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02/01/2002 | LUXEMBOURG | N°13465

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 janvier 2002, 13465


Tribunal administratif N° 13465 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 mai 2001 Audience publique du 2 janvier 2002

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Recours formé par la société à responsabilité limitée … et Monsieur … contre une décision implicite du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13465 et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 mai 2001 par Maître Eyal GRUMBERG, avocat à la Cour, inscrit au ta

bleau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée …, établie et a...

Tribunal administratif N° 13465 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 mai 2001 Audience publique du 2 janvier 2002

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Recours formé par la société à responsabilité limitée … et Monsieur … contre une décision implicite du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13465 et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 mai 2001 par Maître Eyal GRUMBERG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée …, établie et ayant son siège social à L-…, et Monsieur …, de nationalité chinoise, cuisinier spécialisé, déclarant demeurer à « … à Guang Dong », tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation d’une décision implicite de refus du ministre du Travail et de l’Emploi, résultant du silence gardé pendant plus de trois mois suite à l’introduction en date du 24 janvier 2001 d’une demande en obtention d’un permis de travail en faveur de Monsieur …;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 septembre 2001;

Vu les pièces versées en cause;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Eyal GRUMBERG et Madame le délégué du gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries respectives.

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Après l’introduction en date du 24 octobre 2000 d’une déclaration de vacance d’un poste « de cuisinier spécialisé dans les plats asiatiques », la société à responsabilité limitée … introduisit le 24 janvier 2001 auprès de l’administration de l’Emploi, ci-après dénommée « l’ADEM », une déclaration d'engagement tenant lieu d'une demande en obtention d’un permis de travail, pour solliciter un permis de travail en faveur de Monsieur … en vue de son embauche pour occuper le susdit poste de travail.

Le 21 mai 2001, en l’absence d’une réponse de la part du ministre compétent, la société … et M. … ont déposé une requête au greffe du tribunal administratif tendant à l’annulation sinon à la réformation de la décision implicite de refus du ministre par le fait de son silence de plus de trois mois suite à leur demande du 24 janvier 2001.

Encore que les demandeurs entendent exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre la décision critiquée, l’existence d’une telle possibilité rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Aucune disposition légale ne conférant compétence à la juridiction administrative pour statuer comme juge du fond en la matière, le tribunal est incompétent pour connaître de la demande en réformation de la décision critiquée.

Le recours en annulation, recours de droit commun, est recevable pour avoir été introduit suivant les formes et délai prévus par la loi.

A l'appui de leur recours, les demandeurs soutiennent que le refus ministériel ne serait pas légalement fondé, au motif que la société … aurait procédé selon les règles légales en déclarant la vacance de poste, qu’elle n’aurait pas procédé à un recrutement à l’étranger non autorisé et que le silence de l’ADEM, c’est-à-dire le fait qu’aucun demandeur d’emploi n’ait été assigné suite à la déclaration de poste vacant, démontrerait à lui seul qu’il n’existerait pas de demandeur d’emploi disponible sur place ou dans l’Espace Economique Européen pour occuper ledit poste.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours. Il expose que la décision ministérielle serait légalement justifiée par le fait qu’en l’absence d’une autorisation de séjour accordée à M. …, son recrutement constituerait un recrutement à l’étranger qui aurait obligé l’employeur de solliciter préalablement une autorisation de le recruter, telle que prévue par l’article 16 de la loi modifiée du 21 février 1976 concernant l'organisation et le fonctionnement de l'administration de l'Emploi et portant création d'une commission nationale de l'emploi et que les demandeurs auraient omis de ce faire.

Sans préjudice des dispositions relatives aux ressortissants des pays membres de l’Union Européenne et des Etats membres de l’Espace Economique Européen, l’article 16 de la loi précitée du 21 février 1976 dispose que le recrutement de travailleurs à l'étranger est de la compétence exclusive de l'ADEM, sauf l'exception où un ou plusieurs employeurs, sur demande préalable, ont été autorisés par cette administration à procéder eux-mêmes à un tel recrutement « pour compléter et renforcer les moyens d'action de l'administration, notamment lorsque le déficit prononcé de main-d'oeuvre se déclare » ( doc. parl. n° 1682, commentaire des articles ad. art. 16).

Il se dégage de cette disposition que c’est à bon droit que le délégué du gouvernement fait état de ce qu’un employeur ayant l'intention d'engager un travailleur non ressortissant d'un pays de l'Union Européenne, ou d'un pays faisant partie de l'Espace Economique Européen, doit solliciter en premier lieu auprès de l'ADEM l'autorisation de recruter un travailleur à l'étranger et qu’en l’espèce, M. … étant un ressortissant de la République populaire de Chine, la société … ne saurait procéder à son recrutement sans avoir obtenu l’accord préalable de l’ADEM.

