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09/01/2002 | LUXEMBOURG | N°13551

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 janvier 2002, 13551


Tribunal administratif N° 13551 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 juin 2001 Audience publique du 9 janvier 2002

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Recours formé par Mme …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13551 du rôle, déposée le 8 juin 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Véronique ACHENNE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom

de Mme …, née le … à Vlore (Albanie), de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à...

Tribunal administratif N° 13551 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 juin 2001 Audience publique du 9 janvier 2002

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Recours formé par Mme …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13551 du rôle, déposée le 8 juin 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Véronique ACHENNE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mme …, née le … à Vlore (Albanie), de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 1er décembre 2000, notifiée le 6 février 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision prise par ledit ministre en date du 11 mai 2001 déclarant tardif le recours gracieux de la demanderesse daté du 16 mars 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 septembre 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Véronique ACHENNE, assistée de Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 19 avril 1999, Mme … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Mme … fut entendue en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, ainsi que sur son identité.Elle fut entendue le 24 mars 2000 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 1er décembre 2000, notifiée à Mme … le 6 février 2001, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit:

« Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté l’Albanie le 17 avril 1999. Vous êtes arrivée au Luxembourg le 19 avril 1999 vers 8.30 heures.

Vous exposez que votre père aurait été policier sous le régime d’Enver HOXHA. Il aurait dû quitter l’Albanie en 1996 en raison des problèmes qu’il aurait eus.

Vous expliquez avoir eu des problèmes à cause de la fonction qu’exerçait votre père à l’époque.

Des bandes armées seraient venues chez vous à plusieurs reprises et vous auraient menacée de kidnapper votre enfant. Vous indiquez avoir reçu des menaces de la part de criminels profitant du fait que vous auriez été seule.

Force est cependant de constater que la situation s’est stabilisée en Albanie au courant de l’année 1999.

Les problèmes que vous invoquez sont plutôt liés à des actes de criminalité de droit commun et ne sauraient être considérés comme persécutions justifiant l’octroi du statut de réfugié.

En outre, la police albanaise s’efforce actuellement avec succès de combattre la criminalité qui avait étranglé le pays depuis les émeutes de l’année 1997.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre datée au 16 mars 2001, réceptionnée au ministère de la Justice le 19 mars 2001, Mme … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision du 1er décembre 2000.

Le ministre de la Justice répondit par lettre du 11 mai 2001 que ledit recours gracieux serait irrecevable au motif que le délai d’action d’un mois n’aurait pas été respecté.

Par requête déposée le 8 juin 2001, Mme … a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre de la Justice des 1er décembre 2000 et 11 mai 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises. Il s’ensuit que le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit par la demanderesse.

Le délégué du gouvernement soulève en premier lieu l’irrecevabilité du recours ratione temporis, au motif que le recours gracieux aurait été introduit en dehors du délai d’un mois à partir de la notification de la décision ministérielle initiale de refus.

Lors de l’audience fixée pour les plaidoiries, la demanderesse a fait conclure au rejet de ce moyen d’irrecevabilité, au motif qu’aucun délai n’aurait commencé à courir faute d’une notification de la décision initiale à son mandataire, étant entendu que l’administration était informée du mandat qu’elle avait acordée à un avocat au moins depuis le 24 mars 2000.

En vertu de l’article 12 de la loi précitée du 3 avril 1996, le recours « doit être introduit dans le délai d’un mois à partir de la notification » de la décision.

Au voeu de l’alinéa 1er de l’article 10 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, toute personne qui est partie à une procédure administrative a le droit de se faire assister soit par un avocat soit, dans des affaires techniques, par un conseil technique. Sauf si sa présence personnelle est requise, elle pourra se faire représenter sous les mêmes distinctions.

L’alinéa second dudit article 10 ajoute une prescription supplémentaire en exigeant qu’en cas de désignation d’un mandataire, l’autorité administrative doit adresser ses communications à celui-ci. Quant à la décision finale, elle doit être adressée au mandataire désigné et à la partie elle-même.

L’inobservation de l’obligation de notifier la décision finale à la partie elle-même et à son mandataire a pour effet d’empêcher que le délai du recours contentieux ne commence à courir (cf. trib. adm. 20 mai 1999, Pas. adm. 2001, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 83 et autre référence y citée).

En l’espèce, il ressort des éléments du dossier et, plus particulièrement, du rapport dressé à l’occasion de l’audition de la demanderesse par un agent du ministère de la Justice le 24 mars 2000, qu’à cette occasion, elle était assistée de son actuel litismandataire. Il s’ensuit que le ministre de la Justice était nécessairement informé de la désignation d’un mandataire, ce dont il devait tenir compte dans ses communications dans le cadre du traitement de la demande d’asile de la demanderesse.

Or, comme il est également constant que la décision ministérielle du 1er décembre 2000 n’a pas été notifiée au mandataire désigné, aucun délai de recours n’a commencé à courir et ni le recours gracieux ni le recours contentieux n’ont été introduits tardivement. Le moyen d’irrecevabilité formulé par le délégué du gouvernement est partant à écarter et le recours sous analyse est recevable pour avoir été par ailleurs introduit dans les formes prévues par la loi.

Au fond, la demanderesse reproche en substance au ministre de la Justice d’avoir méconnu la réalité et la gravité des persécutions qu’elle aurait subies ou risquerait de subir en cas de retour dans son pays d’origine. Dans ce contexte, elle expose que son père aurait été officier de police pendant le « régime d’Enver Hoxha », qu’en 1996, il aurait quitté son pays pour aller en Russie « alors que tous ceux qui avaient soutenu le régime Hoxha ne trouvaient plus de travail et faisaient l’objet de représailles », que sa situation personnelle se serait dégradée suite à son divorce, étant donné qu’en tant que femme vivant seule elle aurait été une proie facile pour des bandes mafieuses qui auraient voulu la contraindre à se prostituer, notamment en la menaçant d’enlever et de « vendre » son fils de sept ans. Elle fait encore état de ce que la police albanaise serait « pour partie corrompue » et qu’elle n’aurait pas pu s’y plaindre et solliciter une protection efficace.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Mme … et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle de Mme …, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité de ses déclarations.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Mme … lors de son audition en date du 24 mars 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient de constater en premier lieu que les allégations de la demanderesse en rapport avec des prétendues agressions par des « bandes mafieuses », qui l’auraient menacée et qui auraient voulu la contraindre à se prostituer, concernent non pas l’expression d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, mais se rapportent à des actes de criminalité de droit commun, certes hautement répréhensibles, mais dont la demanderesse n’établit pas qu’ils aient été motivés par une des cinq raisons visées à l’article 1er de la Convention de Genève.

En outre, la demanderesse admet qu’elle n’a pas concrètement recherché une protection auprès de la police albanaise et les considérations qu’elle avance pour justifier son inaction se rapportent en substance à l’existence d’un climat d’insécurité sans qu’elle ait établi que les autorités de son pays d’origine refuseraient de la protéger effectivement pour une des raisons visées par la Convention de Genève, étant entendu que dans le cas d’une commission matérielle d’un « simple » acte criminel, une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève ne saurait être admise que dans l’hypothèse où les agressions commises seraient tolérées ou encouragées par les autorités chargées de la protection de la population pour un des motifs visés par ladite Convention.

Il suit de ce qui précède que la demanderesse n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 9 janvier 2002, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13551
Date de la décision : 09/01/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-01-09;13551 ?

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