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19/12/2001 | LUXEMBOURG | N°13388

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 décembre 2001, 13388


Tribunal administratif N° 13388 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 mai 2001 Audience publique du 19 décembre 2001

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Recours formé par Monsieur … SABOTIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13388 du rôle et déposée le 3 mai 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Valérie DUPONG, avocat à la Cour, assistée de Maîtr

e Eric MULLER, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de...

Tribunal administratif N° 13388 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 mai 2001 Audience publique du 19 décembre 2001

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Recours formé par Monsieur … SABOTIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13388 du rôle et déposée le 3 mai 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Valérie DUPONG, avocat à la Cour, assistée de Maître Eric MULLER, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SABOTIC, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 23 janvier 2001, notifiée le 16 février 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 3 avril 2001 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 août 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Sarah TURK, en remplacement de Maître Valérie DUPONG, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries respectives.

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Le 4 octobre 2000, Monsieur … SABOTIC introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-

ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité ainsi que sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur SABOTIC fut en outre entendu en date du 7 décembre 2000 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 23 janvier 2001, notifiée en date du 16 février 2001, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté le Monténégro huit jours environ avant d’arriver au Luxembourg. Votre voyage vous a mené à Bar, à Sarajevo et en Italie. De là, vous avez pris place dans une camionnette qui vous a conduit au Luxembourg.

Vous exposez que vous n’avez pas fait votre service militaire bien que vous y ayez été convoqué en 1993. Vous prétendez avoir été recherché, depuis cette époque-là, par la police militaire, tant à Belgrade qu’au Monténégro. Vous expliquez que les contrôles d’identité que vous auriez subis étaient très fréquents et qu’à ces occasions, vous auriez été maltraité. Vous expliquez ces mauvais traitements d’une part, par le fait que vous êtes musulman et d’autre part, par une pénible homonymie avec un Monténégrin coupable d’un attentat terroriste. Vous ajoutez que vous vous seriez caché de nombreuses années dans le montagnes du Monténégro, mais que vous auriez été retrouvé par la police militaire après la régularisation de vos papiers au Monténégro.

Vous dites encore avoir été membre du parti politique SDA.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

La seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève. De même, l’insoumission ne constitue pas, à elle seule, un motif valable pour obtenir le statut de réfugié.

Il ne ressort pas non plus de vos déclarations que vous auriez été dans une position particulièrement exposée du fait de vos activités politiques.

Je dois constater que les autres faits que vous invoquez, à les supposer établis, ne sont pas non plus d’une gravité telle qu’ils puissent fonder un fait de persécutions au sens de la Convention de Genève.

De plus, le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place sans la participation des partisans de l’ancien régime.

La Yougoslavie a retrouvé sa place dans la communauté internationale ce qui traduit notamment son adhésion à l’ONU et à l’OSCE. Des pourparlers sont en cours pour accorder l’amnistie aux déserteurs et aux insoumis.

Je dois donc en conclure que vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er, A,2 de la Convention de Genève et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays, telle une crainte 2 justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » Par lettre du 15 mars 2001, Monsieur SABOTIC introduisit par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 23 janvier 2001.

Par décision du 3 avril 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 3 mai 2001, Monsieur SABOTIC a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre de la Justice des 23 janvier et 3 avril 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises. Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire du Monténégro et de confession musulmane, qu’il aurait vécu cependant la majeure partie de son enfance et de son adolescence dans un quartier de Belgrade, que suite à des harcèlements de la part de la police serbe du fait de son homonymie avec un certain Adem SABOTIC, apparemment responsable d’un attentat à la voiture piégée contre un leader ultra-

nationaliste serbe, il aurait pris conscience de son identité musulmane et il se serait inscrit au parti politique d’opposition « SDA ». Il expose qu’à partir de ce moment il aurait participé à des réunions ce qui lui aurait valu de nouvelles tracasseries et violences de la part des autorités serbes. Le demandeur fait ajouter qu’au courant de l’année 1993, il aurait été appelé au service militaire pour aller combattre en Bosnie, mais qu’il aurait refusé de répondre à cette convocation, qu’il se serait réfugié dans sa région natale au Monténégro, qu’après avoir vécu un certain temps de la clandestinité il se serait déclaré aux autorités monténégrines, ce qu’il lui aurait valu d’être recherché par la suite à la fois par la police monténégrine et la police serbe, étant donné que les deux corps de police collaboreraient entre eux. Finalement, le demandeur fait encore état du fait qu’il serait toujours susceptible d’être regardé comme insoumis, de sorte qu’il risquerait d’être poursuivi de ce chef. Le demandeur fait encore ajouter que la situation politique dans son pays d’origine ne serait pas suffisamment stable pour permettre son retour.

En droit, le demandeur conclut à la réformation des décisions ministérielles pour erreur d’appréciation des faits.

3 Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existante au moment où il statue (cf. trib.

adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur SABOTIC lors de son audition en date du 7 décembre 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le motif fondé sur l’état d’insoumission de Monsieur SABOTIC, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur SABOTIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation 4 éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur SABOTIC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées, et surtout que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Concernant les craintes de persécution en raison des activités politiques de Monsieur SABOTIC et de son appartenance au parti politique d’opposition « SDA », il convient de relever que la simple appartenance à un mouvement ou parti politique d’opposition ne saurait justifier la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève, étant donné que le demandeur n’a fait état ni d’un rôle actif au sein dudit parti, ni encore d’une persécution vécue ou d’une crainte qui serait telle que sa vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, en raison de ladite appartenance politique.

Les harcèlements respectivement les coups subis par la police, dont le requérant se dit victime, aussi dramatiques que ces évènements aient pu avoir été pour le demandeur, ne sont pas de nature à rendre la vie intolérable et à constituer des éléments suffisants desquels se dégage que les autorités en Yougoslavie ne soient pas capables d’assurer actuellement un niveau de protection suffisant aux habitants de la Yougoslavie ou tolèrent voire encouragent des agressions contre les minorités.

Enfin, les craintes de persécution en raison de son appartenance à la communauté musulmane et de la situation générale tendue dans son pays d’origine constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que le demandeur n’ait établi un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait actuellement, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé au demandeur la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

5 Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président, Mme Lamesch, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 19 décembre 2001 par le président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Ravarani 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13388
Date de la décision : 19/12/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-12-19;13388 ?

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