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27/12/2001 | LUXEMBOURG | N°13452

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 décembre 2001, 13452


Tribunal administratif N° 13452 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 mai 2001 Audience publique du 27 décembre 2001

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Recours formé par M. … RASTODER, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13452 et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 mai 2001 par Maître Laurent METZLER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxemb

ourg, au nom de M. … RASTODER, né le … à Podgorica (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave,...

Tribunal administratif N° 13452 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 mai 2001 Audience publique du 27 décembre 2001

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Recours formé par M. … RASTODER, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13452 et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 mai 2001 par Maître Laurent METZLER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. … RASTODER, né le … à Podgorica (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-

…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 18 avril 2001 par laquelle ledit ministre a confirmé, suite à un recours gracieux du demandeur, une décision initiale prise par lui le 9 février 2001, notifiée le 7 mars 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 août 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Laurent METZLER, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries respectives.

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Le 9 octobre 1998, M. … RASTODER introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 M. RASTODER fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Les 9 novembre 1998 et 15 octobre 1999, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 9 février 2001, notifiée le 7 mars 2001, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté le Monténégro pour rejoindre l’Albanie. Vous êtes allé à Shkoder où vous avez pris le train pour Vlora. Le lendemain vous avez traversé la Mer Adriatique en bateau et vous dites avoir accosté près de Lecce en Italie. Un passeur vous a ensuite conduit dans sa voiture au Luxembourg où vous êtes arrivé le soir du 8 octobre 1998.

Vous avez déposé une demande en obtention du statut de réfugié le lendemain de votre arrivée.

Vous exposez que vous avez été convoqué pour la réserve au mois d’août 1998. Vous ne vous êtes pas présenté parce que vous ne souhaitiez pas faire la guerre. Vous affirmez que vous ne vouliez tuer personne et que vous aviez peur d’être tué. Maintenant vous craignez qu’en retournant au pays, vous alliez être condamné pour insoumission.

Vous prétendez par ailleurs que quand vous avez fait votre service militaire, vous auriez été battu par d’autres soldats, ceci en raison du fait que vous êtes de confession musulmane. Vous dites qu’il n’y a pas de place pour les musulmans dans votre pays, pays dans lequel vous affirmez qu’il n’y a pas de démocratie et dans lequel on ne se sent pas libre.

Il résulte également de vos déclarations que vous êtes membre du parti LDK, mais vous ne faites pas état de problèmes que vous auriez eus en raison de cette adhésion au parti.

D’abord je vous signale que l’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève. De même la crainte d’une sanction pénale pour insoumission ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la prédite Convention.

Concernant la situation particulière des ressortissants de confession musulmane dans votre pays, je souligne que la reconnaissance du statut de réfugié politique n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile, qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Or, il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécuté dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., § 2 de la Convention de Genève.

Je souligne également qu’en octobre 2000 le régime politique a changé en République Fédérale de Yougoslavie par la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement et qu’un nouveau gouvernement a été mis en place sans la participation des partisans de 2 l’ancien régime. La République Fédérale de Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par sa réadmission à l’ONU et l ‘OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 27 mars 2001, M. RASTODER introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 9 février 2001.

Par décision du 18 avril 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 17 mai 2001, M. RASTODER a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du ministre de la Justice du 18 avril 2001, confirmative de la décision de refus initiale du 9 février 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée. Le recours en réformation, formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.- Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Au fond, le demandeur reproche en substance au ministre de la Justice d’avoir méconnu la réalité et la gravité des persécutions qu’il risquerait de subir en cas de retour dans son pays d’origine, en raison de son insoumission, de sa religion musulmane et de son appartenance au parti politique « LDK ». Concernant son état d’insoumission, il expose avoir été convoqué pour la réserve militaire en août 1998, qu’il aurait refusé d’y donner une suite pour ne pas devoir participer à une guerre « en laquelle il ne croyait pas » et de peur d’être tué ou de devoir tuer, qu’il risquerait d’être condamné sévèrement comme insoumis et de subir des représailles et des discriminations et que la loi d’amnistie votée en Yougoslavie ne serait pas de nature à le garantir contre tout risque de condamnation. Concernant son risque de persécution en raison de sa religion, il expose que dans le passé, il aurait fait l’objet d’agressions en raison de sa confession musulmane.

3 Le demandeur ajoute encore qu’il réside au Luxembourg depuis 1998, qu’il serait parfaitement intégré dans la société luxembourgeoise et qu’il aurait « bénéficié de contrats de travail à durée déterminée ».

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de M. RASTODER et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de M. RASTODER.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par M. RASTODER lors de ses auditions en date des 9 novembre 1998 et 15 octobre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le motif de persécution fondé sur l’état d’insoumission du demandeur, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que M.

RASTODER risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance 4 ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, M.

RASTODER n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Cette conclusion ne saurait en l’état actuel du dossier être énervée par les considérations avancées par le demandeur tenant au fait que la loi d’amnistie ne serait pas systématiquement appliquée, étant donné qu’au delà des termes mêmes de la loi d’amnistie ainsi que des infractions qui en font l’objet, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés a au contraire exprimé l’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’auraient pas pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13853C du rôle).

Ensuite, concernant les craintes de persécutions en raison de son adhésion au parti politique « LDK », il échet de relever que s’il est vrai que des activités dans un parti d’opposition peuvent justifier des craintes de persécution, tel n’est pas le cas en l’espèce, étant donné qu’il y a lieu de constater que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution vécue ou d’une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, en raison de sa prétendue appartenance politique.

La même conclusion s’impose au sujet de la crainte de persécution exprimée par le demandeur en raison de sa confession musulmane, étant donné que cette crainte constitue en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’il n’ait établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine. Cette conclusion n’est pas ébranlée par le fait - à le supposer établi - que lors de l’accomplissement de son service miliaire en 1994/1995, il aurait été agressé par d’autres soldats en raison de sa religion, étant donné qu’abstraction faite de ce que ce fait est antérieur de quelques trois années au départ du demandeur, il n’est pas d’une gravité suffisante pour établir une persécution vécue justifiant la reconnaissance du statut de réfugié.

Enfin, l’argumentation du demandeur basée sur la durée de son séjour au Luxembourg et sa volonté voire son degré d’intégration au Luxembourg, est à écarter pour manquer de pertinence dans le cadre de l’examen de sa demande d’asile.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

5 Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

déclare le recours en annulation irrecevable;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 27 décembre 2001, par le vice-président, en présence de Mme Wiltzius, greffier de la Cour administrative, greffier assumé.

s. Wiltzius s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13452
Date de la décision : 27/12/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-12-27;13452 ?

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