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19/12/2001 | LUXEMBOURG | N°13281

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 décembre 2001, 13281


Tribunal administratif N° 13281 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 avril 2001 Audience publique du 19 décembre 2001

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Recours formé par Monsieur … MURIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13281 et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 avril 2001 par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats Ã

  Luxembourg, au nom de Monsieur … MURIC, né le … à Rozaje (Monténégro), demeurant actuellement à L-…, ...

Tribunal administratif N° 13281 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 avril 2001 Audience publique du 19 décembre 2001

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Recours formé par Monsieur … MURIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13281 et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 avril 2001 par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … MURIC, né le … à Rozaje (Monténégro), demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 5 décembre 2000, notifiée le 8 février 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 9 mars 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 juillet 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé en date du 7 août 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Edmond DAUPHIN au nom du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Edmond DAUPHIN, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 3 mai 1999, Monsieur … MURIC introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 Monsieur MURIC fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut ensuite entendu le 5 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 5 décembre 2000, notifiée le 8 février 2001, le ministre de la Justice l’informa de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit:

« Vous exposez que vous avez refusé un appel pour faire le service militaire en mars 1999 pour ne pas devoir participer au conflit du Kosovo, étant donné que vous n’avez pas voulu vous battre contre d’autres musulmans. Vous dites ne pas savoir quelle sanction vous attend pour votre insoumission. Vous précisez que vous êtes prêt à retourner dans votre pays d’origine en cas d’indépendance du Monténégro. Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique et ne pas avoir été personnellement persécuté.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

L’insoumission est insuffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution. De même, la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la prédite Convention. Enfin, il n’est pas établi que l’appartenance à l’armée imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser.

Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent, vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi, une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 6 mars 2001, Monsieur MURIC introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 5 décembre 2000.

2 Par décision du 9 mars 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée le 13 avril 2001, Monsieur MURIC a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions précitées du ministre de la Justice des 5 décembre 2000 et 9 mars 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur se réfère à son appartenance à l’ethnie des musulmans slaves du Monténégro pour soutenir qu’il aurait subi des persécutions en raison de cette appartenance et qu’il risquerait, en cas de retour dans son pays, de faire l’objet de persécutions encore plus graves en raison de son refus de servir dans l’armée yougoslave. Il se réfère à un extrait du journal « Vesti », pour soutenir que la loi d’amnistie ne serait pas applicables aux « déserteurs ». Il se réfère encore à des rapports publiés par des organisations non-gouvernementales pour soutenir que la situation au Monténégro resterait très instable et dangereux, surtout pour les « bochniaques ». Il conclut que « la situation ethnico-religieuse et [ses] choix politiques justifient pleinement l’admission aux critères édictés par la Convention de Genève et notamment une crainte fondée et justifiée à raison de son appartenance religieuse ». Il soutient finalement que l’avènement d’un nouveau président élu de manière démocratique au Monténégro, ne serait pas de nature à modifier « une donne bien complexe et où les antagonismes passés et leurs lots d’exactions impunies perdurent avec l’aval sinon dans l’indifférence des autorités ».

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur MURIC et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

3 Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Monsieur MURIC.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur MURIC lors de son audition en date du 5 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le principal motif de persécution dont le demandeur fait état dans son recours contentieux, à savoir son insoumission, il convient de rappeler que l’insoumission ou la désertion ne sont pas, en elles-mêmes, des motifs justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elles ne sauraient, à elles seules, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur MURIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables ou que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur MURIC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Concernant l’allégation relative à une non application généralisée de ladite loi d’amnistie, illustrée par le demandeur par référence notamment à un extrait du journal « Vesti » du 13 mars 2001, se rapportant au cas du sous-officier Dzemail MASOVIC, qui lors de son retour en Yougoslavie, aurait été arrêté et emprisonné en raison de sa désertion, il convient en premier lieu de relever qu’au delà des termes mêmes de la loi d’amnistie ainsi que des infractions qui en font l’objet, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés a au contraire exprimé l’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’auraient pas pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13853C du rôle, non encore publié).

4 En outre, il convient d’ajouter que l’extrait du journal « Vesti » invoqué par le demandeur pour soutenir ses doutes au sujet de l’application effective de la loi d’amnistie, ne saurait être utilement retenu pour invalider la conclusion ci-avant dégagée. En effet, à admettre son authenticité, il ne permet en tout état de cause pas de situer avec toute la certitude requise l’infraction pénale y visée dans le temps. Par ailleurs, ladite pièce ne renseigne pas sur les suites et aboutissements que la procédure éventuellement menée a connu.

Finalement concernant les craintes de persécution du demandeur en raison de la situation générale en Yougoslavie et les craintes de représailles non autrement spécifiées en raison de sa religion musulmane, force est de constater que ces faits sont insuffisants pour établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné qu’il ne ressort pas des éléments du dossier que le demandeur, considéré individuellement et concrètement, risque de subir des traitements discriminatoires en raison de son appartenance ethnique ou de sa religion ou que de tels traitements lui auraient été infligés dans le passé.

Il ressort de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 19 décembre 2001, par le président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Ravarani 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13281
Date de la décision : 19/12/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-12-19;13281 ?

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