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19/12/2001 | LUXEMBOURG | N°13364

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 décembre 2001, 13364


Tribunal administratif N° 13364 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 mai 2001 Audience publique du 19 décembre 2001

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Recours formé par Monsieur et Madame … KORAC-… et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13364 du rôle et déposée le 2 mai 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Jacques SC

HONCKERT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieu...

Tribunal administratif N° 13364 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 mai 2001 Audience publique du 19 décembre 2001

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Recours formé par Monsieur et Madame … KORAC-… et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13364 du rôle et déposée le 2 mai 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Jacques SCHONCKERT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … KORAC, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), et de son épouse la dame … …, née … à Rozaje (Monténégro/Yougoslavie), agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs …, né le … à Rozaje et …, né le … à Rozaje, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 30 octobre 2000, notifiée le 15 février 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 3 avril 2001 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 août 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Jean-Jacques SCHONCKERT, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries respectives.

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Le 23 novembre 1999, Monsieur … KORAC introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-

ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur KORAC fut ensuite entendu en date du 26 novembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

En date du 13 janvier 2000, Madame … … agissant tant en son nom personnel qu’en celui de ses enfants mineurs …, … et … introduisit de même auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique.

Madame … … fut entendue en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-

ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

En date du 3 février 2000, elle fut entendue par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 30 octobre 2000, notifiée en date du 15 février 2001, le ministre de la Justice informa les consorts KORAC-… que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Monsieur, vous exposez que vous auriez reçu un appel pour effectuer la réserve auquel vous n’auriez pas donné suite. Vous supposez que vous serez condamné à une peine d’emprisonnement. Vous auriez été insulté et menacé par des policiers serbes. Vous auriez peur du régime, de la situation dans votre pays d’origine et de la mafia serbe et albanaise. Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique.

En ce qui vous concerne, Madame, vous admettez ne pas être membre d’un part politique et ne pas avoir personnellement subi de persécutions. Vous auriez simplement rejoint votre mari qui aurait reçu un appel pour effectuer la réserve.

Enfin, votre peur des paramilitaires serbes serait liée à votre religion sans que vous ne fournissiez d’autres explications.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Monsieur, l’insoumission n’est pas en elle-même un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée de persécution au sens de la prédite Convention. De même, la seule crainte de peines du chef d’insoumission est insuffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution. Par ailleurs, il n’est pas établi que l’appartenance à la réserve de l’armée imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser.

Les autres motifs exposés (insultes, menaces) et la peur que vous invoquez traduisent un sentiment général d’insécurité et ne sont pas de nature à justifier une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

2 Quant à vous, Madame, vous ne relevez que des motifs d’ordre personnel sans citer un quelconque fait constituant une persécution ou une crainte de persécution au sens de la prédite Convention.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » Par lettre du 14 mars 2001, les consorts KORAC-… introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 30 octobre 2000.

Par décision du 3 avril 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 2 mai 2001, les époux KORAC-…, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs … et …, ont fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions précitées du ministre de la Justice des 30 octobre 2000 et 3 avril 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises. Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, les demandeurs font exposer qu’ils seraient originaires du Monténégro et de confession musulmane, qu’après avoir vécu au Kosovo ils seraient revenus vivre au Monténégro au courant de l’année 1997, que début 1998 il aurait été appelé par l’armée fédérale yougoslave pour accomplir son service de réserve mais qu’il aurait refusé d’y donner suite étant donné qu’il ne voulait pas rejoindre l’armée serbe en raison de sa confession musulmane, de sorte qu’il risquerait d’être condamné comme insoumis à une peine de prison, que partant leur situation spécifique serait telle qu’ils seraient particulièrement exposés à des persécutions en raison de l’insoumission de Monsieur KORAC. Les demandeurs ajoutent encore que les musulmans seraient terrorisés par les Serbes et les Albanais dans leur région d’origine ainsi que par des groupes de paramilitaires serbes.

En droit, les demandeurs concluent à la réformation des décisions ministérielles pour violation de la loi sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits.

3 Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existante au moment où il statue (cf. trib.

adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux KORAC-… lors de leurs auditions respectives des 26 novembre 1999 et 3 février 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le motif fondé sur l’état d’insoumission de Monsieur KORAC, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs, une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur KORAC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait 4 disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur KORAC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées, et surtout que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Concernant les craintes exprimées par les demandeurs en relation avec la prétendue hostilité des populations serbe et albanaise, ainsi que des groupes paramilitaires serbes, à leur égard, en raison de leur confession musulmane et la situation générale tendue dans leur région d’origine, force est de constater que ces craintes s’analysent, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant pour établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président, Mme Lamesch, juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 19 décembre 2001 par le président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Ravarani 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13364
Date de la décision : 19/12/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-12-19;13364 ?

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