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19/12/2001 | LUXEMBOURG | N°13451

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 décembre 2001, 13451


Tribunal administratif N° 13451 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 mai 2001 Audience publique du 19 décembre 2001

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Recours formé par Monsieur et Madame … GUSINAC-… et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13451 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 mai 2001 par Maître Gilbert REUTER, avocat à la Cour,

inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur … GUSINAC, né le … à Novi Paz...

Tribunal administratif N° 13451 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 mai 2001 Audience publique du 19 décembre 2001

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Recours formé par Monsieur et Madame … GUSINAC-… et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13451 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 mai 2001 par Maître Gilbert REUTER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur … GUSINAC, né le … à Novi Pazar (Serbie/Yougoslavie), et de son épouse, Madame Jasmina …, née le … à Tutin (Serbie), agissant en leur nom propre, ainsi qu’en celui de leurs enfants … GUSINAC, né le … à Novi Pazar, … GUSINAC, née le … à Novi Pazar et … GUSINAC, né le … à Novi Pazar, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 18 avril 2001, confirmant sur recours gracieux une décision du même ministre du 20 février 2001, notifiée le 13 mars 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 septembre 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Gilbert REUTER et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 décembre 2001.

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En date du 7 septembre 1998, Monsieur … GUSINAC et son épouse Madame Jasmina …, accompagnés de leurs enfants mineurs … et …, ainsi que de leur fils … GUSINAC, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 Les consorts GUSINAC-… furent entendus le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Les époux GUSINAC-… furent ensuite entendus séparément en date du 8 septembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Leur fils … GUSINAC fut entendu le 9 novembre 2000 aux mêmes fins.

Par décision du 20 février 2001, notifiée le 13 mars 2001, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été rejetée aux motifs que la crainte d’une sanction pénale pour insoumission invoquée par Messieurs … et … GUSINAC ne serait pas constitutive d’un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié et que par ailleurs la mauvaise situation politique dans leur pays d’origine ainsi que son incidence sur la situation économique seraient des considérations ayant trait à la situation générale du pays d’origine des demandeurs, non susceptibles à elles seules de justifier une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par lettre du 30 mars 2001, les époux GUSINAC-… firent introduire un recours gracieux contre la décision ministérielle du 20 février 2001. Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre datant du 18 avril 2001, ils ont fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle du 18 avril 2001 par requête déposée en date du 17 mai 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle entreprise.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable.

Quant au fond, les demandeurs font exposer qu’ils appartiendraient à la minorité « bosniaque », qu’ils seraient de confession musulmane et qu’ils éprouveraient une extrême peur d’être persécutés, frappés ou maltraités par les Albanais et/ou les Serbes, étant donné que les forces de la KFOR ne seraient pas en mesure d’empêcher les actes de violence à l’encontre des minorités ethniques dans leur pays d’origine. Ils relèvent plus particulièrement que Monsieur … GUSINAC, lors d’un dépassement de la frontière au retour de Macédoine, où il aurait visité sa famille, aurait fait l’objet de maltraitances, que la police civile se serait présentée à son domicile pour l’enrôler à la réserve militaire et qu’il aurait alors décidé de prendre la fuite par crainte d’être envoyé à la guerre au risque de perdre sa vie. Quant à Monsieur … GUSINAC, ils font valoir qu’à peine âgé de 17 ans, il aurait dû passer le contrôle médical d’aptitude, de sorte qu’il risquerait d’être convoqué pour le service militaire dans le cadre duquel il serait amené à tuer en cas de guerre. Ils relèvent qu’au vu des éléments ci-avant dégagés ils seraient amenés à vivre dans une angoisse permanente, étant donné notamment qu’en cas de retour au pays, Monsieur … GUSINAC risquerait d’être sanctionné par les autorités militaires en raison de son insoumission par une peine d’emprisonnement ainsi que d’être maltraité, de même que Monsieur … GUSINAC risquerait d’être enrôlé et que la loi 2 d’amnistie adoptée au niveau fédéral ne serait pas de nature à garantir leur sécurité dans leur pays d’origine.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des consorts GUSINAC-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm.

2001, V° Recours en réformation, n° 11).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les consorts GUSINAC-… et de leur fils … GUSINAC lors de leurs auditions respectives en date des 8 septembre 1999 et 9 novembre 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le principal motif de persécution dont les demandeurs font état, à savoir l’insoumission de Monsieur … GUSINAC, il convient de rappeler que l’insoumission ou la désertion ne sont pas, en elles-mêmes, des motifs justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elles ne sauraient, à elles seules, fonder dans le chef des demandeurs, une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Messieurs … et … GUSINAC risqueraient encore à l’heure actuelle de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables ou que des traitements discriminatoires, en raison de leur appartenance ethnique et de leur religion risquent de leur être infligés ou encore que la condamnation que Monsieur … GUSINAC risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle 3 infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, les demandeurs n’établissent pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la République fédérale yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Concernant l’allégation relative à la non application concrète de ladite loi d’amnistie, force est encore de relever à cet égard qu’au delà des termes mêmes de la loi d’amnistie ainsi que des infractions qui en font l’objet, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés a au contraire exprimé l’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’auraient pas pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13853C du rôle, non encore publié).

Concernant finalement les craintes de persécution des demandeurs en raison de la situation générale dans leur pays d’origine et les craintes de représailles non autrement spécifiées en raison de leur religion musulmane, ainsi que de leur appartenance à la minorité ethnique des Bochniaques, force est de constater que les demandeurs restent en défaut d’établir que considérés individuellement et concrètement, ils risquent de subir des traitements discriminatoires ou que de tels traitements leur auraient été infligés dans un passé récent.

Il ressort de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 19 décembre 2001 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, 4 Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13451
Date de la décision : 19/12/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-12-19;13451 ?

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