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07/01/2002 | LUXEMBOURG | N°13564

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 janvier 2002, 13564


Tribunal administratif N° 13564 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 juin 2001 Audience publique du 7 janvier 2002

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Recours formé par Monsieur et Madame … et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13564 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 juin 2001 par Maître Pol URBANY, avocat à la Cour, assisté de Maître Frank WIES,

avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur … …,...

Tribunal administratif N° 13564 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 juin 2001 Audience publique du 7 janvier 2002

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Recours formé par Monsieur et Madame … et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13564 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 juin 2001 par Maître Pol URBANY, avocat à la Cour, assisté de Maître Frank WIES, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur … …, né le 21 août 1971 à Potok / Prijepolje (Serbie), et de son épouse, Madame … …, née le 8 février 1970 à Dobrinje (Serbie), agissant pour eux-mêmes, ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs…, … et …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 1er septembre 2000, notifiée le 7 novembre 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ;

Vu le jugement du tribunal administratif du 14 mai 2001 relevant les demandeurs de la forclusion à introduire un recours contentieux contre la décision ministérielle prévisée du 1er septembre 2000 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 septembre 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Marc WALCH, en remplacement de Maître Pol URBANY, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 décembre 2001.

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En date du 30 décembre 1998, les époux … et …, agissant pour eux-mêmes, ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et …, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux …-… furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Les époux …-… furent entendus en outre séparément en date du 2 août 1999 sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 1er septembre 2000, notifiée le 7 novembre 2000, le ministre de la Justice informa les époux …-… de ce que leur demande avait été refusée aux motifs que la crainte de Monsieur … d’encourir une condamnation pénale pour le fait de ne pas avoir accompli ses obligations militaires ne serait pas suffisante pour établir une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève et que par ailleurs le conflit armé au Kosovo serait terminé depuis mai 1999 avec le retrait des troupes fédérales yougoslaves, de sorte que la crainte d’y être envoyé pour tuer des innocents ne serait plus justifiée à l’heure actuelle.

Par jugement datant du 14 mai 2001, le tribunal administratif a reçu en la forme la requête en relevé de forclusion introduite en date du 22 décembre 2000 pour compte des époux …-… et l’a déclarée justifiée tout en autorisant les consorts …-… à introduire un recours contentieux contre la décision ministérielle du 1er septembre 2000 par laquelle leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique a été déclarée non fondée dans le délai d’un mois à partir du prononcé dudit jugement.

Par requête déposée en date du 13 juin 2001, les consorts …-… ont alors fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation de la décision ministérielle prévisée du 1er septembre 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle entreprise.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, les demandeurs font exposer qu’ils sont de confession musulmane et originaires de la ville de Potok, située dans la région du Sandjak à la frontière entre la Serbie et le Monténégro, que Monsieur … aurait accompli son service militaire dans l’armée yougoslave en 1991 et que, en décembre 1998, il aurait reçu à deux reprises une convocation pour faire la réserve militaire, mais qu’il aurait refusé de donner suite à ces convocations et se serait enfui de son pays ensemble avec sa famille. Ils font valoir plus particulièrement que Monsieur … aurait refusé de participer au conflit militaire au Kosovo, étant donné que celui-ci aurait été dépourvu de tout sens et qu’il y aurait été obligé de brandir son arme contre des personnes appartenant à la même communauté religieuse que lui-même. Ils soutiennent que dans ces circonstances l’acte d’insoumission de Monsieur … tomberait sous les prévisions de la Convention de Genève, étant donné qu’il serait manifeste qu’il devrait, en cas de retour dans son pays, purger une peine de prison du fait d’avoir déserté pour des raisons politiques voire religieuses l’armée yougoslave. Les demandeurs font valoir en outre qu’ils risqueraient d’être sujet à des persécutions sérieuses en cas de retour dans leur pays d’origine en raison de leur appartenance à la minorité ethnique des « Bochniaques », lesquels seraient sujets à de nombreuses discriminations au sein de leur pays par les autorités serbes et monténégrines qui feraient régner un régime de ségrégation à leur encontre.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des époux …-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux …-… lors de leurs auditions respectives en date du 2 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le premier motif fondé sur l’état d’insoumission de Monsieur …, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs, une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A. 2, de la Convention de Genève. Le tribunal constate que la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que la paix s’est établie dans la région originaire des demandeurs, de sorte qu’il n’est pas établit qu’actuellement Monsieur … risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables. Il convient par ailleurs de relever que Monsieur … n’établit pas à suffisance de droit qu’une condamnation serait encore susceptible d’être prononcée à son encontre de ce chef, ceci en vue de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par le Parlement yougoslave au mois de février 2001 et entrée en vigueur au mois de mars 2001, en vertu de laquelle les personnes ayant commis, jusqu’au 7 octobre 2000, le délit d’éloignement arbitraire et de désertion des unités de l’armée yougoslave sont amnistiées.

Concernant la situation générale des Musulmans appartenant à la minorité des Bochniaques, il y a lieu de constater que s’il est vrai que leur situation générale peut être difficile et qu’ils sont en partie particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des traitements discriminatoires.

En l’espèce, les craintes afférentes de persécutions exprimées par les demandeurs s’analysent en substance en un sentiment général de peur et les demandeurs restent par ailleurs en défaut de démontrer que les autorités administratives ou judiciaires chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre public en place dans leur pays d’origine encourageraient d’éventuelles exactions ou ne soient pas capables de leur assurer un niveau de protection suffisant.

Il ressort de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, et lu à l’audience publique du 7 janvier 2002 par le premier juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13564
Date de la décision : 07/01/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-01-07;13564 ?

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