La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

14/01/2002 | LUXEMBOURG | N°13648

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 janvier 2002, 13648


Numéro 13648 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 juin 2001 Audience publique du 14 janvier 2002 Recours formé par les époux…-… et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13648 du rôle, déposée le 25 juin 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Louis UNSEN, avocat à la Cour, i

nscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, né le 2 août 19...

Numéro 13648 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 juin 2001 Audience publique du 14 janvier 2002 Recours formé par les époux…-… et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13648 du rôle, déposée le 25 juin 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Louis UNSEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, né le 2 août 1952 à Pec (Kosovo/Yougoslavie), et de son épouse, Madame …, née le 17 octobre 1954 à Dobrodole (Monténégro/Yougoslavie), ainsi qu’au nom de Mademoiselle … …, née le 4 avril 1977 à Pec, et de Monsieur … …, né le 18 mai 1980 à Pec, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 6 février 2001 portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le courrier du délégué du Gouvernement du 14 novembre 2001 informant Maître Jean-Louis UNSEN du fait que Mademoiselle … … a renoncé en date du 31 octobre 2001 à sa demande d’asile;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Marc WALCH, en remplacement de Maître Jean-Louis UNSEN en ses plaidoiries à l’audience publique du 10 décembre 2001.

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Le 1er mai 1998 respectivement le 9 juin 1998, Monsieur Izet … et son épouse, Madame …, ainsi que leurs enfants … et …, tous préqualifiés, désignés ci-après par « les consorts … », introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les mêmes jours respectifs, les consorts … furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Les consorts … furent entendus séparément en dates des 22 mai, 3 juillet et 9 juillet 1998 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leurs demandes d’asile.

Le ministre de la Justice informa les consorts …, par décision du 6 février 2001, notifiée en date du 21 mars 2001, de ce que leurs demandes avaient été rejetées au motif qu’ils n’allégueraient aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays d’origine, de sorte qu’une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait pas établie dans leur chef.

Le recours gracieux formé par les consorts … moyennant courrier de leur mandataire daté au 19 avril 2001 à l’encontre de la décision ministérielle précitée fut rencontré par une décision confirmative du 30 mai 2001.

A l’encontre de la décision ministérielle initiale de rejet du 6 février 2001, les consorts … ont fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation par requête déposée le 25 juin 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs reprochent au ministre de ne pas avoir apprécié à sa juste valeur leur situation spécifique qui serait telle qu’elle laisserait supposer une crainte légitime de persécution dans leur chef. Ils signalent qu’ils sont de confession musulmane et proviennent de la ville de Pec, dominée par les Albanais. Ils font valoir que Monsieur Izet … aurait été membre du parti communiste depuis 1972 jusqu’à la mort du président Tito et qu’il aurait dû servir, suite à des pressions exercées sur lui, dans la « réserve de la police » sous le régime serbe, et que lui-même et son épouse auraient fait l’objet de menaces et d’insultes, voire même d’attaques de la part tant des Albanais que des Serbes. Ils se prévalent encore du refus de Monsieur … … d’être enrôlé dans l’armée yougoslave au motif qu’il aurait refusé de servir un régime autoritaire en participant à une guerre civile pour tuer des gens appartenant à la même communauté religieuse que lui-même et ils soutiennent que l’insoumission de Monsieur … emporterait d’abord pour ce dernier le risque d’être traduit, en cas de retour, devant un tribunal militaire et d’être condamné à une peine d’emprisonnement accompagnée d’ « une panoplie de mauvais traitements » et ensuite, pour les membres de sa famille, celui de faire l’objet d’exactions. Les demandeurs renvoient à la barrière linguistique, du fait qu’ils ne parleraient pas la langue albanaise, les séparant du reste de la population de leur région d’origine et aux discriminations à leur encontre en résultant et ils ajoutent que la situation dans leur pays d’origine ne serait pas telle qu’elle laisserait présager un retour au calme, mais serait marquée par des actes préparatoires de nouvelles attaques armées.

A titre liminaire, il échet de relever que le délégué du Gouvernement a soumis au tribunal, en annexe à un courrier du 14 novembre 2001, copie d’une déclaration de renonciation de la part de Mademoiselle … … à sa demande d’asile, signée le 31 octobre 2001.

Le mandataire des demandeurs n’a pas autrement pris position face à cette renonciation. Il y a partant lieu de constater que le recours est devenu sans objet pour autant qu’introduit du chef de Mademoiselle … ….

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, v° Recours en réformation, n° 11, p. 407).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 5 avril 2001, n° 12801C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des moyens et arguments apportés au cours des procédures administrative et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, les demandeurs font état d’une part de leur crainte de voir commettre des actes de violence à leur encontre en raison de leur appartenance à la minorité musulmane et de l’engagement politique, ainsi que de l’activité de Monsieur … au sein de la police, tout en concédant que les persécutions par eux invoquées émanent non pas de l’Etat, mais de groupes de la population, en l’espèce surtout de la population albanaise et serbe du Kosovo. Ils estiment néanmoins que la crainte afférente peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique, étant donné que les autorités en place seraient dans l’impossibilité de leur accorder une protection adéquate.

S’il est certes vrai que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et qu’une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, il reste cependant pas moins qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s).

Dans ce contexte, il y a lieu de relever que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités au Kosovo est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres traitements discriminatoires par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des traitements discriminatoires. Une situation de conflit interne violent ou généralisé ne peut en effet, à elle seule, justifier la reconnaissance de la qualité de réfugié étant donné que la crainte de persécution, outre de devoir toujours être fondée sur l’un des motifs de l’article 1er, section A de la Convention de Genève, doit également avoir un caractère personnalisé.

En l’espèce, les demandeurs font certes état de menaces et d’insultes déjà subies et d’un risque d’en subir encore en cas de retour, mais restent en défaut d’établir qu’ils ont concrètement recherché la protection de la part des autorités publiques en place au Kosovo et qu’ils se seraient heurtés à un refus d’une telle protection pour l’un des motifs visés par la Convention de Genève.

Concernant le moyen des demandeurs fondé sur l’insoumission de Monsieur … …, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève. En outre, il n’est pas établi à suffisance de droit qu’actuellement Monsieur … risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés, ni qu’il subsiste encore à l’heure actuelle un risque de poursuites en raison de son insoumission, ni encore qu’une condamnation d’ores et déjà prononcée serait encore effectivement exécutée.

Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et insoumis, Monsieur … n’établit pas que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées, ceci compte tenu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du parlement de la République fédérale yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, dont également ceux qui ont quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires.

Le renvoi par les demandeurs à la situation générale dans leur pays d’origine n’est pas de nature à justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef, vu qu’ils restent en défaut d’établir qu’ils risqueraient personnellement de faire l’objet de persécutions.

Il résulte des développements qui précèdent que les demandeurs restent en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre leur a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique et que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

Alors même que l’Etat n’a pas fait déposer de mémoire en réponse dans le délai légal, le tribunal est néanmoins appelé, conformément à l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, à statuer à l’égard de toutes les parties.

PAR CES MOTIFS, Le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours principal en réformation en la forme, le déclare sans objet pour autant qu’introduit au nom de Mademoiselle … …, au fond, le déclare non justifié pour le surplus et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, et lu à l’audience publique du 14 janvier 2002 par Mme Lenert en présence de M.

Schmit, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13648
Date de la décision : 14/01/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-01-14;13648 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award