Tribunal administratif N° 13264 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 avril 2001 Audience publique du 20 décembre 2001
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Recours formé par Monsieur … KRASNIQI contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13264 et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 avril 2001 par Maître Jacques WOLTER, avocat à la Cour, assisté de Maître Barbara ROUSSEAU, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … KRASNIQI, né le … à Decane (Kosovo/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 15 février 2001, notifiée le 13 mars 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 juillet 2001 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Barbara ROUSSEAU, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries respectives.
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En date du 24 juillet 1998, Monsieur … KRASNIQI introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
1 Il fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Il fut ensuite entendu le 2 décembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.
Par décision du 15 février 2001, notifiée le 13 mars 2001, le ministre de la Justice l’informa de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit:
« Vous exposez que vous n’avez pas fait votre service militaire, bien que vous avez reçu deux appels, l’un en 1997 et l’autre en mars 1998. Vous expliquez que vous auriez été arrêté par la police le 24 janvier 1998 pour trafic d’armes et mis en détention préventive.
Vous auriez subi de nombreux interrogatoires à l’occasion desquels vous auriez été gravement maltraité. Le Comité International de la Croix Rouge serait intervenu pour obtenir votre hospitalisation pendant cette période. Vous auriez été relâché le 4 mars 1998, après avoir soudoyé le juge d’instruction. Vous dites être membre du parti LDK depuis 1998. Vous prétendez être recherché par les Serbes qui vous considèrent comme un terroriste. Vous auriez peur d’une organisation appelée « La Main Noire » qui regrouperait des Albanais collaborant avec les Serbes.
Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.
Bien que mesurant à leur juste valeur les ennuis que vous avez eus avec la police et la justice de votre pays, je dois constater que la crainte d’une condamnation pénale pour détention et trafic d’armes ne saurait fonder une crainte de persécution au sens de la Convention.
Pour le surplus, l’armée fédérale yougoslave et les forces de police dépendant des autorités serbes, à l’origine des répressions et des exactions commises au Kosovo, ont quitté ce territoire. Actuellement, une force internationale, sous l’égide des Nations Unies, s’est installée dans la région pour assurer la coexistence pacifique des différentes communautés ethniques.
Enfin, les Serbes du Kosovo ne sauraient être considérés comme des agents de persécution au sens de la Convention de Genève.
Je dois donc constater que vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er, A,2 de la Convention de Genève et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays, telle une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social.
Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure 2 relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».
Par requête déposée en date du 13 avril 2001, Monsieur KRASNIQI a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 15 février 2001.
Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle entreprise.
Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
Au fond, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire du Kosovo, de confession musulmane, qu’il aurait quitté sa région natale pour échapper à des persécutions dirigées à son encontre par la police serbe du fait de son appartenance au parti politique LDK, en ce qu’il serait notamment accusé de détenir des armes et d’en fournir au prédit parti politique, sans qu’il ait pu se réclamer utilement de la protection des autorités actuellement investies du pouvoir au Kosovo, au motif que les autorités internationales actuellement en place dans cette région seraient dans l’incapacité d’y assurer la coexistence pacifique entre les différentes communautés ethniques. Il ajoute que les « Serbes » n’hésiteraient pas à « punir sévèrement » les collaborateurs du prédit parti politique LDK, en vue de freiner le développement de ce parti.
Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié politique n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).
Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Monsieur KRASNIQI.
3 En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur KRASNIQI lors de son audition en date du 2 décembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
En effet, il convient de prime abord de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité de la décision querellée à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ. - En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place. Il suit du constat qui précède que, dans la région du Kosovo, le demandeur n’a, à l’heure actuelle, pas de raison de craindre une persécution de la part des autorités serbes.
Cette conclusion ne saurait être énervée par les allégations du demandeur par lesquelles il soutient que des agents de la police serbe seraient toujours présents sur le territoire du Kosovo, étant donné que ce fait n’est établi ni par les affirmations du demandeur ni par les pièces versées ne cause.
Au-delà du constat fait ci-avant par lequel il a été retenu que les autorités serbes ne sauraient constituer un agent de persécution, à l’heure actuelle, au Kosovo, force est encore de relever que le simple fait de détenir ou de trafiquer de manière illégale des armes ou d’être le complice d’une personne détenant ou trafiquant illégalement des armes, constitue une infraction de droit commun, de sorte que la crainte du demandeur d’être poursuivi pour avoir été le complice d’une personne ayant acheté et transporté des armes ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, ainsi que le prévoit le prédit article 1er, paragraphe 2 de la section A de la Convention de Genève. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces versées par le demandeur parmi lesquelles figure notamment une ordonnance d’un juge d’instruction par laquelle une détention préventive d’une durée de 30 jours a été ordonnée à son encontre dans le cadre de poursuites du chef d’une acquisition et d’un transport illégaux d’armes et de munitions, un arrêté de détention préventive et une décision portant sur la détention préventive de Monsieur KRASNIQI, que lesdits actes aient été accomplis dans le cadre de poursuites judiciaires fondées sur une des raisons visées par la Convention de Genève.
Il suit des considérations qui précèdent que le ministre a fait une saine appréciation des faits en retenant que le demandeur n’a pas fait valoir de raisons personnelles de nature à justifier, dans son chef, une crainte d’être persécuté pour une des raisons énoncées dans la disposition précitée de la Convention de Genève.
4 Le recours en réformation est partant à écarter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;
reçoit le recours en réformation en la forme;
au fond, le déclare non justifié et en déboute;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 20 décembre 2001, par le vice-président, en présence de M.
Legille, greffier.
Legille Schockweiler 5