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20/12/2001 | LUXEMBOURG | N°13360

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 décembre 2001, 13360


Tribunal administratif N° 13360 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 avril 2001 Audience publique du 20 décembre 2001

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Recours formé par Monsieur … RAGIPOVIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13360 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 avril 2001 par Maître Pol URBANY, avocat à la Cour, assisté de Maître Frank WIES, avocat, tous le

s deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur … RAGIPOVIC, né le … ...

Tribunal administratif N° 13360 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 avril 2001 Audience publique du 20 décembre 2001

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Recours formé par Monsieur … RAGIPOVIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13360 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 avril 2001 par Maître Pol URBANY, avocat à la Cour, assisté de Maître Frank WIES, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur … RAGIPOVIC, né le … à Tutin (Serbie/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 21 février 2001, notifiée le 28 mars 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 août 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Jean-Luc SCHAUS, en remplacement de Maître Pol URBANY, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 28 décembre 2000, Monsieur … RAGIPOVIC introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur RAGIPOVIC fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

1 Il fut en outre entendu en date du 10 janvier 2001 sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 21 février 2001, notifiée le 28 mars 2001, le ministre de la Justice l’informa de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit:

« Vous exposez que vous avez fait votre service militaire en 1979/1980 en Bosnie et que vous avez été appelé plusieurs fois à la réserve. Vous y êtes allé chaque fois. En 1986, vous avez dû rendre votre uniforme militaire, ce qui signifiait que vos temps de réserve étaient terminés. Vous auriez cependant encore été appelé quand la guerre de Croatie a débuté en 1991, mais vous ne vous y seriez pas rendu. En 1993, vous auriez été rappelé à nouveau pour la guerre de Bosnie et, cette fois encore, vous vous seriez caché pour ne pas vous y rendre. Actuellement, vous craignez des sanctions pour insoumission.

Vous dites encore que vous auriez tout perdu dans votre pays, et ceci, d’une part, parce que vous auriez été licencié de votre travail en 1996 et, d’autre part, parce que le jugement prononçant votre divorce a attribué la maison commune à votre épouse.

Vous dites encore n’être membre d’aucun parti politique.

En ce qui concerne les persécutions que vous auriez subies, vous faites surtout état de provocations de la part de vos voisins, mais d’aucun acte de persécution caractérisé.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

La crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève. De même l’insoumission ne constitue pas, à elle seule, un motif valable pour obtenir le statut de réfugié. Par ailleurs, au vu des accords de Dayton, votre crainte de peines n’est plus justifiée.

Il est d’ailleurs à constater que le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un Président élu démocratiquement. Le nouveau gouvernement qui a été mis en place en novembre 2000 bénéficie du soutien international ce qui se traduit par l’adhésion de la Yougoslavie à l’ONU et à l’OSCE.

Enfin, les autres faits invoqués (divorce, provocations) ne constituent pas des persécutions au sens de la Convention de Genève.

Eu égard à ces circonstances, je dois constater que vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, c’est-à-dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

2 Votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par requête déposée en date du 30 avril 2001, Monsieur RAGIPOVIC a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 21 février 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle entreprise.

Le recours en réformation est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose être de religion musulmane et être originaire de la ville de Tutin en Serbie, située dans la région du Sandzak, près de la frontière entre la Serbie et le Monténégro, qu’au cours des années 1991 et 1993, il aurait été appelé afin de rejoindre la réserve de l’armée fédérale yougoslave pour participer aux conflits ayant eu lieu respectivement en Croatie et en Bosnie, mais qu’il aurait refusé de donner suite à ces appels de mobilisation, en ce qu’il n’aurait pas voulu « brandir son arme contre des personnes appartenant à la même communauté religieuse que lui » et qu’il aurait peur d’être condamné de ce chef à une peine de prison.

En substance, le demandeur reproche au ministre de la Justice d’avoir méconnu sa situation spécifique qui serait telle qu’en raison des faits ci-avant exposés, en cas de retour dans son pays d’origine, il serait exposé à un risque de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur RAGIPOVIC et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant 3 compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Monsieur RAGIPOVIC.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur RAGIPOVIC lors de son audition en date du 10 janvier 2001, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le seul motif de persécution dont le demandeur fait état dans son recours contentieux, à savoir son insoumission et son refus de participer aux guerres ayant eu lieu respectivement en Croatie et en Bosnie, il convient de rappeler que l’insoumission ou la désertion ne sont pas, en elles-mêmes, des motifs justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elles ne sauraient, à elles seules, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur RAGIPOVIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables ou que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur RAGIPOVIC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, 4 le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 20 décembre 2001, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13360
Date de la décision : 20/12/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-12-20;13360 ?

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