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09/01/2002 | LUXEMBOURG | N°s13560,14035

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 janvier 2002, s13560,14035


Tribunal administratif N°s 13560 et 14035 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrits respectivement les 12 juin et 4 octobre 2001 Audience publique du 9 janvier 2002

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Recours formés par Monsieur Sinan SKRIJELJ et par son épouse, Madame Hadija SKRIJELJ-HOT et consort contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

I.

Vu la requête inscrite sous le numéro 13560 du rôle et dé

posée le 12 juin 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Emanuele ADAM , avocat à la Co...

Tribunal administratif N°s 13560 et 14035 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrits respectivement les 12 juin et 4 octobre 2001 Audience publique du 9 janvier 2002

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Recours formés par Monsieur Sinan SKRIJELJ et par son épouse, Madame Hadija SKRIJELJ-HOT et consort contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

I.

Vu la requête inscrite sous le numéro 13560 du rôle et déposée le 12 juin 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Emanuele ADAM , avocat à la Cour, assisté de Maître Jean-Louis ADNET, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur Sinan SKRIJELJ, né le 4 janvier 1964 à Berane (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-8707 Useldange, 23, route de Boevange, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 9 janvier 2001, notifiée le 16 février 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 septembre 2001 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 17 octobre 2001 ;

II.

Vu la requête inscrite sous le numéro 14035 du rôle et déposée le 4 octobre 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Emanuele ADAM, assisté de Maître Jean-

Louis ADNET, préqualifiés, au nom de Madame Hadija HOT, épouse de Monsieur Sinan SKRIJELJ, née le 15 septembre 1970 à Rozaje (Monténégro/Yougoslavie), agissant tant en son nom personnel qu’en nom et pour compte de leur enfant mineur Rijada SKRIJELJ, née le 19 janvier 2001 à Luxembourg, demeurant actuellement ensemble à L-8707 Useldange, 23, route de Boevange, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 28 août 2001, notifiée le 4 septembre 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 décembre 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Jean-Louis ADNET, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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En dates respectivement des 21 décembre 1998 et 4 juin 1999, Monsieur Sinan SKRIJELJ et Madame Hadija HOT introduisirent séparément auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-

ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur SKRIJELJ et Madame HOT furent entendus respectivement en dates des mêmes jours par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent ensuite entendus séparément en dates des 12 octobre et 5 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 9 janvier 2001, notifiée le 16 février 2001, le ministre de la Justice informa Monsieur SKRIJELJ que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Vous exposez avoir été membre du DPS. Vous n’auriez pas eu de problèmes à cause de votre adhésion à ce parti.

Vous expliquez que votre frère aurait déserté en août 1998. Depuis ce moment, vous auriez eu des problèmes avec la police. Votre maison aurait ét perquisitionnée et vous auriez été convoqué à deux reprises par la police. Vous déclarez ne pas avoir été maltraité par la police. Vous auriez peur que la police continue de vous arrêter et de vous interroger.

Force est cependant de constater que l’armée fédérale yougoslave et les forces de police dépendant des autorités serbes, à l’origine des répressions et exactions commises au Kosovo, ont quitté ce territoire. Une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée au Kosovo et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place.

Par ailleurs des centaines de milliers de personnes, qui avaient quitté le Kosovo pour se réfugier en Albanie et dans l’Ancienne République yougoslave de Macédoine, ont réintégré leurs foyers après l’entrée des forces internationales sur le territoire.

Dans ces circonstances vous ne pouvez pas faire état d’un risque actuel de persécution pour des motifs tenant à votre race, à vos opinions politiques, à votre religion, à votre nationalité ou à votre appartenance à un groupe social, que vous courriez si vous deviez retourner dans votre territoire d’origine.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » Par décision séparée du 28 août 2001, notifiée le 4 septembre 2001, le ministre de la Justice informa Madame HOT que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit : « Vous voudriez rester au Luxembourg jusqu’à la fin de la guerre. Vous auriez quitté votre pays à cause de problèmes et provocations sans que vous ne donniez pour autant d’autres détails. Vous précisez que vous seriez venue surtout pour rejoindre votre mari. Vous ajoutez qu’il n’y aurait pas de travail dans votre pays d’origine. Il n’y aurait pas d’avenir et la situation y serait très mauvaise.

