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19/12/2001 | LUXEMBOURG | N°13475

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 décembre 2001, 13475


Tribunal administratif N° 13475 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 mai 2001 Audience publique du 19 décembre 2001

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Recours formé par Monsieur … BEHRAMI, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13475 du rôle et déposée le 22 mai 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Roger NOTHAR, avocat à la Cour, assisté de Maître

Jean-Luc SCHAUS, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom...

Tribunal administratif N° 13475 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 mai 2001 Audience publique du 19 décembre 2001

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Recours formé par Monsieur … BEHRAMI, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13475 du rôle et déposée le 22 mai 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Roger NOTHAR, avocat à la Cour, assisté de Maître Jean-Luc SCHAUS, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … BEHRAMI, né le … à Mitrovica (Kosovo/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice prise en date du 20 février 2001, notifiée en date du 15 mars 2001, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ainsi que d’une décision confirmative prise sur recours gracieux par ledit ministre en date du 26 avril 2001 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 août 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Jean-Luc SCHAUS et Madame le délégué du gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries respectives.

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Le 12 octobre 1998, Monsieur … BEHRAMI introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-

ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité ainsi que sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu le 20 décembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur BEHRAMI par lettre du 20 février 2001, notifiée le 15 mars 2001, de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations qu’en date du 9 octobre 1998 vous avez quitté Mitrovica à bord d’une camionnette. Vous êtes arrivé au Luxembourg le matin du 12 octobre 1998. Vous ne pouvez donner aucun renseignement sur le chemin emprunté.

Vous avez déposé une demande en obtention du statut de réfugié le jour de votre arrivée.

Vous exposez que depuis octobre 1997 vous êtes membre de l’Union des Etudiants de Pristina dont le but est la libération des écoles afin de permettre aux étudiants albanais l’accès aux dites écoles. Au commencement de la guerre, le but de cette Union serait devenu la lutte pour la libération du Kosovo. Vous affirmez que vous avez été actif au sein de l’Union, ayant notamment participé aux manifestations qu’elle organisait. Vous dites qu’en raison desdites activités, la police du Ministère de l’Intérieur, le MUP, se serait présentée à votre domicile et comme vous n’étiez pas présent, votre père aurait été emmené au poste de police. Vous prétendez que vous avez alors décidé de quitter le pays, ayant peur d’être arrêté, ce qui serait d’ailleurs déjà arrivé à d’autres membres de l’Union.

Il résulte par ailleurs de vos déclarations que vous seriez membre du parti LDK et que vous auriez participé aux meetings organisés par la parti. Vous prétendez qu’à trois reprises la police se serait présentée à votre domicile en raison de cette adhésion.

Les trois fois vous n’étiez pas à la maison. Vous ne précisez pas si ces visites de la police ont eu des conséquences.

Vous déclarez également que, même si le conflit armé au Kosovo est terminé, il vous est impossible de retourner à Mitrovica. En effet, la ville serait divisée en deux et votre maison se trouvant dans la partie serbe de la ville, un retour serait trop dangereux.

Force est tout d’abord de constater qu’à la fin du conflit armé au Kosovo, les forces de police dépendant des autorités serbes, à l’origine des répressions et exactions commises au Kosovo, ont quitté le territoire. Une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée au Kosovo et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place. Ainsi des centaines de milliers de personnes qui avaient quitté le Kosovo ont réintégré leurs foyers après l’entrée des forces internationales sur le territoire. Par ailleurs, même s’il peut être à l’heure actuelle difficile pour un membre de la communauté albanaise du Kosovo habitant dans les quartiers occupés majoritairement par la population serbe de Mitrovica de s’y réinstaller, au vu des affrontements ethniques qui sont toujours d’actualité dans cette ville du Kosovo, vous n’apportez toutefois aucun élément permettant d’établir des raisons pour lesquelles vous ne seriez pas en mesure de vous installer, soit dans un autre quartier de Mitrovica, soit dans une autre partie du Kosovo et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne dans votre pays d’origine. En outre les Serbes du Kosovo ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

2 Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » Le recours gracieux introduit par le mandataire de Monsieur BEHRAMI en date du 9 avril 2001 à l’encontre de la décision ministérielle précitée fut rencontré par une décision confirmative du 26 avril 2001 .

