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17/12/2001 | LUXEMBOURG | N°13406

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 décembre 2001, 13406


Tribunal administratif N° 13406 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 mai 2001 Audience publique du 17 décembre 2001

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Recours formé par Monsieur … MURATOVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13406 et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 mai 2001 par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre

des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … MURATOVIC, né le … à Podgorica (Monténégro/Yougoslavie)...

Tribunal administratif N° 13406 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 mai 2001 Audience publique du 17 décembre 2001

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Recours formé par Monsieur … MURATOVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13406 et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 mai 2001 par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … MURATOVIC, né le … à Podgorica (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-

…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 3 avril 2001, confirmant sur recours gracieux une décision du même ministre datant du 6 décembre 2000, notifiée le 13 février 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 août 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport ainsi que Maître Edmond DAUPHIN et Madame le délégué du Gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 26 novembre 2001.

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En date du 10 mai 1999, Monsieur … MURATOVIC, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 Monsieur MURATOVIC fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut ensuite entendu le 14 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 6 décembre 2000, notifiée le 13 février 2001, le ministre de la Justice informa Monsieur MURATOVIC de ce que sa demande avait été rejetée au motif que la reconnaissance du statut de réfugié ne serait pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile et que l’insoumission invoquée par Monsieur MURATOVIC à l’appui de sa demande ne serait pas suffisante pour constituer dans son chef une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève, de même que les provocations et les discriminations par lui invoquées, même à les supposer établies, ne seraient pas de nature à fonder une crainte justifiée de persécution pour un des motifs énoncés à ladite Convention. Par la même décision le ministre a estimé qu’il ne faudrait pas oublier que le régime politique en Yougoslavie aurait changé au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement ainsi qu’avec la mise en place d’un nouveau gouvernement en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime.

Par lettre du 12 mars 2001, Monsieur MURATOVIC introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 6 décembre 2000.

Par décision du 3 avril 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée le 7 mai 2001, Monsieur MURATOVIC a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision prévisée du ministre de la Justice du 3 avril 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, le demandeur conclut à la réformation des décisions querellées « pour violation de la loi, sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits ».

A l’appui de son recours, il fait exposer qu’il est de confession musulmane et qu’il appartient à la minorité des Musulmans slaves dits « Bochniaques ». Le demandeur reproche au ministre une appréciation erronée des faits à la base de sa demande d’asile et il soutient qu’une appréciation plus juste des éléments en cause aurait dû conduire le ministre à reconnaître dans son chef l’existence d’une persécution intolérable au sens de la Convention de Genève. Il fait valoir plus particulièrement avoir refusé de donner suite à un appel à la réserve 2 et soutient que ce refus de la guerre aurait été lié à son appartenance confessionnelle et religieuse. Il signale en outre avoir été provoqué et discriminé en raison du fait qu’il est musulman et plus particulièrement Bochniaque et qu’en raison du sort inéluctable de persécution, sinon d’exclusion dont feraient l’objet les Musulmans slaves, il éprouverait une peur justifiée de retourner dans son pays d’origine. La gravité de sa situation se trouverait encore accentuée par le fait qu’il aurait commis le crime de désertion et que de ce chef il risquerait d’encourir une sanction disproportionnée par rapport à la gravité de cette infraction en raison de son appartenance ethnique et religieuse. Le demandeur met en outre en doute l’efficacité de la loi d’amnistie adoptée dans son pays d’origine en se référant à un article d’un journal yougoslave faisant état du cas d’un sous-officier de l’armée fédérale qui aurait déserté de ladite armée et qui aurait été arrêté et emprisonné postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi d’amnistie.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur MURATOVIC et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11, p. 407).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur MURATOVIC lors de son audition par un agent du ministère de la Justice, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le motif de persécution basé sur sa situation de déserteur, il convient de rappeler que l’insoumission ou la désertion ne sont pas, en elles-mêmes, des motifs justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elles ne sauraient, à elles seules, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou 3 de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur MURATOVIC risque encore à l’heure actuelle de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables ou que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés dans le cadre de son service militaire. Concernant la condamnation qu’il risquerait d’encourir en raison de son insoumission, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur MURATOVIC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée récemment par le parlement yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Concernant l’allégation relative à une non-application concrète de ladite loi d’amnistie, illustrée par le demandeur par référence à un prétendu cas de non-application, ainsi que par des articles de presse ayant trait à la situation générale dans son pays d’origine, force est encore de relever à cet égard qu’au delà des termes mêmes de la loi d’amnistie ainsi que des infractions qui en font l’objet, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés a au contraire exprimé l’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’auraient pas pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13853C du rôle, non encore publié).

Force est encore de constater que la pièce invoquée par le demandeur pour soutenir ses doutes au sujet de l’application effective de la loi d’amnistie ne saurait être utilement retenue pour invalider la conclusion ci-avant dégagée, étant donné que l’ordonnance en question, à admettre son authenticité, ne permet en tout état de cause pas à situer avec toute la certitude requise l’infraction pénale y visée dans le temps.

Concernant ensuite la crainte du demandeur de voir commettre des actes de violence à son encontre ou de faire l’objet de discriminations en raison de son appartenance à la minorité des Bochniaques, il y a lieu de constater que les craintes de persécution afférentes émanent non pas de l’Etat, mais de groupes de la population, de sorte que cette crainte ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié que dans l’hypothèse où les autorités en place seraient dans l’impossibilité d’accorder une protection adéquate au demandeur. A cet égard il y a encore lieu de relever que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et qu’une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, étant donné que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean Yves Carlier : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, n° 73-s). En l’espèce, le demandeur se réfère uniquement à des pièces qui sont de nature à établir l’existence dans son pays d’origine d’un climat général d’insécurité particulièrement accentuée par rapport aux minorités ethniques, partant également par rapport aux Musulmans slaves, tels les Bochniaques dont il fait partie. Or, s’il est certes 4 vrai que la situation générale des minorités musulmanes slaves est difficile et qu’elles sont particulièrement exposées à subir des insultes, voir d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des traitements discriminatoires. Une situation de conflit interne violent ou généralisé(e) ne peut dès lors, à elle seule, justifier la reconnaissance de la qualité de réfugié, étant donné que la crainte de persécution, outre de devoir toujours être fondée sur l’un des motifs de l’article 1er A de la Convention de Genève, doit également avoir un caractère personnalisé.

A défaut par le demandeur de faire état d’éléments particuliers le touchant directement dans sa situation personnelle, sa seule appartenance à la minorité bochniaque ne saurait dès lors être utilement retenue en l’espèce pour lui valoir l’attribution du statut de réfugié.

Il ressort de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et pronconcé à l’audience publique du 17 décembre 2001 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13406
Date de la décision : 17/12/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-12-17;13406 ?

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