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17/12/2001 | LUXEMBOURG | N°13359

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 décembre 2001, 13359


Numéro 13359 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 avril 2001 Audience publique du 17 décembre 2001 Recours formé par les époux … et … KOLENOVIC-…, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13359 du rôle, déposée le 30 avril 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Pol URBANY, avocat à la Cou

r, assisté de Maître Frank WIES, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avo...

Numéro 13359 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 avril 2001 Audience publique du 17 décembre 2001 Recours formé par les époux … et … KOLENOVIC-…, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13359 du rôle, déposée le 30 avril 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Pol URBANY, avocat à la Cour, assisté de Maître Frank WIES, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur … KOLENOVIC, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), et de son épouse, Madame … …, née le … à Bérane, tous les deux de nationalité yougoslave, agissant tant en leur non personnel qu’en leur qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs … KOLENOVIC, né le … à Bérane, et … KOLENOVIC, née le …, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 31 janvier 2001 portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 août 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 11 septembre 2001 par Maître Pol URBANY pour compte des époux KOLENOVIC-…;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Frank WIES et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 19 novembre 2001.

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Le 18 février 1999, Monsieur … KOLENOVIC et son épouse, Madame … …, préqualifiés, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et … KOLENOVIC, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, ils furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Monsieur KOLENOVIC fut entendu en date du 20 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile, tandis que l’audition correspondante de Madame … eut lieu le 3 août suivant.

Le ministre de la Justice informa les époux KOLENOVIC-…, par décision du 31 janvier 2001, notifiée en date du 28 mars 2001, de ce que leur demande avait été rejetée au motif qu’ils n’allégueraient aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans leur chef.

A l’encontre de cette décision ministérielle de rejet du 31 janvier 2001, les époux KOLENOVIC-… ont fait introduire un recours en réformation par requête déposée le 30 avril 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent qu’ils proviennent de la ville de Bérane, située dans la région du Sandzak à la frontière entre la Serbie et le Monténégro, et qu’ils sont de confession musulmane. Ils se fondent en premier lieu sur des discriminations, suspicions et transferts de postes successifs dont Madame … aurait fait l’objet au sein de l’armée yougoslave en sa qualité de secrétaire et relèvent plus particulièrement à cet égard que Madame … aurait intégré l’armée yougoslave au cours de l’année 1984 en qualité de secrétaire et que les discriminations à son encontre, fondées sur la méfiance de ses supérieurs hiérarchiques du fait de sa religion musulmane, auraient commencé au moment des guerres successives en Slovénie, Croatie et Bosnie-Herzégovine, notamment sous forme de décisions de mise à disposition, de mise sous la surveillance directe d’un officier et d’affectation à des tâches ingrates. Ils ajoutent qu’en date du 27 novembre 1997, donc au moment des préparatifs d’opérations militaires au Kosovo par l’armée yougoslave, Madame … aurait fait l’objet d’une nouvelle décision de mise à disposition et d’une nouvelle surveillance directe 2 par un officier serbe, mais qu’elle aurait quand même eu connaissance des ordres transmis par le haut commandement militaire de Belgrade, dont notamment celui de détruire tous les villages musulmans du secteur et d’expulser, sinon tuer la population. Ils relèvent également que Madame … aurait été transférée au mois de novembre 1998, sur ordre du commandant de l’unité de Podgorica, vers l’unité militaire de Plav près de la frontière du Kosovo et qu’elle aurait été tenue de transcrire des ordres des commandants relatifs aux préparatifs des opérations militaires au Kosovo, de manière à avoir été informée tant sur les destructions de villages musulmans au Kosovo que sur l’intention de l’armée d’appeler à la réserve les ressortissants du Monténégro dont notamment les Musulmans. Les demandeurs font valoir que Madame … aurait déserté de l’armée afin d’échapper à l’ordre de transfert vers Plav et aux provocations et menaces de la part de ses supérieurs ainsi qu’à son conflit de conscience d’être impliquée dans des opérations militaires dirigées contre des personnes appartenant à la même communauté religieuse qu’elle-même. Ils relèvent que Monsieur KOLENOVIC aurait refusé pour des raisons de conscience similaires de donner suite à un appel à la réserve pour être stationné à Podgorica comme mécanicien des avions de chasse, appel qui aurait été imminent au moment de leur départ et qui aurait effectivement été adressé à Monsieur KOLENOVIC dans la suite.

