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19/12/2001 | LUXEMBOURG | N°13545

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 décembre 2001, 13545


Numéro 13545 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 juin 2001 Audience publique du 19 décembre 2001 Recours formé par les époux … et … MUJKIC-…, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13545 du rôle, déposée le 7 juin 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Christiane HOFFMANN, avocat à

la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … MUJKIC,...

Numéro 13545 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 juin 2001 Audience publique du 19 décembre 2001 Recours formé par les époux … et … MUJKIC-…, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13545 du rôle, déposée le 7 juin 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Christiane HOFFMANN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … MUJKIC, né le … à Foca (Bosnie), et de son épouse, Madame … …, née le … à Foca, tous les deux de nationalité bosniaque, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leur fille mineure …, née le … à Luxembourg, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 15 janvier 2001, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 10 mai 2001, les deux portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le courrier de Maître Christiane HOFFMANN du 5 juin 2001 informant le tribunal de ce que les époux MUJKIC-… bénéficient de l’assistance judiciaire;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 août 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Katia AÏDARA et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 décembre 2001.

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Le 18 juin 1999, Monsieur … MUJKIC et son épouse, Madame … …, préqualifiés, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leur fille mineure …, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, les époux MUJKIC-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Les époux MUJKIC-… furent entendus séparément en date du 16 novembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa les époux MUJKIC-…, par décision du 15 janvier 2001, notifiée en date du 23 février 2001, de ce que leur demande avait été rejetée au motif qu’ils n’allégueraient aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays d’origine, de sorte qu’une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait pas établie dans leur chef.

Le recours gracieux formé par les époux MUJKIC-… moyennant courrier de leur mandataire daté au 22 mars 2001 à l’encontre de la décision ministérielle précitée fut rencontré par une décision confirmative du 10 mai 2001.

A l’encontre de ces deux décisions ministérielles de rejet des 15 janvier et 10 mai 2001, les époux MUJKIC-… ont fait introduire un recours en réformation par requête déposée le 7 juin 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs, de nationalité bosniaque et de confession musulmane, exposent qu’ils auraient habité jusqu’en l’année 1997 en République serbe de Bosnie, que, suite au refus de Monsieur MUJKIC de donner suite aux convocationS au service militaire au sein de l’armée de cette République, ils auraient déménagé vers le Kosovo et que Monsieur MUJKIC aurait à nouveau refusé, sur base de raisons politiques et de conscience, d’accomplir le « service militaire au sein de l’UCK », de sorte qu’il risquerait d’être arrêté par la police en cas de retour au Kosovo et de faire l’objet d’une condamnation pénale pour son refus de participer à une guerre condamnée par la communauté internationale. Ils ajoutent que la situation demeurerait encore très instable au Kosovo malgré la présence d’une force armée internationale. Les demandeurs renvoient à l’article 2 de la Convention relative aux droits de l’enfant de New-York du 20 novembre 1989 qui interdirait toute forme de discrimination ou de sanction contre un enfant qui serait motivée par la situation juridique, les activités, les opinions ou les convictions de ses parents. Les demandeurs concluent que le ministre aurait partant basé les décisions entreprises sur un examen superficiel et insuffisant des faits sans prendre en considération les persécutions réelles qu’ils auraient établies, tout en ajoutant que la Convention de Genève n’exigerait nullement que la personne concernée ait fait l’objet d’actes de persécution, mais se confinerait à requérir une crainte légitime de persécution.

2 Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, v° Recours en réformation, n° 11, p. 407).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 5 avril 2001, n° 12801C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que Monsieur MUJKIC se prévaut non pas de son refus d’intégrer les rangs de l’armée yougoslave, mais de celui de faire partie de l’UCK laquelle ne constituait pas une armée étatique et qui a été dissoute suite à la fin du conflit armé au Kosovo.

Il s’ensuit que des conséquences éventuelles du fait du refus de Monsieur MUJKIC de faire part de l’UCK ne sauraient être considérées comme des craintes de persécution de la part des autorités publiques du Kosovo, mais plutôt de certains groupements au sein de la population albanaise du Kosovo.

Or, une persécution émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de la population ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève. La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être 3 admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée.

Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant 1998, p.

113, nos 73-s).

En l’espèce, les demandeurs allèguent un risque de faire l’objet d’actes de persécution, mais ne démontrent pas que les autorités en place au Kosovo seraient incapables ou refuseraient, pour l’un des motifs visés dans la Convention de Genève, de leur accorder une protection adéquate, étant remarqué que le renvoi vague à la situation générale instable au Kosovo ne saurait énerver la validité de l’appréciation ministérielle à cet égard.

Enfin, en ce qui concerne l’argumentation développée par les demandeurs quant à une éventuelle violation des droits dont bénéficieraient leurs enfants sur base de la Convention relative aux droits de l’enfant, force est de constater que même à supposer que le ministre de la Justice aurait violé l’une des dispositions de ladite Convention, cette situation ne serait pas de nature à accorder aux bénéficiaires desdits droits, le droit de se voir reconnaître le statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève qui fixe à elle seule les critères à prendre en considération afin de déterminer si une personne peut se voir reconnaître le statut de réfugié politique. L’argumentation développée par les demandeurs pourrait le cas échéant être analysée dans le cadre d’une demande tendant à voir autoriser leurs enfants mineurs à résider au Grand-Duché de Luxembourg, dont le tribunal n’est cependant pas saisi dans le cadre du présent litige (trib. adm. 9 mai 2001, n° 12588, non encore publié).

Il résulte des développements qui précèdent que les demandeurs restent en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre leur a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique et que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 19 décembre 2001 par:

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, 4 Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. SCHMIT s. LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13545
Date de la décision : 19/12/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-12-19;13545 ?

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