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09/01/2002 | LUXEMBOURG | N°13546

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 janvier 2002, 13546


Tribunal administratif N° 13546 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 juin 2001 Audience publique du 9 janvier 2002

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Recours formé par Mme …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13546 du rôle, déposée le 7 juin 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Christiane HOFFMANN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom

de Mme …, née le … à Tucanje (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellem...

Tribunal administratif N° 13546 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 juin 2001 Audience publique du 9 janvier 2002

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Recours formé par Mme …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13546 du rôle, déposée le 7 juin 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Christiane HOFFMANN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mme …, née le … à Tucanje (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice prise en date du 11 décembre 2000, notifiée en date du 1er mars 2001, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ainsi que d’une décision confirmative prise sur recours gracieux par ledit ministre en date du 8 mai 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 septembre 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 28 septembre 2001 au nom de la demanderesse;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Christiane HOFFMANN, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 17 octobre 2000, Mme … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Mme … fut entendue en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Elle fut encore entendue le 7 novembre 2000 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 11 décembre 2000, notifiée le 1er mars 2001, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Vous indiquez comme raison d’avoir quitté votre pays les conséquences qu’aurait eu pour vous un événement ayant eu lieu il y a quelques années : votre oncle avait commis un attentat sur le radical Seselj et a été emprisonné par la suite. Les orthodoxes vous auraient alors lancé des remarques ayant trait à cet événement, et on vous aurait évitée à l’école.

Votre frère aurait été battu une fois ; on lui aurait aussi percé un pneu de son taxi fin 1999 et sa radio aurait été volée. Il aurait alors décidé de quitter le pays et vous aurait emmenée avec lui.

Vous déclarez que vous ne voulez plus rentrer chez vous. Vous affirmez avoir peur des orthodoxes du fait de l’attentat commis par votre oncle.

Il ressort de vos déclarations que vous n’avez jamais fait l’objet d’une quelconque persécution au sens de la Convention de Genève. Par conséquent les faits relatés - même à les supposer établis - ne sont pas de nature à vous faire courir des risques de persécution ou de craintes telles que la vie vous serait intolérable dans votre pays.

En ce qui concerne votre frère, il ne ressort pas de vos déclarations que les délits qui auraient été commis à son encontre auraient un arrière-fond politique. Il pourrait s’agir aussi bien de simples actes de criminalité générale.

Par conséquent vous n'alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 28 mars 2001, Mme … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 11 décembre 2000.

Par décision du 8 mai 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 7 juin 2001, Mme … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions précitées du ministre de la Justice des 11 décembre 2000 et 8 mai 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, la demanderesse expose qu’elle serait originaire du Monténégro et de confession musulmane, qu’elle craindrait de subir des persécutions en raison du fait que son oncle aurait « jeté une bombe sur le radical SESELJ », fait pour lequel il aurait été emprisonné et qu’en raison de cet attentat, l’ensemble de sa famille aurait subi ou risquerait de subir des mauvais traitements de la part des orthodoxes serbes. Dans ce contexte, elle relève qu’elle n’aurait plus pu sortir de sa maison et que son frère aurait même été « battu ». Sur ce, elle soutient que sa vie serait devenue insupportable dans son pays d’origine et elle sollicite la réformation des décisions ministérielles querellées pour violation de la loi ou erreur manifeste d’appréciation des faits.

Dans son mémoire en réplique, la demanderesse fait encore état de l’instabilité politique et de la mauvaise situation générale existant dans son pays d’origine, lesquelles rendraient tout retour impossible, d’autant plus qu’elle viendrait de donner naissance à un enfant. Concernant cet enfant, elle semble soutenir qu’en cas de retour forcé au Monténégro, les droits de l’enfant tels que garantis par la Convention relative aux droits de l’enfant signée à New York le 20 novembre 1989, seraient violés.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Mme … et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle de Mme …, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité de ses déclarations.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Mme … lors de son audition en date du 7 novembre 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens ou arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, en l’espèce, celui des orthodoxes serbes, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

Or, en l’espèce, force est de constater que la demanderesse fait uniquement état d’un sentiment général d’insécurité, mais non pas d’un quelconque fait personnel et concret ou d’une telle circonstance établissant un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que sa vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, respectivement que les nouvelles autorités qui sont au pouvoir en Yougoslavie ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de la Yougoslavie. C’est à bon droit que, dans ce contexte, le délégué du gouvernement soutient que le fait que suite à l’attentat perpétré par son oncle, la demanderesse n’ait plus osé sortir dans la rue, ne saurait justifier une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il convient encore de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance de la demanderesse et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ et de mettre en lumière, qu’il est indéniable que depuis le départ de la demanderesse, la situation politique en Yougoslavie s’est considérablement modifiée et qu’un processus de démocratisation est en cours et que la demanderesse n’a pas fait état d’une raison suffisante justifiant à l’heure actuelle qu’elle ne puisse pas utilement se réclamer de la protection des nouvelles autorités.

Par ailleurs, même s’il est vrai que si des proches parents sont persécutés pour une des raisons visées par la Convention de Genève, encore faut-il que des circonstances particulières soient établies desquelles il se dégage que le demandeur d’asile risque de subir le même sort.

Or, en l’espèce il n’est non seulement pas établi que l’oncle ou le frère de la demanderesse ont été persécutés, mais encore il ne se dégage pas des éléments de la cause que la demanderesse risque de subir un sort identique.

Finalement, le moyen tiré de la prétendue violation de la Convention relative aux droits de l’enfant prévoyant que l’enfant doit être protégé contre toute forme de discrimination ou de sanction motivée par la situation juridique, les activités, les opinions déclarées ou les convictions des parents est à rejeter, étant donné que même à supposer établie une violation d’une des dispositions de ladite Convention, ce fait ne saurait impliquer à lui seul la reconnaissance du statut de réfugié, ni dans le chef de l’enfant, ni dans celui de ses parents.

L’examen du statut de réfugié politique fait l’objet d’une appréciation au cas par cas et notamment à la lumière des normes juridiques existantes régissant les conditions d’octroi du droit d’asile, à savoir la Convention de Genève.

Il suit de ce qui précède que la demanderesse n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 9 janvier 2002, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13546
Date de la décision : 09/01/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-01-09;13546 ?

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