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20/12/2001 | LUXEMBOURG | N°13261

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 décembre 2001, 13261


Tribunal administratif N° 13261 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 avril 2001 Audience publique du 20 décembre 2001

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Recours formé par Monsieur … SKRIJELJ contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13261 du rôle, déposée le 12 avril 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Aline ROSENBAUM, avocat à la Cour, assistée de Maître Daniel NOEL, avocat,

tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SKRIJELJ...

Tribunal administratif N° 13261 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 avril 2001 Audience publique du 20 décembre 2001

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Recours formé par Monsieur … SKRIJELJ contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13261 du rôle, déposée le 12 avril 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Aline ROSENBAUM, avocat à la Cour, assistée de Maître Daniel NOEL, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SKRIJELJ, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 8 décembre 2000, notifiée le 8 février 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 12 mars 2001 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 juillet 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Alexandra LUX, en remplacement de Maître Aline ROSENBAUM, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries respectives.

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Le 21 juillet 1999, Monsieur … SKRIJELJ introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-

ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur SKRIJELJ fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu en date des 27 juillet et 1er octobre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 8 décembre 2000, notifiée en date du 8 février 2001, le ministre de la Justice informa Monsieur SKRIJELJ de ce que sa demande avait été rejetée.

Ladite décision est motivée comme suit :

« Vous exposez que vous auriez passé l’examen médical en vue du service militaire, mais que vous n’auriez pas reçu de convocation écrite. La police militaire serait venue pour vous enrôler, mais vous vous seriez caché. Vous précisez que s’il n’y avait pas eu de guerre, vous auriez fait le service. Vous dites risquer d’être condamné à une peine d’emprisonnement pour votre insoumission. Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique et ne pas avoir été personnellement persécuté.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

L’insoumission n’est pas suffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution. De même, la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la prédite Convention. Enfin, il n’est pas établi que l’appartenance à l’armée imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser.

Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par courrier de son mandataire du 8 mars 2001, Monsieur SKRIJELJ forma un recours gracieux contre la décision ministérielle précitée du 8 décembre 2000.

2 Par décision du 12 mars 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision antérieure du 8 décembre 2000.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 12 avril 2001, Monsieur SKRIJELJ a fait introduire un recours contentieux tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation des décisions précitées du ministre de la Justice des 8 décembre 2000 et 12 mars 2001.

Encore qu’un demandeur entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation, l’existence d’une telle possibilité rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision. L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours en annulation est partant irrecevable.

Le demandeur estime que la décision ministérielle précitée du 12 mars 2001 violerait l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, l’article 12 de la loi précitée du 3 avril 1996 ainsi que l’article 2. A 1 de la Convention de Genève, en ce qu’elle ne contiendrait pas l’indication des motifs se trouvant à sa base et qu’elle serait de ce fait insuffisamment motivée, d’autant plus que « la simple déclaration de ralliement à une décision prise ne [suffirait] pas à elle seule pour satisfaire l’obligation de motivation ».

S’il est vrai que le délégué du gouvernement interprète ce moyen d’annulation de manière erronée, en ce qu’il estime, à tort, que le demandeur solliciterait l’annulation de la décision confirmative du ministre de la Justice du 12 mars 2001 en ce qu’elle ne serait pas motivée dans la mesure où un avis de la commission consultative en matière de demandeurs d’asile auquel le ministre se serait rallié, n’aurait pas été annexé à ladite décision, il n’en reste pas moins que le reproche du demandeur n’est pas fondé, étant donné qu’il se dégage des décisions ministérielles des 8 décembre 2000 et 12 mars 2001, que le ministre a indiqué de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait, sur lesquels il s’est basé pour justifier ses décisions de refus, motifs qui ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance du demandeur. - Cette conclusion n’est pas ébranlée par le fait que la décision ministérielle confirmative du 12 mars 2001 ne contient pas de motivation propre, étant donné qu’en l’absence d’éléments nouveaux, le ministre a pu, à bon droit, se borner à renvoyer à la décision initiale, les décisions critiquées ayant ainsi vocation à constituer un tout indissociable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire du Monténégro et qu’il ferait partie de la minorité « bochniaque », que sa situation spécifique serait telle qu’il serait particulièrement exposé à des persécutions en raison de son insoumission, au motif que la police militaire serait venue à son domicile pour l’emmener à l’armée fédérale yougoslave en vue de l’accomplissement de son service militaire et qu’à cette occasion, il se serait caché afin d’échapper au service militaire pour des raisons de conscience, étant donné qu’il n’aurait pas pu « adhérer à une telle 3 guerre ». Il soutient dans ce contexte que son insoumission serait partant justifiée par des raisons politiques qu’il n’aurait pu exprimer que par son refus de rejoindre les rangs de l’armée. Actuellement, il aurait peur de rentrer dans son pays d’origine, alors qu’il risquerait d’y être condamné comme insoumis à une peine arbitraire. Il soutient par ailleurs qu’il n’aurait aucune garantie à ce que le procès auquel il serait soumis dans son pays d’origine, à savoir, au Monténégro, respecterait l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 et que ce fait, ensemble avec le fait que son pays d’origine violerait des droits inscrits dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, et notamment sa liberté de pensée, de conscience et de religion, constitueraient des persécutions au sens de la Convention de Genève justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef.

En droit, le demandeur conclut à la réformation des décisions ministérielles pour erreur manifeste d’appréciation des faits.

En substance, il reproche au ministre de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés en rapport avec son insoumission, ainsi qu’avec la violation par son pays d’origine de dispositions contenues dans la Convention européenne des droits de l’homme ainsi que dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui établiraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur SKRIJELJ et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm.

1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Monsieur SKRIJELJ.

4 En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur SKRIJELJ lors de ses auditions respectives en date des 27 juillet et 1er octobre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le motif fondé sur l’état d’insoumission de Monsieur SKRIJELJ, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur SKRIJELJ risque de devoir participer à l’heure actuelle à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur SKRIJELJ n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

En ce qui concerne le moyen tiré de prétendues violations par le pays d’origine de Monsieur SKRIJELJ non seulement de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme mais également de la Déclaration universelle des droits de l’homme -

d’ailleurs sans qu’il n’ait indiqué avec précision la ou les dispositions de ladite déclaration qui seraient violées en l’espèce par son pays d’origine -, il échet de constater que le simple fait par l’Etat d’origine du demandeur d’asile de violer une disposition contenue dans l’un de ces deux instruments juridiques internationaux ne justifie pas, à lui seul, la reconnaissance du statut de réfugié politique dans le chef de Monsieur SKRIJELJ, en l’absence d’éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des traitements discriminatoires en raison des prétendues violations des prédits instruments juridiques internationaux.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier 5 la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 20 décembre 2001 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13261
Date de la décision : 20/12/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-12-20;13261 ?

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