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09/01/2002 | LUXEMBOURG | N°13525

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 janvier 2002, 13525


Tribunal administratif N° 13525 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 juin 2001 Audience publique du 9 janvier 2002

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Recours formé par Monsieur et Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13525 et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 juin 2001 par Maître Albert RODESCH, avocat à la Cour, assisté de Maître Elisabeth MACHADO, avocat, tou

s les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le 1er décembr...

Tribunal administratif N° 13525 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 juin 2001 Audience publique du 9 janvier 2002

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Recours formé par Monsieur et Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13525 et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 juin 2001 par Maître Albert RODESCH, avocat à la Cour, assisté de Maître Elisabeth MACHADO, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le 1er décembre 1961 à Bijelo Polje (Monténégro/Yougoslavie), et de son épouse, Mme …, née le 7 janvier 1969 à Bijelo Polje, tous les deux de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-3488 Dudelange, Parc de l’Hôpital, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 16 janvier 2001, notifiée le 12 février 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 29 mars 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 septembre 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Pascale PETOUD, en remplacement de Maître Albert RODESCH, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 3 novembre 1998, M. … et son épouse, Mme …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs …, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

M. et Mme … furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent en outre entendus séparément en date du 13 octobre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 16 janvier 2001, notifiée le 12 février 2001, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté votre domicile le 30 octobre 1998 pour aller à Sarajevo et, de là, à Ljubljana. Vous avez trouvé un passeur qui vous a emmenés au Luxembourg via l’Italie et la France. Vous ne pouvez donner aucune précision quant au déroulement du voyage.

Monsieur, vous exposez que vous avez fait votre service militaire en Macédoine en 1980/1981. Par la suite, vous auriez été convoqué plusieurs fois à la réserve et vous vous y seriez régulièrement rendu. En 1993 cependant, vous auriez déserté pendant la réserve pour ne pas faire la guerre en Bosnie. Vous précisez que cette désertion ne vous a causé aucun problème avec la police militaire et que vous n’avez jamais été inquiété. Vous n’auriez plus reçu d’appel depuis cette date. Vous auriez néanmoins quitté votre pays parce que vous pensiez que la situation serait différente cette fois-ci et que vous seriez de nouveau appelé à la réserve pour faire la guerre. Vous craignez, de plus, que votre désertion de 1993 ne vous soit reprochée maintenant. Vous ne faites état d’aucun acte de persécution. Vous dites encore n’avoir été membre d’aucun parti politique. Vous dites avoir peur d’une guerre au Sandzak et que cette peur serait liée à votre religion musulmane.

Vous, Madame, vous confirmez les dires de votre mari.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

La seule crainte de peines du chef de désertion ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention.

Il est d’ailleurs à constater que le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un Président élu démocratiquement. Le nouveau gouvernement qui a été mis en place en novembre 2000 bénéficie du soutien international ce qui se traduit par l’adhésion de la Yougoslavie à l’ONU et à l’OSCE.

Je dois constater par conséquent que vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays, telle une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 14 mars 2001, les époux … introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 16 janvier 2001.

Par décision datée au 29 mars 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 5 juin 2001, les époux … ont fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre de la Justice des 16 janvier et 29 mars 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles déférées. Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, les demandeurs font exposer qu’ils seraient originaires de la ville de Bijelo Polje au Monténégro et de confession musulmane, que M. … aurait fait son service militaire en 1980/1981, qu’en 1993, lors de la guerre de Bosnie, il aurait été appelé à la réserve militaire et qu’il aurait déserté pour ne pas devoir participer à ladite guerre, que « craignant d’être à nouveau appelé à la réserve de l’armée fédérale yougoslave lors de la guerre du Kosovo », il aurait décidé de quitter son pays avec sa famille, que son refus de rejoindre les rangs de l’armée serait motivé par sa volonté de ne pas devoir se battre contre ses coreligionnaires au Kosovo. Sur ce, ils exposent qu’un retour dans leur pays d’origine exposerait M. … à des poursuites pour son insoumission et sa désertion et qu’il risquerait d’être condamné par un tribunal militaire à une lourde peine d’emprisonnement, cette condamnation risquant d’être d’autant plus lourde en raison de sa religion musulmane. Enfin, ils font ajouter qu’un emprisonnement de M. …, impliquerait que sa femme et ses enfants se retrouveraient seuls « face aux risques de persécution existant dans un environnement ethnique hostile ».

En substance, les demandeurs reprochent au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés en rapport avec les désertion et insoumission de M. …, leur religion musulmane, ainsi que la situation générale des musulmans au Monténégro, qui établiraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des époux … et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des époux ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux … lors de leurs auditions respectives en date du 13 octobre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, en ce qui concerne le principal motif que les demandeurs font valoir, à savoir celui fondé sur l’état d’insoumission de M. … et sa désertion en 1993, il convient de rappeler que l’insoumission ou la désertion ne sont pas, en elles mêmes, des motifs justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elles ne sauraient, à elles seules, fonder dans le chef des demandeurs, une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que M. … risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, M. … n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Concernant le second motif de persécution tiré de l’appartenance des demandeurs à la minorité musulmane et de la mauvaise situation générale au Monténégro, il convient de relever qu’il est vrai que la situation des membres de minorités en Yougoslavie, notamment celle des musulmans, est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions.

Or, en l’espèce, les craintes exprimées par les demandeurs constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’ils n’aient établi un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine, respectivement sont insuffisantes pour établir que les nouvelles autorités en Yougoslavie ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de la Yougoslavie ou tolèrent voire encouragent des agressions notamment à l’encontre des musulmans.

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 9 janvier 2002, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13525
Date de la décision : 09/01/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-01-09;13525 ?

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