Vous auriez par ailleurs peur de l’armée serbe et de la guerre civile. Enfin, vous n’êtes pas membre d’un parti politique et vous n’avez pas été personnellement persécutée.

Par lettre du 30 avril 2001, les consorts AJDARPASIC-SABOTIC introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 31 janvier 2001.

Par décision du 14 mai 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 13 juin 2001, les consorts AJDARPASIC-

SABOTIC ont fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions précitées du ministre de la Justice des 31 janvier et 14 mai 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font exposer qu’ils seraient originaires du Monténégro et de confession musulmane et que leur situation spécifique serait telle qu’ils seraient particulièrement exposés à des persécutions en raison de l’insoumission de Monsieur AJDARPASIC, au motif qu’il aurait été appelé à la réserve en avril 1999, mais qu’il aurait refusé de donner une suite à cet appel parce qu’il n’aurait pas voulu se battre contre son « peuple », à savoir la population musulmane du Kosovo, de sorte qu’il risquerait d’être condamné comme insoumis à une peine de prison lourde et disproportionnée par rapport à la gravité objective de son infraction. Les demandeurs font ajouter que Monsieur AJDARPASIC aurait été membre du parti politique d’opposition « SDA » depuis 1992 et qu’il aurait été licencié en raison du fait qu’il n’aurait pas donné suite à la convocation pour la réserve et en raison de son appartenance ethnique. Finalement les demandeurs font encore état de la situation générale instable et de leurs conditions de survie difficiles dans leur pays d’origine en raison de leur confession musulmane.

En droit les demandeurs concluent à la réformation des décisions ministérielles pour violation de la loi, sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existante au moment où il statue (cf. trib.

adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives en date du 27 septembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le principal motif fondé sur l’état d’insoumission de Monsieur AJDARPASIC, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-

même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs, une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur AJDARPASIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur AJDARPASIC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées, et surtout que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Cette conclusion n’est pas énervée par les pièces déposées par le mandataire des demandeurs à l’appui de son mémoire en réplique, documents tendant à illustrer une non-application concrète de ladite loi d’amnistie, mais qui ne sauraient en tout état de cause être retenus comme étant suffisants pour illustrer une défaillance généralisée au niveau de l’application de la loi d’amnistie, hypothèse qui est au demeurant démentie par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés qui est au contraire d’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et qui n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’aurait pas pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13853C du rôle). Force est encore de constater que les différentes pièces invoquées par les demandeurs pour soutenir leurs doutes au sujet de l’application effective de la loi d’amnistie et visant d’autres personnes, ne sauraient être utilement retenues pour invalider la conclusion ci-avant dégagée, étant donné que les prétendus documents judiciaires, à admettre leur authenticité, ne permettent en tout état de cause pas de situer avec toute la certitude requise les infractions pénales y visées dans le temps.

La prétendue appartenance de Monsieur AJDARPASIC au parti politique d’opposition « SDA » ne saurait non plus justifier la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève, étant donné que la simple qualité de membre n’est pas suffisante à cet égard et que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution vécue ou d’une crainte en relation avec cette appartenance politique qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine.

La même conclusion s’impose au sujet des craintes de persécution des demandeurs en raison de leur appartenance à la communauté religieuse musulmane et de la situation difficile dans leur pays d’origine qui constituent plutôt l’expression d’un sentiment général de peur sans que les demandeurs n’aient établi concrètement en quoi, à l’heure actuelle, ils seraient encore exposés à un risque de persécution, tel que leur vie serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine. Cette conclusion n’est pas ébranlée par le fait que Monsieur AJDARPASIC aurait été licencié, étant donné que ce fait - à le supposer établi – n’est pas suffisant pour établir une persécution vécue justifiant la reconnaissance du statut de réfugié.

Finalement, l’invocation de la Déclaration universelle des droits de l’homme ainsi que du Pacte international relatif aux droits civils et politiques n’est pas pertinente, étant donné que le simple fait de tomber dans le champ d’application de ces instruments juridiques internationaux n’autorise pas une personne à se voir reconnaître le statut de réfugié politique. L’examen du statut de réfugié politique fait l’objet d’une appréciation au cas par cas à la lumière des normes juridiques existantes régissant les conditions d’octroi du droit d’asile, à savoir la Convention de Genève.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé aux demandeurs la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 9 janvier 2002 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : s13560,14035
Date de la décision : 09/01/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-01-09;s13560.14035 ?

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