Numéro 13215 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 avril 2001 Audience publique du 19 décembre 2001 Recours formé par Madame … SOFTIC et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique
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JUGEMENT
Vu la requête, inscrite sous le numéro 13215 du rôle, déposée le 10 avril 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc PETIT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … SOFTIC, née le … à Bijelo Polje (Monténégro/Yougoslavie), de son fils, Monsieur … …, né le … à Pec (Kosovo/Yougoslavie), et de sa fille, Mademoiselle … …, née le … à Pec, tous les trois de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 12 janvier 2001, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 14 mars 2001, portant toutes les deux rejet de leurs demandes en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondées;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 juillet 2001;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Jean-Louis UNSEN, en remplacement de Maître Marc PETIT, et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 5 novembre 2001;
Vu la rupture du délibéré prononcée le 19 novembre 2001;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Charles KIMMEL, en remplacement de Maître Marc PETIT, et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 décembre 2001.
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Le 15 mai 1998, Monsieur … …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Le 10 février 1999, la mère de Monsieur …, Madame … SOFTIC et sa fille … …, préqualifiées, introduisirent une demande tendant aux mêmes fins. Elles furent également entendues le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Monsieur … fut entendu en dates des 22 et 27 octobre 1998 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile, tandis que les auditions correspondantes de Madame SOFTIC et de Mademoiselle SOFTIC eurent lieu le 30 novembre 1999.
Le ministre de la Justice informa les consorts SOFTIC-…, par décision du 12 janvier 2001, notifiée en date du 7 février 2001, de ce que leur demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée au motif qu’ils n'allégueraient aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays d’origine, de sorte qu’une crainte justifiée de persécution en raison de leurs opinions politiques, de leur race, de leur religion, de leur nationalité ou de leur appartenance à un groupe social ne serait pas établie dans leur chef.
Le recours gracieux formé par courrier de leur mandataire du 7 mars 2001 s’étant soldé par une décision confirmative du même ministre du 14 mars 2001, les consorts SOFTIC-… ont fait introduire un recours en réformation à l’encontre de ces deux décisions ministérielles de rejet des 12 janvier et 14 mars 2001 par requête déposée le 10 avril 2001.
L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de leur recours, les demandeurs reprochent d’abord aux décisions déférées une absence de motivation, sinon une motivation insuffisante, pour soutenir qu’ils n’auraient pas mis en mesure de vérifier en quoi ils ne satisferaient pas aux conditions fixées pour la reconnaissance du statut de réfugié.
2 Force est de constater que ledit moyen laisse d’être fondé, étant donné qu’il ressort du libellé de la décision du 12 janvier 2001 que le ministre de la Justice a indiqué de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait, sur lesquels il s’est basé pour justifier sa décision de refus, motifs qui ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance des demandeurs.
Quant au fond de leur demande d’asile, les demandeurs, faisant partie de la minorité des Bosniaques du Kosovo, exposent que cette dernière aurait fait depuis le commencement de la guerre en Yougoslavie et encore à l’heure actuelle l’objet de persécutions et plus particulièrement de boycotts, d’attaques, de mauvais traitements, d’enlèvements de biens, de mise à feu de leurs habitations et d’assassinats de « citoyens innocents » afin d’inciter ses membres à quitter ce pays vers lequel ils auraient émigré à partir du Monténégro et du Sandzak suite à la seconde guerre mondiale. Ils relèvent que cette hostilité de la part de la majorité albanaise au Kosovo serait fondée sur le reproche d’avoir collaboré avec le pouvoir serbe au cours des dix dernières années sans participer activement à la lutte pour l’indépendance du Kosovo menée par les Albanais qui ont notamment été chassés des emplois publics. Les demandeurs soutiennent que les forces de la KFOR n’auraient pas encore pu opérer le désarmement des militants albanais et organiser efficacement l’administration civile au Kosovo, de manière à ne pouvoir en aucune manière assurer la protection de la minorité bosniaque. Ils font valoir que les persécutions susvisées à leur encontre de la part de « groupes non contrôlés » et de « bandes » continueraient encore après la fin de la guerre et ils renvoient à une liste de 61 Bosniaques assassinés, disparus, maltraités ou blessés.
Le délégué du Gouvernement rétorque que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours laisserait d’être fondé.
A titre liminaire, il échet de relever que le délégué du Gouvernement a soumis au tribunal, en annexe à un courrier du 14 novembre 2001, copie d’une déclaration de renonciation de la part de Monsieur … … à sa demande d’asile, signée le 10 septembre 2001.
Sur invitation du tribunal moyennant avis de rupture de délibéré du 19 novembre 2001, le mandataire des demandeurs a reconnu à l’audience du 3 décembre 2001 le fait de la renonciation dans le chef de Monsieur …, mais a déclaré maintenir le recours pour autant qu’introduit pour compte des autres parties demanderesses. Il y a partant lieu de constater que le recours est devenu sans objet pour autant qu’introduit du chef de Monsieur ….
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, v° Recours en réformation, n° 11, p. 407).
3 Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique politique (Cour adm.
5 avril 2001, n° 12801C du rôle, non encore publié).
En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demanderesses lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demanderesses restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2.
de la Convention de Genève.
En effet, les demanderesses font état de leur crainte de voir commettre des actes de violence à leur encontre en raison de leur appartenance à la minorité bosniaque du Kosovo, tout en concédant que les persécutions par elles invoquées émanent non pas de l’Etat, mais de groupes de la population, en l’espèce surtout de la population albanaise du Kosovo. Elles estiment néanmoins que la crainte afférente peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique, étant donné que les autorités en place seraient dans l’impossibilité de leur accorder une protection adéquate.
S’il est certes vrai que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et qu’une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, il reste cependant pas moins qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s).
Dans ce contexte, il y a lieu de relever que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités au Kosovo, notamment de celle des Bosniaques, est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres traitements discriminatoires par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des traitements discriminatoires. Une situation de conflit interne violent ou généralisé ne peut en effet, à elle seule, justifier la reconnaissance de la qualité de réfugié étant donné que la crainte de persécution, outre de devoir toujours être fondée sur l’un des motifs de l’article 1er, section A de la Convention de Genève, doit également avoir un caractère personnalisé.
En l’espèce, les demanderesses se réfèrent essentiellement à des événements illustrant le climat général d’insécurité au Kosovo, sans faire état d’éléments particuliers les touchant directement dans leur situation personnelle. Elles ont en effet affirmé lors de leurs auditions respectives en date du 30 novembre 1999 avoir fui à cause de la guerre, ne pas avoir subi de persécutions personnelles et avoir peur des Albanais. Il y a lieu d’ajouter que les demanderesses n’établissent pas non plus en quoi elles risqueraient réellement, en raison de circonstances particulières, d’être victimes d’actes similaires à ceux subis par les 4 personnes figurant sur la liste par eux déposée, lesquels seraient de nature à fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur chef.
Force est encore de constater que les craintes de persécution afférentes invoquées se cristallisent autour de la seule situation au Kosovo, mais que les demanderesses restent en défaut d’établir qu’elles ne peuvent trouver refuge dans une autre partie de leur pays d’origine, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité sans restriction territoriale.
Il résulte des développements qui précèdent que les demanderesses restent en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre leur a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique et que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.
PAR CES MOTIFS, Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, le déclare sans objet pour autant qu’introduit au nom de Monsieur … …, au fond, le déclare non justifié pour le surplus et en déboute, condamne les demanderesses aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 19 décembre 2001 par:
Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. SCHMIT s. LENERT 5