduit la volonté des Etats signataires de parer au danger résultant du manquement de l’Etat d’origine du demandeur d’asile à remplir ses obligations de protection envers ses citoyens, le traitement leur infligé par les autorités yougoslaves constituerait une violation de leurs droits fondamentaux, tels que consacrés notamment par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966 et que ce traitement devrait partant être qualifié de persécution au sens de la Convention de Genève. Ils ajoutent enfin que leur vie serait menacée en cas de retour dans leur pays d’origine « alors que leur région est largement « fréquentée » par des « tchetniques », lesquels sont souvent à l’origine des exactions commises à l’égard des musulmans ».

Le représentant étatique soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 2001, v° Recours en réformation, n° 11, p. 407).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique politique (Cour adm. 5 avril 2001, Durakovic, n° 12801C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des moyens et arguments apportés au cours des procédures administrative et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, la « convocation pour l’inculpé » émise le 5 octobre 1998 par le juge d’instruction auprès du tribunal départemental du tribunal 1e instance à Plav, versée par les demandeurs, comporte comme seule indication de l’objet de l’inculpation « délit 172/1 ». Or, à défaut d’une indication plus circonstanciée des faits exacts reprochés à Monsieur… et d’éléments tendant à indiquer l’existence d’un lien entre l’accusation pénale et l’activité politique de ce dernier, l’affirmation des demandeurs que cette poursuite pénale serait intervenue en raison des seules activités politiques de Monsieur… n’est pas suffisamment précise pour permettre de conclure que ladite convocation devant un tribunal pénal constitue un acte de persécution au sens de la Convention de Genève fondée sur l’activité politique de Monsieur….

Concernant la situation ethnico-religieuse des demandeurs, il y a lieu de relever d’abord que la seule appartenance à une minorité ethnique ou religieuse est insuffisante pour établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève et qu’il incombe au demandeur d’asile de prouver que, considéré individuellement et concrètement, il risque de subir actuellement des traitements discriminatoires en raison de cette appartenance.

S’y ajoute que les traitements et discriminations auxquels les demandeurs se réfèrent émanent non pas des autorités publiques mais de groupes de la population, plus spécialement de leur voisinage. Or, s’il est certes vrai que la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et qu’une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, il reste cependant pas moins qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, les demandeurs se réfèrent d’une manière générale à des « menaces injures, humiliations » et à des entraves à la pratique de leur culte, ainsi qu’à un risque de persécutions énmanant des « tchetniques », mais restent en défaut d’établir qu’ils ont concrètement recherché la protection de la part des autorités publiques et un refus éventuel d’une telle protection pour l’un des motifs visés par la Convention de Genève.

Etant donné qu’il résulte des développements qui précèdent que les faits avancés par les demandeurs à l’appui de leur demande d’asile ne justifient pas la reconnaissance du statut afférent, les violations alléguées du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966 ne sauraient pas non plus justifier la réformation des décisions ministérielles critiquées dans la mesure où elles se fondent sur les mêmes faits.

Il ressort des développements qui précèdent que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Le recours en réformation est partant à rejeter comme n’étant pas fondé.

Nonobstant le fait que l’Etat n’a pas fait déposer de mémoire en réponse, le tribunal est néanmoins appelé, conformément à l’article 6 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, à statuer à l’égard de toutes les parties.

PAR CES MOTIFS, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, et lu à l’audience publique du 16 janvier 2002 par le premier juge en présence de M.

Schmit, greffier en chef.

s. SCHMIT s. LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13464
Date de la décision : 16/01/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-01-16;13464 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award