Tribunal administratif N° 13112 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 mars 2001 Audience publique du 20 décembre 2001
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Recours formé par Monsieur … ZORIN contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique
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JUGEMENT
Vu la requête, inscrite sous le numéro 13112 du rôle, déposée au greffe du tribunal administratif le 22 mars 2001 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … ZORIN, né le … à Leningrad (Russie), de nationalité russe, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 1er décembre 2000, notifiée le 19 janvier 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 21 février 2001;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 juin 2001;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Louis TINTI, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries respectives.
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En date du 3 novembre 1999, Monsieur … ZORIN, accompagné de son épouse, de deux enfants mineurs ainsi que de sa belle-mère, introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Monsieur ZORIN fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
1 Il fut en outre entendu en dates des 25 janvier et 12 octobre 2000 sur les motifs à la base de sa demande d’asile.
Par décision du 1er décembre 2000, notifiée le 19 janvier 2001, le ministre de la Justice l’informa de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision, adressée tant à Monsieur ZORIN qu’à son épouse, est motivée comme suit: « Vous, Monsieur, vous déclarez d’emblée que vous êtes de citoyenneté russe et de nationalité juive. Vous affirmez qu’en raison de cette nationalité juive, vous auriez été exposé dès votre enfance à des humiliations et des mauvais traitements. Cet état des choses n’a pas changé alors que vous fréquentiez le lycée, ni plus tard lors de votre service militaire.
Vous exposez également qu’en tant que juif vous avez rencontré beaucoup d’obstacles lors de vos démarches auprès des autorités communales de Saint-Petersbourg pour obtenir des terrains que vous pouviez exploiter et louer. Vous êtes actuellement propriétaire à 40% d’une société dénommée « Gogoshar » qui exploite un magasin d’alimentation à Saint-
Petersbourg. Vous dites que vous remplissiez les fonctions principales dans le magasin, à savoir l’approvisionnement en marchandises ainsi que les travaux liés au fonctionnement du magasin. Vous étiez assisté dans votre travail par un directeur, propriétaire de 25% des actions de la société et d’une comptable, propriétaire de 15% des actions. Votre épouse détient de son côté 15% du capital, mais elle n’avait aucune fonction au sein de la société.
Il résulte également de vos déclarations qu’aussi bien votre épouse que votre belle-
mère recevaient des menaces à votre sujet soit dans la rue, soit par téléphone. L’incident, qui vous a finalement convaincu de quitter le territoire de la Russie, est survenu le 6 octobre 1999 dans votre magasin. Ce jour-là, dans la soirée, alors que vous vous trouviez seul dans l’entrepôt du magasin, vous avez été agressé par des inconnus dont vous êtes persuadé qu’il s’agissait de gens du mouvement ultra nationaliste RNE, qui serait étroitement lié à des structures mafieuses. Vous dites que vous avez perdu connaissance et qu’en revenant à vous, votre épouse, qui était venue vous rejoindre dans le magasin comme convenu, était étendue à vos côtés, également sans connaissance. Ses vêtements étaient déchirés. Le gardien de l’immeuble, alerté par vos cris, vous est venu en aide et a appelé la milice et l’ambulance. Le médecin venu sur place a constaté chez vous une contusion à la nuque et il a conclu à une éventuelle commotion cérébrale. Votre épouse a été amenée à l’hôpital sur ordre du médecin afin qu’une expertise médico-légale soit effectuée pour déterminer si elle avait été victime d’un viol. Vous avez porté plainte, vous constituant partie civile, mais l’instruction a été close parce que les coupables n’ont jamais pu être identifiés. (…) Questionné sur vos relations avec les autres actionnaires, Monsieur, vous exposez qu’un actionnaire s’est retiré de la société, ses 15% d’actions ayant été acquises par vous.