Les demandeurs soutiennent que la désertion de Madame … ne saurait être assimilée à celle d’un « simple soldat » au vu de ses connaissances particulières sur le fonctionnement de l’armée yougoslave et des exactions commises par cette dernière au Kosovo et que sa désertion emporterait dans son chef un risque accru d’encourir une sanction disproportionnée, étant donné notamment que ses parents auraient reçu des appels téléphoniques d’officiers de l’unité militaire de Bérane indiquant « que la requérante avait intérêt à ne pas retourner en Yougoslavie ». Les demandeurs affirment que les changements d’affectation dont Madame … aurait fait l’objet seraient nécessairement le résultat des suspicions de la part de l’hiérarchie militaire à son égard, vu qu’ils auraient tous coïncidé avec des reprises des activités de l’armée yougoslave dans les conflits successifs suite à l’éclatement de l’ex-Yougoslavie. Concernant l’insoumission de Monsieur KOLENOVIC, ils font valoir que le ministre serait resté en défaut d’établir qu’il ne devrait pas purger une peine de prison du fait de son insoumission. Les demandeurs se fondent enfin sur la citation à comparaître le 18 mai 2001 devant le tribunal principal de Bérane, lancée à l’encontre de Madame … du chef de l’infraction de soustraction du service militaire, incriminée par l’article 214, alinéa 3 du Code pénal, pour soutenir que cette citation, postérieure à l’entrée en vigueur de la loi d’amnistie du 26 février 2001, démontrerait que celle-ci n’instaurerait pas une amnistie générale et effective pour tous les insoumis et déserteurs présents à l’étranger après le 7 octobre 2000. Les demandeurs signalent qu’ils ignorent encore si une condamnation par défaut est intervenue suite à cette citation et quelle peine a été le cas échéant prononcée à son encontre.

Le délégué du Gouvernement rétorque que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner » 3 La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, v° Recours en réformation, n° 11, p. 407).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique politique (Cour adm.

5 avril 2001, n° 12801C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2.

de la Convention de Genève.

En effet, concernant d’abord le moyen basé sur l’insoumission des époux KOLENOVIC-…, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs une crainte justifiée d’être persécuté dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En, outre, il n’est pas établi à suffisance de droit qu’actuellement les demandeurs risquent de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de leur appartenance à une minorité religieuse, risquent de leur être infligés, ni qu’il subsiste encore à l’heure actuelle un risque de poursuites en raison de leur insoumission, ni encore qu’une condamnation d’ores et déjà prononcée serait encore effectivement exécutée. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et insoumis, les demandeurs n’établissent pas que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées, ceci compte tenu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du parlement de la République fédérale yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, dont également ceux qui ont quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires.

Cette conclusion ne saurait être énervée par les considérations avancées en cause et tenant notamment à la particularité des fonctions assumées par Madame … au sein de l’armée yougoslave. En effet, d’une part, l’infraction de soustraction au service militaire par 4 voie de départ vers ou de séjour à l’étranger, incriminée par l’article 214, paragraphe 3 du Code pénal yougoslave et retenue à la base de la citation émise à son égard est expressément couverte par l’article 1er de la loi d’amnistie du 26 février 2001 et, d’autre part, les éléments produits en cause, dont notamment la citation à comparaître, ne sont pas de nature à établir un risque suffisant de non-application de cette loi dans son chef à un stade ultérieur de la procédure à défaut de preuve concrète d’une condamnation effective des demandeurs de ce chef soumise en cause, étant donné que l’amnistie y décrétée consiste tant dans l’arrêt des poursuites judiciaires que dans l’arrêt de l’exécution des peines prononcées et dans l’annulation des jugements.

Il résulte des développements qui précèdent que les demandeurs restent en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre leur a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique et que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS, Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 17 décembre 2001 par:

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. SCHMIT s. LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13359
Date de la décision : 17/12/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-12-17;13359 ?

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