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20/12/2001 | LUXEMBOURG | N°13486

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 décembre 2001, 13486


Tribunal administratif N° 13486 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 mai 2001 Audience publique du 20 décembre 2001

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Recours formé par Monsieur … RASTODER, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13486 et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 mai 2001 par Maître Valérie DUPONG, avocat à la Cour, assistée de Maître Eri

c MULLER, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mons...

Tribunal administratif N° 13486 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 mai 2001 Audience publique du 20 décembre 2001

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Recours formé par Monsieur … RASTODER, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13486 et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 mai 2001 par Maître Valérie DUPONG, avocat à la Cour, assistée de Maître Eric MULLER, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … RASTODER, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 11 décembre 2000, notifiée le 21 mars 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 26 avril 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 août 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé au nom du demandeur au greffe du tribunal administratif le 27 septembre 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Sarah TURK, en remplacement de Maître Valérie DUPONG, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries respectives.

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Le 7 juillet 1999, Monsieur … RASTODER introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-

ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur RASTODER fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu en date du 8 juillet 1999 sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 11 décembre 2000, notifiée le 21 mars 2001, le ministre de la Justice informa le demandeur de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté votre pays en date du 25 mai 1999 pour vous rendre en Bosnie. Des passeurs vous ont conduit au Luxembourg où vous êtes arrivé en date du 6 juillet 1999 sans que vous ne puissiez donner d’indications en ce qui concerne le trajet. Votre demande en obtention du statut de réfugié date du lendemain de votre arrivée.

Vous exposez que vos parents auraient refusé en votre absence un appel pour faire le service militaire. Vous n’auriez pas voulu participer au conflit du Kosovo. Vous pensez être traduit devant le tribunal militaire pour votre insoumission. Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique et ne pas avoir été personnellement persécuté.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

L’insoumission n’est pas suffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution. De même, la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la prédite Convention. Enfin, il n’est pas établi que l’appartenance à l’armée imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser.

Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

2 Par lettre du 18 avril 2001, Monsieur RASTODER introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 11 décembre 2000.

Par décision du 26 avril 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 25 mai 2001, Monsieur RASTODER a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions précitées du ministre de la Justice des 11 décembre 2000 et 18 avril 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire du Monténégro et de confession musulmane, que sa situation spécifique serait telle qu’il serait particulièrement exposé à des persécutions, au motif qu’il aurait fui son pays pour ne pas devoir aller à la réserve de peur d’aller se battre au Kosovo, de sorte qu’il risquerait actuellement d’être condamné comme insoumis à une lourde peine de prison. Le demandeur fait encore ajouter que la loi d’amnistie en vigueur en Yougoslavie ne serait pas appliquée, ce qui serait d’ailleurs prouvé par le fait qu’il aurait reçu une convocation par le Tribunal de Bérane pour une audience fixée au 25 avril 2001, soit une date postérieure à l’entrée en vigueur de la loi d’amnisitie.

En droit, le demandeur conclut à la réformation d’une décision ministérielle pour erreur d’appréciation des faits.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur RASTODER et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique 3 a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm.

1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Monsieur RASTODER.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur RASTODER lors de son audition en date du 8 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le seul motif fondé sur l’état d’insoumission de Monsieur RASTODER, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur RASTODER risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur RASTODER n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie adoptée au mois de mars 2001 par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Cette conclusion ne saurait en l’état actuel du dossier être énervée par les pièces produites par le demandeur, à savoir un article de presse documentant une prétendue arrestation d’un sous-officier déserteur ainsi que la convocation pour le service militaire pour le 20 février 2001, alors que les documents produits ne sauraient en tout état de cause être retenus comme étant suffisant pour illustrer une défaillance généralisée au 4 niveau de l’application de la loi d’amnistie, hypothèse qui est au demeurant démentie par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés qui a, au contraire, exprimé l’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et qui n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’aurait pas pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13853C du rôle).

Concernant plus particulièrement la convocation pour le service militaire pour le 20 février 2001, il échet de constater que cette convocation a été envoyée à une époque à laquelle la guerre avait pris fin dans le pays d’origine du demandeur. Pour le surplus, la convocation pour le débat judiciaire émise par le Tribunal de Bérane visant l’article 143 point 2 du Code Pénal du Monténégro ne démontre pas une non-application systématique de loi d’amnistie, alors qu’elle ne renseigne ni sur les faits à la base de la prévention mise à charge du demandeur, ni sur la nature de l’infraction libellée à son encontre. Finalement, cette convocation pour un débat judiciaire ne démontre pas in fine que le demandeur a été respectivement sera condamné du chef des faits d’insoumission allégués, d’autant plus qu’aucune autre pièce ne renseigne sur les suites et aboutissements réservés à cette procédure.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président, Mme Lamesch, juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 20 décembre 2001, par le président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Ravarani 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13486
Date de la décision : 20/12/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-12-20;13486 ?

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