La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/01/2002 | LUXEMBOURG | N°13569

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 janvier 2002, 13569


Tribunal administratif N° 13569 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 juin 2001 Audience publique du 9 janvier 2002 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

------------------------------------------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13569 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 juin 2001 par Maître Guillaume RAUCHS, avocat à la Cour, assisté de Maître Isabelle HOMO, avocat, les deux inscrits

au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Vitomiri...

Tribunal administratif N° 13569 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 juin 2001 Audience publique du 9 janvier 2002 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

------------------------------------------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13569 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 juin 2001 par Maître Guillaume RAUCHS, avocat à la Cour, assisté de Maître Isabelle HOMO, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Vitomirica/Pec (Kosovo/Yougoslavie), demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 7 février 2001, notifiée le 5 mars 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 10 mai 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 septembre 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Isabelle HOMO, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries respectives.

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

En date du 24 août 1998, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut ensuite entendu en date du 26 août 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 7 février 2001, notifiée le 5 mars 2001, le ministre de la Justice informa Monsieur … que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit:

« Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté votre domicile le 19 août 1998 pour aller à Sarajevo où vous avez trouvé un passeur qui vous a emmené à Mostar, puis à Milan et ensuite vous avez poursuivi votre voyage en passant par la France.

Vous exposez que vous avez reçu une convocation pour faire votre service militaire en juillet 1998. Vos parents l’auraient acceptée en votre absence, mais vous auriez quitté directement votre pays après cette convocation. Vous dites que vous ne vouliez pas tuer des innocents. Vous ajoutez que vous ne vous sentez plus chez vous en Yougoslavie, et que les musulmans n’y ont aucun droit. Vous pensez risquer une peine de prison pour insoumission.

En ce qui concerne les persécutions que vous auriez subies, vous faites seulement état de gifles données par un policier lors d’un contrôle d’identité quand vous aviez 17 ans.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout par le situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

La crainte des peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève. De même, l’insoumission ne constitue pas, à elle seule, un motif valable pour obtenir le statut de réfugié.

Quant à l’autre fait invoqué, à savoir la gifle que vous auriez reçue d’un policier lors d’un contrôle d’identité quand vous aviez dix-sept ans, même à le supposer établi, il n’est pas non plus d’une gravité telle qu’il puisse constituer un acte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Je dois donc constater que vous ne justifiez pas d’une crainte raisonnable de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, c’est-à-

dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Force est d’ailleurs de constater qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée au Kosovo et qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place. La situation des minorités ethniques du Kosovo s’est améliorée par rapport à l’année 1999. Les élections municipales du 28 octobre 2000 se sont conclues avec une victoire des partis modérés et une défaite des partis extrémistes. Ainsi, une persécution systématique des minorités ethniques est actuellement à exclure.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 3 avril 2001, Monsieur … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 7 février 2001.

Par décision du 10 mai 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 13 juin 2001, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions précitées du ministre de la Justice des 7 février et 10 mai 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire du Kosovo, de confession musulmane, qu’il ferait partie de la minorité « bochniaque » du Kosovo, et qu’il aurait quitté sa région natale en raison de l’appel à l’armée au courant du mois de juillet 1998, de sorte qu’il serait à considérer comme insoumis et qu’il risquerait de ce fait une peine de prison. Il fait ajouter que la situation serait dangereuse, imprévisible et instable dans sa région d’origine et qu’il aurait peur à la fois des Serbes et des Albanais qui ne respecteraient pas la minorité des « bochniaques » du Kosovo. Finalement, le demandeur fait encore état du fait qu’il aurait été giflé par un policier lors d’un contrôle d’identité à l’âge de dix-sept ans.

En droit, le demandeur conclut à la réformation des décisions entreprises pour violation de la loi et pour erreur manifeste d’appréciation des faits.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur … et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Monsieur ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur … lors de son audition en date du 26 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient de prime abord de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ. - En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place. Il suit du constat qui précède que, dans la région du Kosovo, le demandeur n’a, à l’heure actuelle, pas de raisons de craindre une persécution de la part des autorités serbes.

Il convient d’ajouter que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence et qu’une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, il ne saurait en être autrement qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p.113, nos. 73-s).

En ce qui concerne la situation des membres des minorités au Kosovo, notamment de celle des « bochniaques », il est vrai que leur situation générale est difficile et ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des traitements discriminatoires.

Il y a lieu d’ajouter dans ce contexte, qu’une situation de conflit interne violent ou généralisé ne peut, à elle seule, justifier la reconnaissance de la qualité de réfugié, étant donné que la crainte de persécution, outre de devoir toujours être fondée sur l’un des motifs de l’article 1er A de la Convention de Genève, doit avoir un caractère personnalisé.

Or, en l’espèce les craintes exprimées par le demandeur en raison de la prétendue hostilité des Albanais et des Serbes à son égard en raison de sa prétendue appartenance à la minorité « bochniaque » et de la situation générale tendue dans sa région d’origine, s’analysent, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

En effet, le demandeur fait essentiellement état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre, à savoir des représailles ou mauvais traitements de la part de membres de la population albanaise et serbe, mais il ne démontre point que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo, aucun fait concret et circonstancié de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités actuellement en place n’ayant été allégué ni, a fortiori établi en cause. Cette conclusion n’est pas énervée par le fait que le demandeur aurait reçu des gifles à l’âge de dix-

sept ans, lors d’un contrôle d’identité, étant donné qu’abstraction faite de ce que ce fait remonte à l’année 1995, il n’est pas d’une gravité suffisante pour établir une persécution vécue justifiant la reconnaissance du statut de réfugié.

A cela s’ajoute que les craintes de persécution invoquées en l’espèce se cristallisent essentiellement autour de la situation au Kosovo, et que le demandeur reste en défaut d’établir qu’il ne peut trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de son pays d’origine, notamment au Monténégro, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité sans restriction territoriale. - Ceci étant, il convient d’ajouter relativement au motif fondé sur l’insoumission de Monsieur …, particulièrement dans l’optique d’une possibilité de fuite interne, qui implique l’obligation pour le demandeur de se replacer sous l'autorité des organes fédéraux yougoslaves, que l’insoumission n’est pas en elle-même un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait à elle seule fonder dans le chef de Monsieur … une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine pour un des motifs prévus par la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que la condamnation que Monsieur … risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Concernant ce dernier point, il convient encore d'ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard d’insoumis, Monsieur … n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la République fédérale yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 9 janvier 2002, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13569
Date de la décision : 09/01/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-01-09;13569 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award