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19/12/2001 | LUXEMBOURG | N°13447

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 décembre 2001, 13447


Tribunal administratif N° 13447 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 mai 2001 Audience publique du 19 décembre 2001

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Recours formé par Monsieur … SPAHIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13447 et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 mai 2001 par Maître Valérie DUPONG, avocat à la Cour, assistée de Maîtr

e Sarah TURK, avocat, les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mons...

Tribunal administratif N° 13447 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 mai 2001 Audience publique du 19 décembre 2001

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Recours formé par Monsieur … SPAHIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13447 et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 mai 2001 par Maître Valérie DUPONG, avocat à la Cour, assistée de Maître Sarah TURK, avocat, les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SPAHIC, né le … à Bijelo Polje (Monténégro/Yougoslavie), demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 15 janvier 2001, notifiée le 28 février 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 18 avril 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 août 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Sarah TURK, en remplacement de Maître Valérie DUPONG, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 7 décembre 1998, Monsieur … SPAHIC introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur SPAHIC fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-

ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu en date du 26 novembre 1999 sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 15 janvier 2001, notifiée le 28 février 2001, le ministre de la Justice informa le demandeur de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté la Yougoslavie en novembre 1998.

Vous exposez avoir commencé votre service militaire le 23 juin 1998. Vous auriez déserté le 20 novembre 1998. La police militaire serait venue vous chercher en décembre 1998 et en mars 1999.

Vous expliquez ne pas avoir voulu tuer des civils albanais. Vous risqueriez d’être condamné à une peine d’emprisonnement en raison de votre désertion.

Vous indiquez avoir été membre du SDA depuis le mois de mai 1996. Vous auriez subi des interrogatoires en 1997 à l’occasion de l’arrestation de votre oncle qui aurait été secrétaire du SDA à Bijelo Polje.

Force est cependant de constater que la crainte d’une condamnation pénale pour le fait de ne pas avoir accompli ses obligations militaires n’est pas suffisante pour établir une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

De même l’insoumission ne constitue, pas, à elle seule, un motif valable pour obtenir le statut de réfugié.

Les autres faits allégués ne sont pas d’une gravité telle que la reconnaissance du statut de réfugié politique s’imposerait.

Enfin, le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place sans la participation des partisans de l’ancien régime.

La Yougoslavie a retrouvé sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 26 mars 2001, Monsieur SPAHIC introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 15 janvier 2001.

2 Par décision du 18 avril 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 16 mai 2001, Monsieur SPAHIC a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions précitées du ministre de la Justice des 15 janvier et 18 avril 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire du Monténégro et de confession musulmane, qu’il aurait été enrôlé dans l’armée yougoslave au courant du mois de mai 1998 et qu’il aurait reçu l’ordre, le 19 novembre 1998, de se rendre au front au Kosovo, qu’il aurait déserté au motif qu’il ne voulait pas tuer des civils, de sorte qu’il risquerait à l’heure actuelle d’être puni comme déserteur à une peine de prison. Il ajoute encore que sa situation spécifique serait telle qu’il serait particulièrement exposé à des persécutions en raison de son appartenance au parti politique d’opposition « SDA » et que son oncle aurait été condamné à une peine d’emprisonnement en raison de sa fonction de secrétaire dudit parti politique. Il fait encore ajouter qu’il aurait subi des interrogatoires concernant les activités politiques de son oncle et qu’à cette occasion il aurait été giflé.

En substance, le demandeur reproche au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés en relation avec sa désertion, ses origines et sa religion musulmane, ses activités politiques, ainsi que la situation générale en Yougoslavie qui établiraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur SPAHIC et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique 3 a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm.

1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Monsieur SPAHIC.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur SPAHIC lors de son audition du 26 novembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le principal motif fondé sur l’état de désertion de Monsieur SPAHIC, il convient de rappeler que la désertion n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur SPAHIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de sa désertion serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur SPAHIC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Concernant les craintes de persécutions en raison des activités politiques de Monsieur SPAHIC et de son appartenance au parti politique d’opposition « SDA », il convient de relever que la simple appartenance à un mouvement ou parti politique d’opposition ne saurait justifier la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève, étant donné que le demandeur n’a fait état ni d’un rôle actif au 4 sein dudit parti ni encore d’une persécution vécue ou d’une crainte qui serait telle que sa vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, en raison de ladite appartenance politique.

Les divers interrogatoires que le demandeur a dû subir en raison de son appartenance politique, et les mauvais traitements dont il a été victime lors de ces interrogatoires par la police, aussi dramatiques que ces événements aient pu avoir été pour le demandeur, ne sont pas de nature à rendre la vie intolérable et à constituer des éléments suffisants desquels il se dégage que les autorités en Yougoslavie ne soient pas capables d’assurer actuellement un niveau de protection suffisant aux habitants de la Yougoslavie ou tolèrent voire encouragent des agressions contre les minorités.

Finalement concernant les craintes de persécutions du demandeur en raison de ses origines et de sa confession musulmane et de la situation générale tendue dans son pays d’origine, il échet de constater qu’elles constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que le demandeur n'ait établi un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que sa vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président, Mme Lamesch, juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 19 décembre 2001, par le président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Ravarani 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13447
Date de la décision : 19/12/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-12-19;13447 ?

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