Par requête déposée en date du 22 mai 2001, Monsieur BEHRAMI a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre de la Justice des 20 février et 26 avril 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur reproche au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur d’appréciation de sa situation de fait, étant donné que sa situation spécifique et subjective serait telle qu’elle laisserait supposer une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays d’origine.

Il fait exposer plus particulièrement qu’il serait originaire de la ville de Vinarc, située à cinq kilomètres du centre de la ville de Mitrovica au Kosovo et de confession musulmane, que son départ de son pays d’origine serait motivé par le fait qu’il se trouverait privé de la possibilité d’exercer une vie normale en raison de son appartenance à la communauté musulmane, qu’il aurait été membre de l’« Union des étudiants de Pristina », qui lutte pour l’indépendance du Kosovo, de même que du parti politique d’opposition « LDK », que finalement il risquerait en cas de retour dans son pays d’origine de subir des représailles en raison du fait qu’il se serait soustrait à son obligation militaire. Sur base des faits ainsi soumis, le demandeur estime devoir bénéficier de la protection prévue par la Convention de Genève. Finalement, le demandeur invoque la violation de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques au motif que ses droits civils et politiques ne seraient nullement sauvegardés ou protégés.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain 3 groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm.

1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Monsieur BEHRAMI.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur BEHRAMI lors de son audition en date du 20 décembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, les décisions ministérielles de refus sont légalement justifiées par le fait que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

Il ne ressort par ailleurs pas des éléments du dossier que Monsieur BEHRAMI risquait ou risque actuellement de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, et il reste en défaut d’expliquer et d’établir l’existence, à l’heure actuelle, d’un risque de persécution dans son chef en raison de sa prétendue insoumission, d’autant plus que l’armée yougoslave a quitté le territoire du Kosovo et qu’une force internationale de paix y est installée, de sorte qu’un risque de persécution par les autorités yougoslaves n’existe plus à l’heure actuelle. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur BEHRAMI n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les 4 déserteurs et insoumis de l’armée fédérale , que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout , que des jugements prononcés sont encore effectivement exécutés.

Ensuite, concernant les craintes de persécution en raison de sa prétendue appartenance à l’«Union des étudiants de Pristina » ainsi qu’au parti politique d’opposition « LDK », il y a lieu de constater que le demandeur n’a fait état ni d’un rôle actif au sein desdites organisations, ni d’une persécution vécue ou d’une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine en raison de sa prétendue appartenance politique, d’autant plus que le climat politique au Kosovo suite aux récentes élections a considérablement changé et que les autorités serbes ont quitté le territoire.

La même conclusion s’impose au sujet des craintes de persécution du demandeur en raison de la situation générale tendue dans certaines régions du Kosovo et plus particulièrement dans la Ville de Mitrovica, lesquelles constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’il n’est établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, d’autant plus que le demandeur dispose de la possibilité de trouver refuge ailleurs sur le territoire du Kosovo.

Finalement, l’invocation de la Déclaration universelle des droits de l’homme ainsi que du Pacte international relatif au droits civils et politiques, n’est pas pertinent, étant donné que le simple fait de tomber dans le champ d’application de ces instruments juridiques internationaux n’autorise pas une personne à se voir reconnaître le statut de réfugié politique. L’examen du statut de réfugié politique fait l’objet d’une appréciation au cas par cas à la lumière des normes juridiques existantes régissant les conditions d’octroi du droit d’asile, à savoir la Convention de Genève.

Il se dégage de l’ensemble des considération qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé au demandeur la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

5 Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président, Mme Lamesch, juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 19 décembre 2001, par le président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Ravarani 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13475
Date de la décision : 19/12/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-12-19;13475 ?

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