La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/12/2001 | LUXEMBOURG | N°13423

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 décembre 2001, 13423


Tribunal administratif N° 13423 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 mai 2001 Audience publique du 27 décembre 2001

===============================

Recours formé par Mme … KUC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

---------------------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13423 et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 mai 2001 par Maître Jean BRUCHER, avocat à la Cour, assisté de Maître Cédric PEDONI, avocat, tous les deux inscri

ts au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mme … KUC, née le … à Rozaje (Monténégro/Y...

Tribunal administratif N° 13423 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 mai 2001 Audience publique du 27 décembre 2001

===============================

Recours formé par Mme … KUC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

---------------------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13423 et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 mai 2001 par Maître Jean BRUCHER, avocat à la Cour, assisté de Maître Cédric PEDONI, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mme … KUC, née le … à Rozaje (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 10 janvier 2001, notifiée le 15 février 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 3 avril 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 août 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Cédric PEDONI, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries respectives.

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------

---

En date du 7 juin 1999, Mme … KUC introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 Mme KUC fut entendue en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Elle fut encore entendue le 9 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 10 janvier 2001, notifiée le 15 février 2001, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté votre pays en date du 8 mai 1999. Un passeur vous a conduite au Luxembourg en passant par la Bosnie, la Croatie, la Slovénie et l'Italie. Vous ne pouvez pas donner d'autres indications en ce qui concerne le trajet. Vous êtes arrivée le 7 juin 1999 et votre demande du statut de réfugié date du même jour.

Vous exposez que vous auriez quitté votre pays en raison de la guerre. Vous admettez ne pas être membre d'un parti politique et ne pas avoir été personnellement persécutée. Vous dites ne pas savoir où aller, qu'il y a la crise et que vous n'auriez rien à manger.

Force est de constater que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d'asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Vous insistez uniquement sur la situation générale dans votre pays d'origine. Or, un sentiment général d'insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève. Vous restez par ailleurs en défaut d'exposer le moindre élément de persécution en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social.

Il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d'octobre 2000 avec la venue au pouvoir d'un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l'ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l'ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n'alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 15 mars 2001, Mme KUC introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 10 janvier 2001.

2 Par décision du 3 avril 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 8 mai 2001, Mme KUC a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions précitées du ministre de la Justice des 10 janvier et 3 avril 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

La demanderesse soulève en premier lieu un moyen d’annulation tiré de ce que la décision confirmative du ministre de la Justice prise le 3 avril 2001 ne serait pas suffisamment motivée en fait et en droit, au motif qu’elle « ne prend nullement position quant aux différents moyens développés dans le recours gracieux du 15 mars 2001 ».

Ledit moyen d’annulation est cependant à écarter, étant donné que, même en admettant que ledit reproche soit justifié, le défaut d’indication des motifs ne constitue pas une cause d’annulation de la décision ministérielle prise à la suite du recours gracieux, pareille omission d’indiquer les motifs dans le corps même de la décision que l’autorité administrative a prise entraînant uniquement que les délais impartis pour l’introduction des recours ne commencent pas à courir. - Ceci étant, il convient d’ajouter que la demanderesse est restée en défaut d’apporter des motifs ou moyens nouveaux dans son recours gracieux, étant donné que les renseignements transmis au ministre de la Justice par la prédite lettre ne constituent que des informations relativement à l’évolution de la situation générale dans le pays d’origine, c’est-à-

dire de simples précisions dans le contexte des motifs de persécutions initialement invoqués par elle et c’est partant à bon droit que ledit ministre a pu se référer, dans sa décision confirmative, à la motivation - exhaustive en fait et en droit - contenue dans la décision initiale du 10 janvier 2001.

En second lieu, la demanderesse reproche au ministre de la Justice de méconnaître la réalité et la gravité des persécutions qu’elle risquerait de subir en cas de retour dans son pays d’origine en raison « de sa religion [musulmane], de son refus de répondre aux convocations de l’armée serbe (sic), ainsi que du climat général d’insécurité » régnant dans son pays d’origine.

Elle fait encore état de ce que sa situation familiale aurait changé et qu’« il serait injuste de la séparer de son mari ».

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Mme KUC et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social 3 ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle de Mme KUC, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité de ses déclarations.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Mme KUC lors de son audition en date du 9 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens ou arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En ce qui concerne la situation des membres de minorités en Yougoslavie, notamment celle des musulmans, il est vrai que leur situation générale est difficile et ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur 4 des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions.

Or, en l’espèce, la demanderesse fait uniquement état d’un sentiment général d’insécurité et de problèmes économiques, mais non pas d’un quelconque fait personnel et concret ou d’une telle circonstance établissant un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait que sa vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, respectivement que les nouvelles autorités qui sont au pouvoir en Yougoslavie ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de la Yougoslavie ou tolèrent voire encouragent des agressions notamment à l’encontre des musulmans. - Dans ce contexte, il convient de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance de la demanderesse et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ et de mettre en lumière, qu’il est indéniable que depuis le départ de la demanderesse, la situation politique en Yougoslavie s’est considérablement modifiée et qu’un processus de démocratisation est en cours et que la demanderesse n’a pas fait état d’une raison suffisante justifiant à l’heure actuelle qu’elle ne puisse pas utilement se réclamer de la protection des nouvelles autorités.

Il convient d’ajouter, suite à la précision apportée - sur question afférente du tribunal -

par le mandataire de la demanderesse lors des plaidoiries, qu’il n’y a pas lieu d’examiner un risque de persécution en raison d’un prétendu état d’insoumission de la demanderesse, la mention afférente constituant une erreur matérielle qui s’est glissée dans la requête introductive d’instance.

Enfin, l’argumentation de la demanderesse basée sur sa situation familiale et, plus particulièrement, son récent mariage, est à écarter pour manquer de pertinence dans le cadre de l’examen de sa demande d’asile.

Il suit de ce qui précède que la demanderesse n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

5 M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 27 décembre 2001, par le vice-président, en présence de Mme Wiltzius, greffier de la Cour administrative, greffier assumé.

s. Wiltzius s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13423
Date de la décision : 27/12/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-12-27;13423 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award