Il est vrai encore qu’un travailleur n'ayant pas d'autorisation de séjour valable au Grand-Duché de Luxembourg est à considérer comme ayant été recruté à l'étranger (cf. Cour adm. 7 novembre 2000, Andrade Teixeira, n° 11962C du rôle, Pas. adm. 2001, V° Travail, n° 36 et autres références y citées).

Ceci étant, force est cependant de constater que, sur questions afférentes du tribunal, le mandataire des demandeurs a déclaré lors des plaidoiries, que Monsieur … n’a pas commencé à travailler auprès de la société …, qu’il demeure toujours en Chine et que les démarches entreprises au Luxembourg tendent à obtenir toutes les autorisations requises en vue de son recrutement.

Lesdites informations sont à considérer comme étant constantes, étant donné qu’elles n’ont pas été contestées par le délégué du gouvernement et que l’administration n’a produit ni de dossier administratif ni une quelconque pièce les mettant en doute.

Or, dans ces circonstances, le tribunal ne saurait retenir que le refus ministériel implicite d’émettre un permis de travail soit justifié sur base du fait que l’employeur n’a pas préalablement sollicité l’autorisation de recruter M. …. En effet, étant donné que la personne que l’employeur envisage de recruter se trouve toujours à l’étranger et n’a pas encore commencé à travailler, la demande en obtention d’un permis de travail doit être considérée comme impliquant nécessairement une demande en autorisation d’un recrutement à l’étranger au sens de l’article 16 de la loi précitée du 21 février 1976. Admettre le contraire serait inciter l’administration à s’adonner à une pratique empreinte d’un formalisme vétilleux et, partant, excessif.

Cette conclusion n’est pas ébranlée par le fait qu’il y ait eu un contact entre la société … et M. …, pareil contact ne pouvant être assimilé à un recrutement prohibé, d’autant plus que l’ADEM a omis d’assigner un quelconque demandeur d’emploi disponible, et ceci malgré maintes interventions téléphoniques, alléguées et non contredites, par le mandataire de la société ….

Il suit des considérations qui précèdent que le seul motif de refus dont l’administration a fait état à travers le mémoire en réponse du délégué du gouvernement n’est pas justifié et que la décision implicite de refus n’est pas légalement motivée. Le recours est partant fondé et la décision critiquée encourt l’annulation.

Enfin, les demandeurs ont encore formulé une demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un import de 75.000.- francs.

Il convient de relever que c’est à tort que cette demande est formulée sur base de l’article 240 du nouveau Code de procédure civile, alors que la faculté pour le tribunal administratif d’allouer une indemnité de procédure trouve son fondement dans l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Ceci dit, ladite demande n’est pas moins fondée dans son principe.

En effet, eu égard à la solution du litige et de l’attitude de l’administration qui a conduit au litige - en obligeant notamment les demandeurs à introduire un recours contentieux ne serait-ce que pour connaître le ou les motifs à la base du refus implicite de l’autorité compétente, lequel motif s’étant en outre révélé illégal -, il serait inéquitable de laisser à la charge des demandeurs l’ensemble des sommes exposées par eux et non comprises dans les dépens.

Quant au montant à allouer, le tribunal ne peut prendre en considération que les honoraires d’avocat pour évaluer l’indemnité à allouer, étant donné que les demandeurs n’ont ni allégué ni prouvé avoir eu à supporter d’autres frais que des honoraires d’avocat. Le fait que les honoraires n’ont pas été documentés par des pièces justificatives n’est pas de nature à porter à conséquence eu égard au caractère confidentiel qui leur est attaché.

Compte tenu du degré de difficulté que l’affaire comporte et des soins qu’elle exige, l’indemnité est à évaluer au montant de 25.000.- francs.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit justifié ;

partant annule la décision implicite de refus du ministre du Travail et de l’Emploi suite à l’introduction en date du 24 janvier 2001 d’une demande en obtention d’un permis de travail en faveur de Monsieur … ;

renvoie l’affaire au ministre du Travail et de l’Emploi pour prosécution ;

condamne l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg à payer aux demandeurs une indemnité de procédure de 25.000.- francs ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 2 janvier 2002, par le premier juge délégué à cette fin, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 4


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13465
Date de la décision : 02/01/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-01-02;13465 ?

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