Vous concédez que vos relations avec cet actionnaire n’étaient pas des meilleures, mais vous êtes sûr que cet actionnaire était satisfait du prix obtenu pour ses actions. Vous exposez par ailleurs qu'il y avait un va-et-vient continuel de personnel dans le magasin, les employés ne restant guère plus longtemps que deux ou trois mois. Vous excluez cependant un acte de vengeance d’un ancien collaborateur, ceci parce que vous n’étiez pas responsable de l’embauchage du personnel. Celui-ci relève des compétences du directeur qui s’occupe par ailleurs des contrats de bail avec les locataires pour certaines parties de l’immeuble. De même excluez-vous la thèse du simple cambriolage qui aurait mal tourné, parlant d’une action bien préparée, exécutée selon un plan établi au préalable.
2 Vous déclarez par ailleurs que vous êtes actionnaire à 50% d’une autre société, dénommée « Grif » et qui est propriétaire d’un certain nombre de kiosques à Saint-
Petersbourg. Vous dites qu’entre vous et votre partenaire il y avait des fois des problèmes d’ordre bureaucratique, mais rien de plus.
Il résulte par ailleurs de vos déclarations (…) que vous n’êtes pas membre d’un parti politique et que vous n’avez pas d’opinions politiques. Vous ramenez tous vos problèmes à un dénominateur commun qui est celui de la nationalité juive (…). Vous avez peur qu’en retournant en Russie, la Mafia s’empare tôt ou tard de tous vos biens. Vous redoutez par ailleurs les actions du RNE dont le but serait de purifier la Russie des juifs et d’accéder au pouvoir. Dans ce contexte vous versez à votre dossier une photo de la porte d’entrée de votre appartement sur laquelle quelqu’un a dessiné l’étoile de David.
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile, qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Je me dois tout d’abord de souligner que je ne mets pas en doute la véracité de vos récits relatifs à l’incident du 6 octobre 1999 qui me paraissent prouvés à suffisance par les explications fournies, qui ne manquent d’ailleurs pas de cohérence, ainsi que par les documents et pièces versés à l’appui.
Il y a donc lieu d’analyser si cet incident rentre dans le champ d’application de la Convention de Genève ou si, au contraire, il relève de la catégorie des infractions de droit commun.
En l’espèce, vous faites (…) état d’une agression survenue dans le magasin que vous exploitez, Monsieur, à Saint-Petersbourg. (…) vous êtes persuadé que ces agressions sont l’œuvre de membres du mouvement ultra nationaliste, le RNE, et que la raison de ces agressions se trouve être la nationalité juive de vous, Monsieur. Sans avoir vu vos agresseurs, vous tirez cette conclusion du fait que vous aviez déjà reçu des menaces de ces gens dans le passé. Or, vous restez en défaut d’apporter le moindre élément de preuve sur l’identité des gens qui vous ont agressés. De même n’apportez-vous pas la preuve que la milice chargée de l’enquête n’aurait pas tout fait pour identifier vos agresseurs. Il ne résulte donc pas de votre dossier que les agressions du 6 octobre 1999 ont été faites pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève.
Vos craintes s’analysent donc finalement comme l’expression d’un sentiment général d’insécurité, face au mouvement ultra nationaliste RNE d’une part, et face à un groupement de personnes non identifiées d’autre part, et que vous qualifiez vous-même de mafieuses.
Cette conclusion ne se trouve pas ébranlée par vos récits vagues relatifs aux menaces qui auraient été proférées à votre égard dans la rue et par téléphone. Par ailleurs des groupements de personnes non identifiées ne sauraient être considérées comme agents de persécutions au sens de la Convention de Genève.
Par conséquent vous n’alléguez (…) aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de 3 persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.
[Votre] demande en obtention du statut de réfugié [est] dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».
Par lettre du 19 février 2001, Monsieur ZORIN introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 1er décembre 2000.
Par décision du 21 février 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.
Par requête déposée en date du 22 mars 2001, Monsieur ZORIN a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions précitées du ministre de la Justice des 1er décembre 2000 et 21 février 2001.
Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.
