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09/01/2002 | LUXEMBOURG | N°13521

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 janvier 2002, 13521


Tribunal administratif N° 13521 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er juin 2001 Audience publique du 9 janvier 2002

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Recours formé par M. …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13521 et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er juin 2001 par Maître Jean BRUCHER, avocat à la Cour, assisté de Maître Cédric PEDONI, avocat, tous les deux inscrits a

u tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Vrbica (Monténégro/Yougoslavi...

Tribunal administratif N° 13521 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er juin 2001 Audience publique du 9 janvier 2002

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Recours formé par M. …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13521 et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er juin 2001 par Maître Jean BRUCHER, avocat à la Cour, assisté de Maître Cédric PEDONI, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Vrbica (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 12 janvier 2001, notifiée le 21 février 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 26 avril 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 août 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Cédric PEDONI, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 1er décembre 1998, M. … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

M. … fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 14 octobre 1999, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 12 janvier 2001, notifiée le 21 février 2001, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations que vous êtes arrivé au Luxembourg le 1er décembre 1998 vers 7.00 heures.

Vous exposez avoir fait votre service militaire de juin 1998 jusqu’en août 1998. Vous auriez ensuite dû être envoyé au Kosovo. Vous auriez déserté lors d’une permission de sortie parce que vous n’avez pas voulu tuer des gens innocents.

Vous auriez peur d’être condamné à une peine d’emprisonnement. La police militaire serait venue vous chercher à deux reprises après votre désertion. Vous auriez déjà reçu une convocation pour vous présenter devant le tribunal militaire.

Vous déclarez ne pas avoir subi de persécutions personnelles, mais que les musulmans n’auraient pratiquement pas la possibilité de faire des études ou de trouver un emploi.

Force est cependant de constater que la crainte d’une condamnation pénale pour le fait de ne pas avoir accompli ses obligations militaires n’est pas suffisante pour établir une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

De même l’insoumission ne constitue pas, à elle seule, un motif valable pour obtenir le statut de réfugié.

En outre, il ressort de vos déclarations que vous avez un sentiment général d’insécurité en raison de votre religion musulmane. Vous déclarez cependant que vous n’avez pas personnellement subi des persécutions. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par ailleurs, la situation générale dans le pays d’origine d’un demandeur d’asile ne saurait être suffisante pour justifier l’octroi du statut de réfugié.

En plus, le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 21 mars 2001, M. … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 12 janvier 2001.

Par décision du 26 avril 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 1er juin 2001, M. … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions précitées du ministre de la Justice des 12 janvier et 26 avril 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Le demandeur soulève en premier lieu un moyen d’annulation tiré de ce que la décision confirmative du ministre de la Justice prise le 26 avril 2001 ne serait pas suffisamment motivée en fait et en droit, au motif qu’elle « ne prend nullement position quant aux différents moyens développés dans le recours gracieux du 21 mars 2001 ».

Ledit moyen d’annulation est cependant à écarter, étant donné que, même en admettant que le reproche soit justifié, le défaut d’indication des motifs ne constitue pas une cause d’annulation de la décision ministérielle prise à la suite du recours gracieux, pareille omission d’indiquer les motifs dans le corps même de la décision que l’autorité administrative a prise entraînant uniquement que les délais impartis pour l’introduction des recours ne commencent pas à courir. - Ceci étant, il convient d’ajouter que le demandeur est resté en défaut d’apporter des motifs ou moyens nouveaux dans son recours gracieux, étant donné que les renseignements transmis au ministre de la Justice par la prédite lettre ne constituent que de simples précisions dans le contexte des motifs de persécutions initialement invoqués par lui, à savoir pour l’essentiel des informations relativement à l’évolution de la situation générale dans son pays d’origine, de sorte que c’est à bon droit que ledit ministre a pu se référer, dans sa décision confirmative, à la motivation - exhaustive en fait et en droit - contenue dans la décision initiale du 12 janvier 2001.

En second lieu, le demandeur reproche au ministre de la Justice de méconnaître la réalité et la gravité des persécutions qu’il risquerait de subir en cas de retour dans son pays d’origine en raison de sa désertion de l’armée serbe et de la situation générale instable qui y règne. Il expose avoir effectué son service militaire au sein de l’armée fédérale yougoslave et qu’il aurait déserté pour ne pas devoir participer à une guerre dirigée contre « ses coreligionnaires ainsi que la population civile ». Il expose encore que malgré les récents changements politiques survenus en Yougoslavie, les tensions interethniques persisteraient, que la situation resterait critique et qu’un nouveau conflit ne serait pas à exclure.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle de M. …, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité de ses déclarations.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par M. … lors de son audition en date du 14 octobre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le motif de persécution fondé sur sa désertion, il convient de rappeler que la désertion n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que M. … risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de sa désertion serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, M. … n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

En ce qui concerne les craintes du demandeur basées sur la situation générale instable, les conflits interethniques et les risques qu’une nouvelle guerre éclate en Yougoslavie, elles s’analysent, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné qu’il ne ressort pas des éléments du dossier que M. …, considéré individuellement et concrètement, risque de subir des traitements discriminatoires pour un des motifs visés par la Convention de Genève.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 9 janvier 2002, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13521
Date de la décision : 09/01/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-01-09;13521 ?

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