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14/01/2002 | LUXEMBOURG | N°13377

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 janvier 2002, 13377


Tribunal administratif N° 13377 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 mai 2001 Audience publique du 14 janvier 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13377 et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 mai 2001 par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg,

au nom de Monsieur …, né le … à Bijelo Polje (Monténégro), demeurant actuellement à L-…, tendant à la ...

Tribunal administratif N° 13377 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 mai 2001 Audience publique du 14 janvier 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13377 et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 mai 2001 par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Bijelo Polje (Monténégro), demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 13 novembre 2000, notifiée le 21 février 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 29 mars 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 août 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé en date du 15 octobre 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Edmond DAUPHIN au nom du demandeur ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 octobre 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Edmond DAUPHIN, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 26 juillet 1999, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut ensuite entendu le 20 août 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 13 novembre 2000, notifiée le 21 février 2001, le ministre de la Justice l’informa de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit:

« Vous exposez que vous n’avez pas fait votre service militaire, mais que vous avez été appelé alors que vous étiez encore mineur. Dès que vous avez reçu cet appel, vous avez quitté votre domicile pour vous cacher chez l’une de vos sœurs au Monténégro. Vous dites refuser de faire votre service militaire pour ne pas devoir tuer des gens. Maintenant, vous craignez la prison pour insoumission.

Vous n’êtes pas membre d’aucun parti politique.

Vous ajoutez que vous êtes venu au Luxembourg pour rejoindre vos parents.

En ce qui concerne les persécutions que vous auriez subies, vous faites seulement état du fait que votre sœur aurait été interrogée au moment où, en votre absence, elle a réceptionné votre appel au service militaire.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

La crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève.

Il est d’ailleurs constant que le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Le nouveau gouvernement qui a été mis en place en novembre 2000 bénéficie du soutien international ce qui se traduit par l’adhésion de la Yougoslavie à l’ONU et à l’OSCE.

Eu égard à ces circonstances, je dois constater que vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A, 2 de la Convention de Genève, c’est-à-dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 15 mars 2001, Monsieur … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 13 novembre 2000.

Par décision du 29 mars 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée le 2 mai 2001, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions précitées du ministre de la Justice des 13 novembre 2000 et 29 mars 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il aurait reçu une convocation pour rejoindre les rangs de l’armée yougoslave alors qu’il aurait encore fréquenté le lycée technique à Belgrade et qu’il n’aurait eu que 17 ans à cette époque. Il soutient partager les idées politiques de son père, qui se serait prononcé contre la guerre se déroulant au Kosovo et qui aurait également refusé de faire la réserve militaire. Etant donné qu’il n’aurait pas voulu tuer des gens, il aurait refusé la convocation pour se présenter à l’armée. Il fait valoir qu’il aurait tout de suite quitté Belgrade pour se cacher chez sa sœur habitant au Monténégro, qu’après six mois, ayant reçu un ordre de mobilisation à son adresse à Belgrade, il aurait préféré prendre la fuite et rejoindre ses parents qui se trouvaient déjà au Luxembourg et y avaient demandé le statut de réfugié. Il estime ne pas pouvoir retourner en Yougoslavie, étant donné qu’en tant qu’insoumis, il risquerait d’être condamné à une peine d’emprisonnement par les autorités militaires, peine qui serait sans doute disproportionnée par rapport à la gravité de l’infraction commise notamment en raison du fait que son père serait considéré comme un traître dans son pays d’origine pour conclure à l’obtention du statut de réfugié dans son chef.

Il soutient finalement que les « insoumis et déserteurs qui ont quitté le pays ne bénéficient toujours pas d’une prétendue loi d’amnistie », Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur … et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Monsieur ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur … lors de son audition en date du 20 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le principal motif de persécution dont le demandeur fait état dans son recours contentieux, à savoir son insoumission, il convient de rappeler que l’insoumission ou la désertion ne sont pas, en elles-mêmes, des motifs justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elles ne sauraient, à elles seules, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur … risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables ou que des traitements discriminatoires, en raison de ses opinions politiques, risquaient ou risquent de lui être infligés ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur … n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Concernant l’allégation relative à une non-application généralisée de ladite loi d’amnistie, illustrée par le demandeur par référence notamment à un extrait du journal « Vesti » du 19 mars 2001, il convient en premier lieu de relever qu’au-delà des termes mêmes de la loi d’amnistie ainsi que des infractions qui en font l’objet, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés a au contraire exprimé l’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’auraient pas pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13853C du rôle, non encore publié).

Le demandeur soutient également que sa situation spécifique devrait également être examinée au regard de celle de ses parents, auprès desquels il aurait vécu jusqu’à leur départ pour le Luxembourg, étant donné qu’en tant que fils de son père qui serait considéré comme un traître dans son pays, il risquerait de subir des persécutions de ce chef.

Force est cependant de constater qu’il ressort d’un jugement de ce tribunal du même jour (n°13378 du rôle) que les époux …-… restent en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance et que c’est partant à bon droit que le ministre leur a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique. Il s’ensuit que la demande d’asile de Monsieur …, fils des époux …-…, laisse pareillement d’être fondée dans la mesure où elle se base sur la situation des époux …-… en raison des liens familiaux existant entre eux pour conclure que par extension, il encourrait les mêmes dangers de persécution.

Il ressort de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président, Mme Lamesch, juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 14 janvier 2001, par le président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Ravarani 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13377
Date de la décision : 14/01/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-01-14;13377 ?

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