Le recours en réformation est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur expose être de nationalité russe, de religion juive et être originaire de la ville de Saint-Petersbourg qu’il aurait quittée en date du 27 octobre 1999 pour se rendre au Luxembourg où il serait arrivé le 1er novembre 1999, qu’il aurait fait l’objet d’actes de persécution de la part d’un groupe de la population russe, à savoir le « mouvement ultra nationaliste dit « Unité Nationale Russe », qu’il s’agirait en l’espèce d’un mouvement « profondément xénophobe, et plus spécialement antisémite », que ce mouvement aurait encore pour mission de « purifier » le peuple russe « en rendant la vie impossible à tous ceux qui ne sont pas de souche russe », en dirigeant plus particulièrement leurs actes de persécution à l’encontre de personnes ayant réussi dans le commerce, comme ce serait le cas en l’espèce, que même s’il n’était pas à exclure que ledit mouvement ultra nationaliste puisse avoir des relations avec certains groupes mafieux, il n’en resterait pas moins que les actes dont il aurait été victime ne pourraient pas être retenus comme constituant de simples actes de crime de droit commun, et que les membres de ce mouvement porteraient un uniforme de couleur noire et commettraient des infractions liées à l’origine ethnique sinon religieuse de ses victimes. Dans ce contexte, il précise au sujet de sa situation personnelle ainsi que de celle des autres membres de sa famille, que l’étoile de David aurait été apposée sur la porte d’entrée de leur logement, qu’il aurait fait l’objet de discriminations et humiliations en raison de sa religion juive et que des menaces auraient été émises à l’encontre de son épouse et de sa belle-mère, en raison de son appartenance à la religion juive. Ainsi, des gens porteurs d’uniformes auraient conseillé à son épouse de quitter le territoire russe.
4 Il souligne encore la précision et la cohérence des faits qu’il a soumis au ministère de la Justice dans le cadre de l’introduction de sa demande d’asile dont la gravité serait telle que la vie lui serait devenue impossible en Russie, d’autant plus que les autorités de son pays d’origine seraient dans l’impossibilité de lui procurer une protection appropriée.
En ce qui concerne plus précisément les actes de persécution dont le demandeur ainsi que d’autres membres de sa famille auraient fait l’objet dans leur pays d’origine, il échet de relever qu’il ressort non seulement de la requête introductive d’instance mais également des deux auditions du demandeur, qu’en sa qualité de commerçant dirigeant non seulement un grand magasin d’alimentation mais également des kiosques de vente de légumes, de fruits, d’alcool et de cigarettes, il aurait eu beaucoup de problèmes avec la mafia russe qui serait liée au prédit mouvement ultra nationaliste, qu’il aurait régulièrement reçu des menaces par téléphone et que de ce fait, il aurait régulièrement dû contrôler l’état de sa voiture avant de démarrer, pour vérifier si elle n’était pas piégée, qu’il aurait fait l’objet d’actes d’humiliation et de mauvais traitements à cause de sa nationalité juive depuis son enfance, non seulement pendant ses études au lycée mais également au cours de son service militaire, que depuis son mariage en 1995, son épouse et sa belle-mère auraient également reçu des menaces téléphoniques, qu’en juillet 1999, sa belle-mère aurait été agressée et frappée dans la rue par des inconnus en uniforme noire et qu’en date du 6 octobre 1999, il aurait fait l’objet d’une agression par des inconnus dans son magasin, inconnus qui, d’après lui, feraient partie du mouvement ultra nationaliste « Unité Nationale Russe », lié à des « structures mafieuses » et qu’à cette occasion, son épouse aurait également été agressée physiquement. Ce dernier événement l’aurait motivé pour quitter son pays d’origine, ensemble avec son épouse, ses deux enfants mineurs, dont le plus âgé aurait été conçu dans le cadre d’un premier mariage de son épouse ainsi que de sa belle-mère, d’autant plus que des menaces leur auraient été adressées et qui auraient été dirigées contre sa fille, menacée de subir les mêmes agressions que celles subies par son épouse.
Interrogé sur la question de savoir si l’agression subie dans son magasin ne pouvait pas être considérée comme un simple cambriolage qui aurait mal tourné, il soutient qu’au vu des agressions et menaces que sa famille et lui-même auraient reçues antérieurement à cet événement, ensemble avec les inscriptions apposées sur la porte de leur logement et les tracts déposés dans leur boîte à lettres, les événements du 6 octobre 1999 ne pourraient pas être considérés comme un simple cambriolage.
Le demandeur expose encore qu’à la suite des agressions physiques subies par son épouse, ils auraient déposé une plainte avec constitution de partie civile devant les autorités compétentes de leur pays d’origine et il estime que de ce fait, ils auraient « confié leur protection aux autorités policières et judiciaires du pays ».
En ce qui concerne la protection qui serait susceptible de leur être offerte par les autorités légales de leur pays d’origine, il fait état de ce qu’il y aurait « une absence de volonté manifeste de permettre au peuple juif d’être intégré à la communauté » et que les juifs n’auraient jamais été aimés, ni au temps « des communistes » ni à l’heure actuelle. Il fait en outre état de l’incapacité des autorités à protéger notamment les juifs résidant en Russie, alors qu’il y règnerait une grande criminalité que les autorités en place ne seraient pas en mesure de réprimer efficacement.
5 Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur ZORIN et que son recours laisserait d’être fondé.
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).
Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Monsieur ZORIN.
En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur ZORIN lors de ses auditions en date des 25 janvier et 12 octobre 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
Il se dégage des différentes déclarations crédibles et cohérentes faites par le demandeur que celui-ci souffre, d’une part, du climat d’insécurité général existant en Russie notamment du fait de l’existence dans ce pays d’importants réseaux mafieux et, d’autre part, d’humiliations, de menaces et d’agressions commises non seulement à son encontre mais également à l’encontre d’autres membres de sa famille par des personnes qu’il estime appartenir à un mouvement ultra nationaliste dit « Unité Nationale Russe » qui serait proche de la mafia russe et qu’il craint que le traitement qui lui serait réservé à l’avenir, ainsi que celui qui serait réservé aux autres membres de sa famille, en Russie, de la part d’un groupe de la population, leur rendrait la vie intolérable dans ce pays.
Force est cependant de constater qu’un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la 6 commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).
En l’espèce, le demandeur fait état de sa crainte de voir commettre des actes de violence et de persécution à son encontre ainsi qu’à l’encontre d’autres membres de sa famille, mais il ne démontre point que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place en Russie ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de ce pays. Il se dégage au contraire des déclarations mêmes du demandeur, que sa famille a pu déposer une plaine avec constitution de partie civile à la suite des agressions physiques commises à l’encontre de son épouse lors des événements du 6 octobre 1999. Par ailleurs, il n’a ni allégué ni, a fortiori, établi que les autorités officielles russes poursuivent une politique de discrimination des juifs ou qu’elles encouragent ou tolèrent des actions commises par certains groupes de la population à l’encontre des juifs. Ainsi, s’il est possible qu’au delà de la qualification de crime de droit commun des événements relatés par le demandeur, ceux-ci sont susceptibles de constituer des agissements politiques dirigés contre lui et sa famille, par un groupe déterminé de la population russe, dans le but de leur nuire en raison de leur appartenance à la religion juive, étant entendu que ces actes sont certainement condamnables, ils ne sont toutefois pas d’une nature ou d’une gravité telles que la vie du demandeur soit devenue insupportable dans son pays d’origine.
A cela s’ajoute que les craintes de persécutions invoquées en l’espèce se cristallisent essentiellement autour de la situation telle qu’elle existe à Saint-Petersbourg et que le demandeur reste en défaut d’établir qu’il ne peut trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de son pays d’origine, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité sans restriction territoriale.
Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;
reçoit le recours en la forme;
7 au fond, le déclare non justifié et en déboute;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 20 décembre 2001, par le vice-président, en présence de M.
Legille, greffier.
s. Legille s. Schockweiler 8